Une enquête bien documentée peut suffire à faire passer un super-héros pour un potentiel salaud. Par exemple le «Temps présent» du 19 janvier dernier sur Mike Horn et son passé dans l’armée sud-africaine. Depuis deux semaines, ce qu’on peut appeler l’affaire du bataillon 101 divise la Romandie en deux camps: les pro et les anti-Horn.
Quatre jours après la diffusion de cette émission sur la RTS, nous avions rendez-vous avec l’aventurier, sur les hauts de Monthey (VS), pour la présentation d’un nouveau vélo électrique de la marque suisse Miloo, un modèle ultra-puissant, sportif, sophistiqué, conçu notamment sur les conseils de Mike Horn. Sur le cadre noir de ce bijou se détache en blanc la signature de l’aventurier.
Malgré ce contexte médiatique extrêmement délicat, l’opération promotionnelle avait été maintenue. Mais à l’heure de l’interview, impossible de ne pas évoquer la polémique, ce que comprenait d’ailleurs Mike Horn, à qui nous avons proposé de répondre dans nos pages dans une longue interview. «Non, je ne tiens pas à riposter à cette émission. Je considère d’abord que dans une société démocratique, la liberté de la presse est absolument indispensable. Je constate seulement que les auteurs de l’émission, venus m’interviewer m’avaient-ils dit sur mes activités actuelles, notamment sur les groupes de jeunes que j’embarque sur mon bateau Le Pangaea, n’ont conservé que mes réponses à leurs questions sur mon passé de soldat. Et je regrette aussi que, dans cette émission, mon passé militaire vieux de 37 ans soit interprété et commenté selon des critères sociaux et moraux de 2023. La situation dans les années 1980, en Afrique australe et dans le monde en général, était extrêmement différente.»
«Je préfère faire bouger les choses»
Sur ce point, il faut admettre que l’explorateur n’a peut-être pas tout à fait tort. Rappelons par exemple que la Suisse fut un des pays les moins zélés dans sa condamnation du régime d’apartheid (aboli en 1991) de l’Afrique du Sud, ce racisme d’Etat, cette discrimination ethnique institutionnelle qui avait dès les années 1970 valu un isolement international à l’Afrique du Sud. Un boycott que Berne n’avait presque pas pratiqué: les plus hauts dirigeants de la finance helvétique ne cachaient pas leurs liens et leurs bonnes affaires avec Pretoria. La Suisse était l’un des trois seuls pays au monde (avec le Royaume-Uni et Israël) à ne pas exiger de visa pour des voyageurs sud-africains, ce qui explique d’ailleurs pourquoi Mike Horn a choisi de s’installer en Suisse en 1990. Ces liens avec l’Afrique du Sud n’ont d'ailleurs pas empêché, en 2003, Christoph Blocher et Hans-Rudolf Merz d’être élus ensemble au Conseil fédéral. Leurs anciennes relations d’affaires – voire d’amitié et de soutien en ce qui concerne Blocher – avec le régime sud-africain durant les années d’apartheid étaient pourtant notoires. Il y a vingt ans, une centaine de parlementaires, même de droite, s’étaient inquiétés de ces nominations.
Là où l’explorateur a eu tort, c’est d’avoir répondu sur un ton badin aux questions de «Temps présent» sur la nature précise de ses actions au sein de ce bataillon d’élite. Comparer comme il l’a fait ces opérations militaires à l’achat de croissants dans une boulangerie ou encore faire mine en souriant de ne pas se souvenir s’il avait participé ou non à l’assassinat d’un leader namibien d’opposition lors d’un meeting politique, cela ne pouvait qu’être interprété comme un insupportable cynisme par une partie du public.
Au cours de ses vingt-cinq ans de célébrité en Suisse et dans le monde, Mike Horn a pu vivre sans problème avec son passé dans les forces spéciales de l’armée sud-africaine. Il en a parlé librement dans les médias romands, sans conséquences pour sa réputation. Ce n’est que maintenant qu'on lui demande des comptes sur son appartenance, il y a trente-sept ans, non plus à des forces spéciales, mais au bataillon 101. C’est comme si, en remplaçant l’expression respectable de «forces spéciales» par son vrai nom, «bataillon 101», l’ancien combattant devenait forcément un criminel de guerre. Comme si, en montrant plus concrètement que jamais les méthodes impitoyables et brutales de traque et de neutralisation de cette unité contre-insurrectionnelle, ce passé militaire devenait inassumable.
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«Ce reportage de «Temps présent» ne fait pourtant pas de grandes révélations sur ma vie militaire et sur ma participation à ce conflit, estime Mike Horn. Il ne démontre pas que j’ai accompli des missions, officielles ou secrètes, non conformes avec les lois de la guerre. Ce qui est en revanche certain, c’est que cette émission a consolidé la communauté des gens qui suivent ce que je fais depuis des années. Nous avons reçu un flot de messages de soutien.»
Mike Horn ne dément pas pour autant que le dégât d’image est réel, mais ne semble pas déstabilisé pour autant: «Je peux vivre sans sponsors, je peux vivre sans rien. Je n’ai pas besoin d’argent. Mon luxe, c’est ma vie, c’est mon énergie. C’est notamment Inocel, le grand projet de pile à combustible de nouvelle génération que j’ai lancé à Grenoble, dans lequel j’ai investi tout mon argent et dans lequel m’ont rejoint des investisseurs. Ce projet devient une grande entreprise. Je préfère participer au développement de transports sans émission de gaz à effet de serre en encourageant la filière hydrogène plutôt que de me justifier sur mon passé militaire. Et si je devais finir par gagner de l’argent avec cette technologie, je l’investirais de nouveau dans d’autres projets permettant à notre planète de trouver des solutions aux impasses écologiques actuelles. Mais certains préfèrent retenir de moi une période de ma vie, quand j’avais 18 ans, durant laquelle j’ai fait la guerre pour défendre mon pays. Moi, aujourd’hui, je préfère me bouger pour faire avancer les choses de manière positive.»
Une vie forcément excessive
Vous aurez sans doute compris que l’auteur de ces lignes éprouve – et assume – une bienveillance intacte à l’égard de Mike Horn. Le journaliste n’a jamais rencontré le lieutenant Horn. C’est Mike, l’aventurier des Moulins (VD), qu’il a connu, interviewé, suivi parfois jusqu’à l’autre bout du monde pour L’illustré et avec lequel il a passé de bons moments, partagé des éclats de rire, mais aussi le deuil de son épouse Cathy. Jamais, durant ces vingt ans de rencontres journalistiques, cet attachant homme des bois n’a commis le moindre dérapage, jamais il n’a prononcé la moindre parole raciste, sexiste ou homophobe. C’est une personnalité tout en oxymores que nous avons côtoyée: un parfait cinglé ultra-rationnel, un monstre de narcissisme pourtant modeste et capable d’autodérision, un tchatcheur coupable parfois d’embellir les choses, mais qui a mené à bien ses expéditions aussi héroïques qu’absurdes. Tout est excessif chez cet être qui considère que chaque seconde de vie doit être vécue comme la dernière. Et les mea culpa, les démonstrations de repentance, ce n’est pas pour lui.
C’est bien cela, la malédiction de Mike Horn, l’ancien lieutenant du «one-o-one»: assumer tous ses actes dans un monde où il vaudrait mieux se les faire pardonner.