«C'est un homme magnifique, drôle, gentil et doux.» Le compliment, sincère, est signé Michelle Obama. Mais de qui parle-t-elle? De son époux? De George Clooney? De Joe Biden, futur adversaire de Trump? Non, celui qu’elle décrit si gentiment, c’est George W. Bush, Dobeliou «le simplet», le président du 11-Septembre: son pote. Cette amitié surprenante nous rappelle que, aux Etats-Unis, le théâtre politique est souvent moins polarisé qu’on ne l’imagine.
Barack Obama sait parfaitement ce qu’il doit à Michelle, son roc, rencontrée lors d’un stage au sein du cabinet juridique Sidley Austin, à Chicago. Il ne pouvait que la remarquer: ils étaient les seuls Blacks de l’étude. Elle était sa supérieure. Une grande avocate, au double sens du terme, avec sa taille de 1 m 80. Brillante, jolie, concernée, bref intimidante. Il avait, selon elle, «un gros nez». Bien qu’attirée, elle le fera languir, estimant un flirt «inapproprié». Habile, il l’emmène voir «Do The Right Thing», de Spike Lee, au cinéma. Elle se laisse inviter dans un restaurant chic où, au moment du dessert, un genou à terre, il obtient son oui.
Entré en politique, le nouveau sénateur démocrate de l’Illinois espère que son épouse, communicatrice née, le portera plus haut. Il ne sera pas déçu. Lors de la présidentielle de 2008, les «plaidoiries» de Michelle, signées de sa main, séduisent l’électorat féminin. En vraie stratège, elle évite le piège du communautarisme. Plutôt que d’insister sur sa différence, elle valorise son rôle de mère de famille et d’avocate.
Son sens de la formule fait mouche. A ses concitoyens les plus humbles, elle lance: «Trouvez des gens qui vous feront grandir!» Prise de risques, générosité et résilience ont nourri sa propre réussite. D’aucuns n’y verront que des lieux communs, mais, aux Etats-Unis, ça prend. «N’ayez pas peur d’échouer, martèle-t-elle. L’échec est la clé du succès.» Et au royaume du néolibéralisme, elle répète: «Le succès ne se mesure pas à votre compte en banque, mais à l’impact que vous avez sur la vie des gens.»
Comme son mari, Michelle a été élevée dans une famille aimante et modeste. Elle se méfie des parvenus, «souvent terrassés au premier échec».
Celle que les services secrets identifieront sous le nom de code «Renaissance» admire son père, disparu en 1991. Fraser Robinson III, employé à l’usine de production d’eau potable de la ville de Chicago, avait la sclérose en plaques. «Il souffrait en permanence (...), mais chaque matin il attrapait sa béquille et enfilait son uniforme en souriant.» Pas étonnant que Michelle, née le 17 janvier 1964, et son frère aîné, Craig, aujourd’hui coach du club de basket de l’Université de l’Oregon, aient réussi. Longtemps femme au foyer, leur mère, Marian, a terminé sa vie active comme secrétaire.
La famille Robinson occupe un petit une-pièce au sommet d’un immeuble de briques de la banlieue de South Store. Les ancêtres côté maternel étaient des esclaves: Melvinia Shields, l’arrière-arrière-grand-mère, a sué sang et eau dans une plantation de coton, en Géorgie.
Elève brillante, Michelle entre à Princeton. Elle s’y distingue en reprochant à son prof de français d’enseigner comme un nul! Miss Robinson obtient en 1985 un bachelor en sociologie avec mention «cum laude» et enchaîne avec un doctorat en droit à Harvard. Une tronche. Elégante. Un brin hautaine. Le jeune Barack avait de quoi être impressionné…
Revenant sur leur mariage, le 3 octobre 1992, Michelle Obama confie qu’elle a toujours vu son mari comme un «coéquipier» et leur couple comme «une équipe». Dans «Becoming» (Devenir), son autobiographie vendue à 10 millions d’exemplaires, elle révèle pourtant que le binôme est passé par une thérapie de couple. «Cela m’a appris que j’étais responsable de mon propre bonheur. Je n’ai pas épousé Barack pour qu’il me rende heureuse. (...) Si je veux que cette relation soit équitable, je dois être capable d’être heureuse par moi-même.»
Bien avant la présidence Obama, Michelle la féministe avait déjà le goût de la chose publique. Elle a été l’assistante du maire de Chicago, a développé à l’université le centre de services communautaires, dirigé une association et chapeauté les affaires externes de la fac de médecine.
Après l’élection historique de 2008, la famille Obama, y compris Marian, belle-mère du président, s’installe à la Maison-Blanche, «cette maison construite par des esclaves», dira la première dame peu avant de la quitter. Entre ces murs, elle se révèle pleine d’audace. On se souvient par exemple de la campagne «Let’s Move!» pour lutter contre l’obésité, du jardin potager bio que Donald Trump s’empressera de piétiner, etc. Les Obama sont les premiers à miser sur Facebook et Twitter pour se faire entendre. Une révolution.
Leur plus grande fierté? Leurs filles: Malia, née le 4 juillet 1998, jour de la fête nationale, et Natasha, dite Sasha, arrivée le 10 juin 2001. Toutes deux ont été conçues in vitro après plusieurs fausses couches. La cadette étudie maintenant à l’Université du Michigan, l’aînée à Harvard. A cause du coronavirus, la famille s’est retrouvée confinée sur l’île de Martha’s Vineyard (Massachusetts), où les Obama ont acquis un manoir pour 12 millions de dollars. Ils ont les moyens. La seule publication de leurs mémoires leur a rapporté 60 millions!
Ils ont lancé une boîte de production qui, en partenariat avec Netflix, produit films et documentaires, tel «American Factory», consacré à une usine de l’Ohio gérée par des Chinois, auréolé d’un Oscar. Après une apparition remarquée dans un épisode de la série NCIS (saison 13), Michelle Obama est repartie en croisade autour du monde, pour promouvoir l’éducation des jeunes femmes. Piloté par la Fondation Obama, le programme, baptisé Global Girls Alliance, a attiré une foule de stars.
Michelle Obama occupe le terrain. Le Covid-19 l’a fait sortir du bois pour soutenir la communauté afro-américaine. Ses lectures de contes sur les réseaux sociaux font un tabac auprès des enfants et le documentaire consacré à la tournée promotionnelle de son autobiographie cartonne sur Netflix. «Meesh», comme on l’appelle sous son toit, avance, épanouie. Joe Biden peut toujours essayer de lui chanter «Michelle, ma belle», il semble très improbable qu’elle fasse un pas en arrière pour le rejoindre sur le ticket démocrate.