«Nous sommes en 2016, dans la capitale chinoise. Je dirige l’Orchestre symphonique de Pékin, lors d’une répétition tout ce qu’il y a de plus normal. Nous entraînons un concerto pour flûte de Mozart et allons enchaîner sur une symphonie de Chostakovitch. A la pause, un responsable politique chinois chargé de la culture vient vers moi et j’ai l’impression qu’il veut faire connaissance. Mais il me dit simplement: «J’adore la culture européenne.» Ça me surprend, et je lui demande s’il apprécie quelque chose en particulier, mais non. Il admire l’ensemble: du peintre, architecte et sculpteur italien Giotto aux XIIIe et XIVe siècles au compositeur baroque allemand Jean-Sébastien Bach au XVIIIe.
J’insiste un peu, et il me répond que l’Europe a eu un développement culturel unique, que son aura va bien plus loin que notre simple Vieux-Continent et qu’elle influence le monde entier. Puis, avec un regard malicieux, il me lâche une phrase que je n’oublierai jamais: «Votre culture, c’est la dernière chose qu’il vous reste. Tout ce que vous avez construit, nous pouvons le faire plus vite, plus longtemps et pour moins cher. Mais votre culture, elle, est inégalable.»
Je suis conscient depuis longtemps que la culture européenne est grandiose. Mais l’entendre de la bouche d’un tel homme, d’une certaine manière par un aveu d’impuissance, me fait bizarre. Cela me fait réfléchir et m’ouvre une fenêtre inédite sur notre culture.
Je réalise qu’aujourd’hui la culture, devenue trop souvent gratuite, est vraiment banalisée. Nous ne sommes plus conscients de tout ce dont on a hérité, et ce n’est pas bien. Aujourd’hui, la culture est présentée comme un bien de luxe, alors que ce n’est pas le cas! Elle fait partie du quotidien, même si on a régulièrement tendance à trop la sacraliser: de la musique au street art, en passant par les sculptures dans nos villes ou encore la photographie! Il est vrai qu’avant nous il y a eu quatre siècles d’un développement, d’une complexité, d’un raffinement sans pareils. Il faut que l’on reconnaisse ce que nos ancêtres ont réalisé. Et la culture a cela de beau, justement, qu’elle donne un aperçu fabuleux de ce dont l’humain est capable, d’aller à la pointe de la pointe, au bout de choses que l’on ne soupçonnerait absolument pas d’être possibles.
D’ailleurs, si l’on réfléchit au terme «se cultiver», c’est trouver quelque chose qui nous passionne, chercher le meilleur, creuser, découvrir, apprendre… prendre pleinement conscience de cette passion qui nous anime, finalement. C’est ce qui se passe de plus en plus avec les jeunes d’aujourd’hui, qui cherchent en la musique – mais en tous les arts de manière générale – une raison d’avancer. Pour elles et eux, je me dois de continuer à mettre en avant nos cultures, de jouer à fond mon rôle d’ambassadeur de la musique classique européenne. Pour revenir à la première histoire, je pense que le plus important, en termes de culture, est d’être conscient de la chance que l’on a de baigner dans un tel vivier. Cette anecdote me montre à quel point nous devons en prendre soin et la transmettre.»
Son actualité:
Du 19 au 29 septembre, le Septembre musical présente une douzaine de concerts, entre le château de Chillon, l’Auditorium Stravinski et l’Hôtel des Trois Couronnes. Le thème de cette année: l’Autriche.
>> Pour en savoir plus sur le programme: www.septembremusical.ch