Pensez-vous qu’il soit possible de trouver un vaccin contre le Covid-19 dans un laps de temps aussi court, à peine dix mois?
Philippe Even: Compte tenu des moyens humains et financiers qui sont déployés, je pense que oui. Il y a des précédents dans l’histoire. Le vaccin contre la polio, par exemple, a été mis au point très rapidement, avec des résultats extraordinaires. Citons également le vaccin contre la variole, la rougeole, la varicelle. Nous ne sommes donc pas à l’abri d’un coup du roi, comme on dit, à propos du covid. D’autant que, comme tous les virus de ce type, il n’est pas compliqué à cerner.
Ah bon?
Pour faire court et simple, je dirai qu’il y a deux types de virus. Les virus ADN, genre VIH, ou sida si vous préférez, qui pénètrent dans vos gènes et n’en sortent plus. Ils font partie de vous, en somme, de votre ADN jusqu’à votre mort. Et il y a les virus ARN, composés de minuscules particules qui se baladent dans votre organisme, se disséminent facilement mais sont beaucoup plus vulnérables et, surtout, pas éternelles. Le Covid-19 est de ceux-là. C’est un virus composé d’une grosse douzaine de gènes, soit moins que la plupart des virus de grippe saisonnière. Il suffit d’en bloquer un sur la douzaine pour s’en débarrasser.
Pas compliqué, comme vous dites, mais très agressif envers les personnes appartenant aux catégories à risque du moins…
Ce n’est pas spécifique à ce virus. Les personnes présentant une comorbidité, entendez une ou plusieurs pathologies, sont fragiles à tous les types d’agression.
Revenons au vaccin. Y a-t-il une réalité à la présumée bonne nouvelle annoncée par le laboratoire Pfizer?
A ce stade, on l’ignore. Non seulement, ce prétendu vaccin est issu d’une toute nouvelle technologie, mais, de plus, aucun résultat ni aucun détail des tests cliniques n’a été communiqué et encore moins apprécié et jugé par la communauté scientifique. Dans cette attente, on reste dans le domaine du rêve.
On imagine mal que la première pharma du monde mette en jeu sa réputation à la légère, si l’on peut dire…
On disait la même chose à propos du Lancet, avant que cette revue médicale prétendument prestigieuse ne publie une étude bidon sur l’hydroxychloroquine. Si ça se trouve, Pfizer s’en fout complètement. Ce labo a largement les moyens de se sortir de toutes les situations, même les plus scandaleuses, s’il le faut.
La semaine dernière, le boss du laboratoire Pfizer et d’autres membres de la direction ont vendu avec une forte plus-value un paquet d’actions de leur société, peu après la diffusion du communiqué de presse annonçant l’arrivée imminente d’un vaccin. Troublant, non?
S’agissant du boss de Pfizer, je m’interroge. Pourquoi a-t-il vendu ses titres alors que sa société et, partant, ses actions semblent promises à un bel avenir?
Quelques heures plus tard, on apprenait que le célèbre professeur marseillais Didier Raoult était, lui, poursuivi pour charlatanisme. Qu’en dites-vous?
Cette concomitance dit beaucoup de la société dans laquelle nous vivons. Cela étant, je connais bien le professeur Raoult, qui a été cité 145 000 fois dans les revues scientifiques. Il est au-dessus de ça. Pour lui, l’important est de s’occuper de son métier, de ses malades et de son service. Moi aussi, j’ai été exclu de l’Ordre des médecins et interdit d’exercer. Il m’a suffi d’un appel et de deux audiences pour être réintégré. Médiatiquement, mon exclusion a évidemment fait beaucoup plus de bruit que ma réintégration.
Pourquoi fait-on une fixation sur un vaccin et que personne, ou presque, ne parle d’un médicament?
Je crois avoir la réponse: un vaccin concerne potentiellement 8 milliards d’êtres humains alors qu’un médicament ne concerne que les quelques millions de personnes malades. La taille de ces marchés respectifs parle d’elle-même. Commercialement, c’est un peu jackpot contre revenu modeste. Tout miser sur un vaccin n’est qu’une option financière, à mon avis.
Personne ne mise sur un médicament?
Je n’ai en tout cas pas connaissance qu’un Etat ou une pharma, pas même en Suisse d’ailleurs, ait réuni des scientifiques motivés autour d’un projet de ce type ou ait lancé des recherches d’envergure. Et pourtant, trouver un médicament miracle s’avère souvent bien plus rapide que de trouver un vaccin. Cela a été fait avec succès pour l’hépatite C, par exemple. On a passé de 700 millions de personnes infectées à l’éradication de la maladie. A contrario, on cherche toujours en vain un vaccin contre le sida, la tuberculose et même un vaccin réellement efficace contre la grippe saisonnière.
Le processus pour trouver un médicament peut aussi prendre des années…
C’est faux. Dans le cas d’un virus, on peut savoir si un médicament déclenche ou pas une réponse immunitaire dans un délai de trois semaines en moyenne. De plus, les protéines produites par la maladie sont si microscopiques, si fragiles et si insaisissables qu’en attraper une par la méthode vaccinale est très, très compliqué.
Pfizer parle pourtant d’une efficacité de 90%…
En l’absence de résultats connus et vérifiés, comment juger? Idem concernant l’immunité que le produit est censé apporter. Sera-t-elle de trois mois? De six mois? De vingt ans? Mystère. Souvenez-vous, à l’époque du H1N1, les Etats ont acheté des milliards de doses de Tamiflu, au sujet duquel le laboratoire Gilead, qui l’a mis au point, n’avait divulgué que deux des 12 résultats d’essais cliniques. Ceux qui démontraient que le produit avait une vague action bénéfique. Après qu’il eut été avéré que le Tamiflu n’agissait pas, la justice a exigé de Gilead qu’il publie les dix autres études. Mais le laboratoire ne s’est jamais exécuté et tout le monde a oublié.
N’était-ce pas plutôt Roche?
Non. C’est bien Gilead qui est à l’origine du médicament. Roche l’a ajouté à son portefeuille en 1996. Alors que l’OMS était sur le point de demander qu’on le retire du marché, le Tamiflu a ressurgi et est toujours disponible aujourd’hui, notamment distribué par Sanofi.
On dit que vacciner une personne infectée ou qui a déjà été porteuse du virus mais en étant asymptomatique peut s’avérer très dangereux.
Cette question mérite une réponse en deux temps. Si on parle d’une seule personne, le risque de dégénérescence est vraiment mineur. Mais si l’on parle de dizaines, voire de centaines de millions de personnes, cela peut prendre des proportions importantes. On le constate avec le vaccin contre l’hépatite B et contre la grippe saisonnière.
Concrètement?
Un vaccin active tout votre système immunitaire. Il n’est jamais exclu que ce dernier s’attaque à d’autres tissus que celui qui est visé. Dans le cas du vaccin contre l’hépatite B ou de la grippe saisonnière, il n’est pas rare de voir se déclarer une sclérose en plaques, par exemple, qui ne serait pas survenue sans cette activation. Mais je le répète, pour une personne, le risque est mineur. Mais un risque, même infime, multiplié par 100 millions ou 1 milliard, peut prendre d’énormes proportions.
Le vaccin interromprait-il la transmission du virus?
Quelques confrères ne seront peut-être pas aussi péremptoires mais, personnellement, je réponds oui. Une fois les personnes vaccinées, asymptomatiques ou pas, la quantité de virus restante est tellement faible qu’elle ne suffit plus à contaminer d’autres individus.
La technologie ARN messager utilisée par Pfizer et Moderna implique que les doses soient conservées et convoyées à près de -80°C. Cela complique singulièrement la distribution, non?
En effet. Mais ça ne la rend pas impossible. Je pense que si ces vaccins ont réellement un avenir, ces deux laboratoires ont déjà résolu une bonne partie du problème.
Il y a encore dix candidats vaccins en cours de recherche à travers le monde…
Ce qui me fait dire que celui annoncé par Pfizer n’est peut-être pas le bon. Ou alors verra-t-on émerger plusieurs vaccins issus de technologies différentes. Je sais par exemple que l’Institut Pasteur teste actuellement un vaccin où sont mélangés le virus de la rougeole et celui du Covid-19. Arrivant par bribes, des infos assurent que les premiers résultats sont prometteurs. Si ça marche, ce sera du solide.
A croire le laboratoire américain, seulement 10% des personnes seraient immunodéficientes, ne répondraient pas au vaccin. Sur la base des chiffres actuels de la mortalité, on peut aussi en déduire que 90% s’en sortiraient sans vaccin?
Effectivement. Nous pouvons également atteindre l’immunité collective sans vaccin, mais au détriment d’un nombre de décès important.
Combien de personnes autour du globe faudrait-il vacciner pour atteindre cette immunité?
Entre 60 et 70% de la population, je pense.
Et si le virus mute, comme cela semble être le cas?
Eh bien le vaccin mis au point à partir du virus précédent devient obsolète, malheureusement.
Par Rappaz Christian publié le 18 novembre 2020 - 08:58, modifié 18 janvier 2021 - 21:16