«Connaissez-vous cet endroit?» Tamara Funiciello, 28 ans, s’adresse à nous dans un français parfait. Face à elle, la Reitschule. Une ancienne école d’équitation bernoise transformée en entrepôt et devenue un centre culturel autonome après avoir été un squat incontournables de la capitale. «Cet endroit compte particulièrement pour moi. Mes parents ont fait partie de mouvements de gauche qui l’ont occupé dans les années 1980, lorsque les autorités bernoises exigeaient sa fermeture.» C’est ici qu’elle est devenue militante il y a une dizaine d’années. «Mes premières discussions politiques, mes premières rencontres, c’était ici. Encore aujourd’hui, j’aime y passer du temps, car je sens la gauche pousser et je côtoie différents mouvements qui ne sont pas représentés en politique mais qui existent. Mes idées sont imprégnées de cet endroit.»
Tamara Funiciello est née à Berne. Enfant, elle déménage en Sardaigne, dont son père est originaire, avant de revenir en Suisse dix ans plus tard. Le 18 juin 2016, après un passage par Genève où elle a effectué une partie de ses études en relations internationales, Tamara Funiciello devient la première femme présidente de la Jeunesse socialiste, et donc vice-présidente du parti au niveau national. Elle qui parle les trois langues nationales rassemble les jeunes grâce, notamment, à son énergie communicative et à son caractère bien trempé.
Car Tamara Funiciello impressionne. Son franc-parler et son aisance font trembler des politiciens déjà rodés à l’exercice. Figure de proue de l’opposition victorieuse à la 3e réforme de l’imposition des entreprises, elle n’hésite pas non plus à brûler son soutien-gorge, à poser nue en mars 2017 pour sensibiliser l’opinion à la cause des femmes ou à organiser un campement sauvage devant la villa de Magdalena Martullo-Blocher, «symbole des super-riches».
Et la Bernoise ne compte pas s’arrêter là: elle est d’ores et déjà candidate aux élections fédérales d’octobre prochain sous le slogan WTF! (jeu de mots sur What the fuck et Wähle Tamara Funiciello, «choisissez Tamara Funiciello»). «La politique n’appartient pas qu’aux personnes qui sont moins radicales que moi. Renoncer reviendrait à accepter que le parlement soit encore plus à droite et encore plus masculin.» Car le féminisme est aussi l’un de ses grands combats. Le sien est «antiraciste, antisexiste et anticapitaliste».
«Il y a encore du boulot!»
Ses yeux brillent lorsqu’elle parle de ces femmes argentines, indiennes ou polonaises «qui, partout dans le monde, se sont battues pour avoir le droit de disposer de leur corps». Les inspirations de celle qui est aussi secrétaire syndicale à Unia viennent moins de grandes figures que «de toutes les femmes qui ont mis #MeToo sur Twitter. Elles se sont libérées de leur position, elles ont dit non et ça, c’est incroyable.»
Ce lundi de fin novembre, c’est aussi le lendemain de la votation sur l’initiative – finalement rejetée – de l’UDC sur les «juges étrangers». Une victoire? «Je suis évidemment contente que l’initiative ne soit pas passée. Mais peut-on appeler une victoire le fait que 33% des Suisses ont remis en question l’utilité des droits de l’homme? Il y a encore du boulot!»
Johanna Gapany a eu 30 ans cet été. La politique, cela fait douze ans qu’elle a le nez dedans. Sa première? Une campagne contre la fusion de son village, La Tour-de-Trême, avec la commune de Bulle. «C’était mon premier combat politique, alors que je n’avais pas 18 ans. J’avais essayé de convaincre toute ma famille.» Ironie du sort, la fusion a lieu et la jeune femme se retrouve en 2016 conseillère communale de… Bulle.
La femme grandit dans ce qu’elle appelle «une famille de PLR gruériens, bien plus radicaux que libéraux». Son père, conseiller communal, est engagé «dans tout un tas d’associations». «Pour moi, il était complètement normal de passer mon samedi dehors à participer à la vie de la commune», poursuit la jeune femme, qui a du mal à tenir en place. Alors qu’elle fait ses études à la Haute école de gestion de Fribourg, elle ressent le besoin de s’engager, toujours, mais politiquement cette fois-ci.
«Convaincre, c’est savoir écouter»
Elle participe à des assemblées générales de jeunes «de tous les partis» avant de retourner vers le PLR, «par conviction cette fois-ci». «Je m’y suis aussi fait un groupe d’amis, des gens avec qui on s’assoit à table, avec qui on se sent bien et qui nous donnent envie de revenir aux réunions.» Après une année entre l’Allemagne et le Canada («je déteste les pays trop chauds»), elle est troublée à son retour par les votations sur les six semaines de vacances ou le salaire minimum. «On nous accusait de ne pas pouvoir comprendre ce qu’était la précarité, cela m’a choquée. Je ne suis pas au PLR par génétique, mon père était agriculteur et nous avions le compte en banque qui allait avec.»
Elle retourne militer dans la rue et écoute, «car convaincre, c’est savoir écouter». Aujourd’hui, Johanna Gapany est chargée de communication pour un hôpital, conseillère communale et députée au Grand Conseil fribourgeois. «Un emploi du temps un peu cow-boy, mais je ne m’en lasse pas!»
En pleine séance photo, dans un champ qui domine la ville de Moutier, un tracteur déboule à pleins gaz. Furieux, un agriculteur en sort et s’en prend au porte-drapeau de la cause jurassienne. Valentin Zuber, lui, reste calme. Mais nous sommes instamment priés de quitter les lieux, et fissa. «Vous comprenez, Moutier, c’est tellement particulier, soupire le jeune député. Faire de la politique locale ici n’a d’équivalent nulle part ailleurs.»
Bienvenue au cœur d’une région passionnée, déchirée par un combat qui n’en finit plus. Ici, des politiciens dînent avec le Catalan Carles Puigdemont lorsqu’il est de passage pour soutenir la cause séparatiste. Cause dont Valentin Zuber, 29 ans, est l’une des figures emblématiques. Depuis plus de cinq ans, il s’attelle à faire de Moutier une ville jurassienne à part entière. Travaillant au Service de la culture de l’Etat du Jura, il était comme prédestiné à s’engager: son père, Maxime Zuber, a été maire de la cité prévôtoise pendant plus de vingt ans.
Des balles dans la boîte aux lettres
Après un master en gestion et politiques publiques à Lugano et un semestre de recherche au Canada, Valentin y revient, à Moutier, au moment où son père disparaît du champ politique. Et décide de se lancer à son tour, malgré les souvenirs indélébiles d’une période sous haute tension. «Mon père a toujours essayé de nous épargner, nous ne parlions pas de politique à la maison. Mais je me souviens des balles de fusil qu’on recevait par la poste, du chemin pour aller à l’école avec ma sœur et de la voiture de police banalisée qui nous suivait.»
Aujourd’hui encore, les appels anonymes sont courants et les lettres d’insultes, hebdomadaires. «Mais je l’accepte, affirme le jeune homme. Je savais que je reprenais le flambeau d’une histoire pour laquelle des gens se sont battus dans la rue face à des grenadiers. Personne n’a oublié ça ici. Et je ne voudrais pas qu’on se souvienne de moi comme de celui qui a contribué à faire que la situation dégénère.» Côté carrière, le Prévôtois l’assure, Moutier n’est pas un tremplin: «Si je dois me contenter d’une carrière locale, mais que le projet aboutit, je serai le plus heureux des hommes.»
Elle n’avait pas 18 ans et c’était à la fin d’un cours de géographie. Céline Vara, alors jeune collégienne, se lève pour son premier speech politique. «J’en avais marre de râler dans mon coin.» Le propos? Convaincre ses camarades de voter oui à la décriminalisation de l’avortement. «A la fin, mon professeur m’a dit que j’avais très bien parlé mais qu’il ne pourrait pas me laisser faire ça à chaque fois», poursuit la Neuchâteloise de 34 ans avec le rire joyeux qui la caractérise.
Elle s’exprime bien, facilement, et veut défendre ceux qui ne le peuvent pas. C’est décidé, Céline Vara ne fera pas que de la politique, non, elle deviendra aussi avocate. Ses parents sont fiers, eux qui n’ont pas fait d’études. «Manger des pâtes en fin de mois ou gagner le minimum vital, je sais ce que c’est, je l’ai vécu.» Fille d’une fleuriste et d’un manutentionnaire italien, la vice-présidente des Verts suisses vit une enfance modeste mais heureuse. «Mes parents ont divorcé lorsque j’avais 9 ans, ma mère avait deux enfants à charge et travaillait dans un tea-room le soir pour joindre les deux bouts.»
«Ma mère, mon exemple»
Sa mère, un exemple fort qui la marque, comme ceux qu’elle voit tous les jours défiler dans son bureau. Des femmes, beaucoup – elle est avocate-conseil pour le service d’aide aux victimes de violence conjugale –, «qui quittent des situations affreuses leur enfant sous le bras, tout en sachant que ce qui va suivre sera extrêmement difficile». Et des femmes politiques? «Micheline Calmy-Rey, que j’ai rencontrée au moment de l’affaire avec le fils Kadhafi. Elle avait une telle maîtrise, je m’étais dit qu’elle était exactement à la place où elle devait être.»
Alors, même si «mathématiquement, elle n’a pas beaucoup de chances», Céline Vara sera candidate aux prochaines élections fédérales, «car il est essentiel que ce parlement se féminise un peu». Et puis, surtout, il y a vingt-deux mois, la vie de Céline Vara a changé, car depuis, elle fait aussi de la politique pour sa fille, Mathilde. «Je la vois grandir et je me sens coupable, responsable du monde dans lequel elle vit. Je veux pouvoir lui dire que j’ai tout essayé pour changer les choses. Que si un jour elle est en colère, qu’elle le soit contre la société et pas seulement contre ses parents.»
Il faut habiter le coteau de Monthey pour connaître la toute première campagne de Johan Rochel. Il avait tout juste 9 ans lorsque sa mère s’est portée candidate PLR au Conseil général de la ville. «J’ai alors décidé de faire une contre-compagne, en déposant des tracts dans les boîtes aux lettres du voisinage pour que ma mère ne soit pas élue, car je trouvais qu’elle avait trop de séances et qu’elle ne passait pas assez de temps avec nous le soir.» Aujourd’hui âgé de 36 ans et père de deux enfants, Johan Rochel en rit. «Finalement, ma contre-campagne a été contre-productive et lui a servi: elle a été élue!»
Arborant fièrement un nœud papillon rose ligné de bleu, il vit à Zurich, où, entre deux cours de lindy hop et toujours avec un trait d’humour, il «cherche», comme il dit. «Mes amis affirment que je n’ai pas un vrai travail. Je suis chercheur pour l’Université de Zurich et j’ai cofondé Ethix, un laboratoire d’éthique de l’innovation.» Après des études de philosophie et de sciences politiques entre Lausanne, Berne et Zurich, il rejoint le Foraus, un think tank étudiant la politique étrangère suisse, quelques mois après sa création, et en devient le vice-président. «Tout ce qui relève de la politique étrangère me passionne. Au Foraus, nous faisions partie du monde politique tout en restant en dehors des structures d’un parti.» Et il continue sur cette voie.
«L’important, c’est aussi de s’amuser»
L’année dernière, Johan Rochel se retrouve à la base du mouvement Appel Citoyen en Valais, né durant la campagne pour la révision de la Constitution. Victoire lors de la votation de mars dernier: c’est un double oui à la révision et à la création d’une Assemblée constituante.
Lors des élections de cette dernière, le 25 novembre 2018, Appel Citoyen frappe un gros coup: le mouvement devient la troisième force politique du Valais avec 16 élus sur les 130 sièges que compte la Constituante. «L’important, c’était aussi de s’amuser, de prendre du plaisir, car la politique, pour moi, c’est du bénévolat.»
Elu à Monthey, il se réjouit des quatre prochaines années, soit la durée de vie de la Constituante: «Nous entrerons dans les grands principes moraux, les valeurs. C’est le triangle de mes intérêts qui se retrouve: la philosophie, le droit et la politique.» Quant à savoir s’il est Zurichois ou Valaisan, Johan Rochel refuse de choisir: «La politique suisse a tendance à nous ancrer très localement, mais il n’y a pas de «ou» entre Monthey et Zurich. Pour moi, c’est plutôt un «et»!»
Sur le plateau de la RTS, elle avait crevé l’écran. En novembre dernier, lors d’un Infrarouge consacré aux millennials, Virna Conti, 18 ans, est apparue au public romand calme, le verbe posé et affichant ses idées, celles de l’UDC, de façon limpide. L’étudiante en droit, benjamine des membres de la branche genevoise de l’UDC, a été élue présidente des jeunes agrariens du canton en 2017 et vice-présidente des Jeunes UDC Suisse en décembre dernier.
Les cheveux blonds lâchés en cascade, le regard bleu clair, Virna Conti raconte une enfance heureuse à Bellevue, dans la campagne genevoise. Un père tessinois entrepreneur, une mère d’origine croate déléguée du CICR, un frère jumeau de sensibilité de gauche, lui, le judo (elle est ceinture brune) et un événement marquant: «Je devais avoir 15 ans. Lors d’un cours de droit politique au collège, notre professeur nous a demandé de nous positionner sur la votation contre les minarets. Les pour devaient se placer à droite dans la classe et les autres, à gauche. J’ai naïvement pensé que la vision de chacun serait acceptée. Mais cela n’a pas été le cas lorsque je me suis retrouvée seule contre tous à défendre l’initiative.» Virna quitte la salle de classe au bord des larmes. C’est décidé, la prochaine fois, elle ne se laissera pas faire et assumera ses idées jusqu’au bout.
«J’essaie d’avoir un discours positif»
Virna Conti demande alors sa carte à l’UDC genevoise, «mais je ne connaissais encore personne et n’osais pas aller aux assemblées générales». Ce n’est que deux ans plus tard qu’elle rejoint les Jeunes UDC. A l’université, où elle ne cache pas ses couleurs politiques, elle se sent rapidement «étiquetée». «Puis les gens ont compris. Je veux rajeunir l’image de l’UDC, j’essaie donc d’avoir un discours positif: je ne suis pas contre l’étranger, je suis pour le citoyen suisse.» Sa famille, elle, accepte. «L’important, pour eux, c’était que j’aie l’acte de mes convictions.» L’UDC de Virna Conti, c’est forcément la neutralité suisse, son indépendance, sa souveraineté. Mais c’est aussi l’écologie, une cause qui lui tient à cœur. «Et, surprise, j’ai invité deux Verts à notre prochaine assemblée générale!»
Nous sommes à la fin de l’année 2003 et Christoph Blocher entre au Conseil fédéral. Pierre Conscience, lui, n’a que 13 ans, mais c’est un électrochoc. «C’était aussi peu après l’accès de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle française, la guerre en Irak, la recrudescence d’une logique impérialiste et d’un discours raciste.»
Quinze ans plus tard, il nous donne rendez-vous devant l’église Saint-Laurent, à Lausanne, qu’il a occupée pendant un an en 2016 avec des réfugiés. Le jeune homme, qui porte bien son nom, affiche un chignon brun et de faux airs du Che. Car Pierre Conscience, c’est du poil à gratter. Le futur militant naît à Morges en 1989. Ses parents lui transmettent des valeurs de solidarité, de lutte contre les injustices et un intérêt pour la vie publique.
A 18 ans, il se tourne naturellement vers le mouvement de gauche SolidaritéS, «car vouloir changer les choses, c’est bien, mais seul, on n’y arrivera pas». Et ça marche. Il est élu au Conseil communal de Lausanne en 2016 et mène de front des campagnes comme celle pour le remboursement des frais dentaires l’année dernière. Et s’il ne devait n’en retenir qu’une? La RIE III vaudoise, sans hésitation, celle qu’il a menée «seul face au reste de l’échiquier politique, du PS à l’UDC». «Car la fiscalité, c’est le nerf de la guerre. Derrière l’impôt, il y a la répartition des richesses.»
«Je suis un militant, pas un politicien»
Aujourd’hui, le jeune homme refuse la qualification de politicien et lui préfère celle de militant. «Les changements sociaux sont toujours le fruit de mobilisations, de manifestations, de grèves. Mon rôle d’élu est de leur donner un écho dans un parlement. Je me fiche de ma progression personnelle. Ce qui m’intéresse, c’est celle de mes idées, car, contrairement à d’autres, je ne fais pas de la politique pour satisfaire mes névroses.» Secrétaire politique, seul salarié de SolidaritéS Vaud, Pierre Conscience reprendra des études à la Haute Ecole pédagogique en automne 2019.
A côté, le jeune homme continuera à déranger «et à mettre en lumière les contradictions de la politique actuelle». «D’ailleurs, nous sommes les seuls à demander la totale transparence sur l’affaire Paulsen. D’autres semblent avoir peur de bousculer l’establishment, comme s’ils avaient des intérêts à préserver. Nous, non!»