Dans la campagne fribourgeoise, à Tinterin plus précisément, s’érige Château Bohème, magnifique bâtisse du XIXe siècle aux volets bleus. A la porte, nul personnel de maison aux gants blancs pour vous accueillir mais une frimousse de 7 ans, chapeau pointu d’apprentie sorcière sur la tête et baguette magique à la main. C’est Marylou, la fille de David Brülhart, enseignant, artiste plasticien et l’un des maîtres des lieux. Avec son amie Kerstin Melanie Bohr, artiste circassienne et effeuilleuse burlesque, ils ont pris les clés de la demeure en novembre 2020 avec un projet bien défini en tête: vivre en communauté certes, mais faire de ce lieu un espace culturel ouvert à toutes et à tous. David revient sur la démarche: «Il était impensable de garder le château pour nous. Nous voulions le rendre aux habitants de la région, créer des ponts entre la ville et la campagne, en faire un lieu de création artistique mais aussi une «safe place» où les minorités LGBTQIA+ se sentent les bienvenues.»
Sept adultes et trois enfants, des «châtelains pirates» comme ils aiment à se désigner, ont investi les 11 pièces de cette maison de maître dominant un jardin de 800 mètres carrés. Au rez-de-chaussée, les espaces communs, avec deux salons, une cuisine et une bibliothèque aux allures de cabinet de curiosités. Au premier étage, les chambres de David et de son compagnon Bartek, de sa fille, de Christian, journaliste de 35 ans, et de Fernando, artiste de 46 ans. Au deuxième, Kerstin, ses trois enfants – Yann Elvis, 18 ans et cracheur de feu, Kyan, 13 ans, et Lily-Ann, 9 ans – et son compagnon, Freddy, 28 ans, physiothérapeute en formation.
Comment s’organise la vie en communauté? «Quelle organisation? pouffe David. Nous avons dû nous structurer. Pour le ménage, on forme des binômes une fois par semaine et on nettoie les espaces communs. On privilégie une éducation collective, une structure horizontale, pas besoin de passer par la maman ou le papa pour s’adresser aux enfants. On se rassemble autour de valeurs comme le sens de la communauté, le partage et la bienveillance. On favorise une communication non violente, qu’elle soit en anglais, en suisse-allemand ou en français, peu importe!»
L’été dernier, ils ont organisé 27 événements culturels dans leur jardin, installé scène et chapiteau de cirque et ont accueilli plus de... 5000 personnes. «Là aussi, on a dû revoir les lignes de l’utopie et calmer le jeu, un peu victimes de notre succès. Il est nécessaire de professionnaliser la structure pour trouver un équilibre qui soit agréable pour tout le monde. Il faut une énergie sans faille pour gérer tout cela. Le château nous donne énormément, mais on y met aussi beaucoup de cœur et de forces. Disons que si tu aimes «Netflix and chill» le soir, mieux vaut ne pas pas prendre un château», conclut l’artiste dans un grand éclat de rire.