Gwendoline Erb, apprentie bûcheronne de 2e année, Saint-Légier (VD):
«J’avais peur du sexisme et du machisme que j’allais devoir affronter»
«C’est au cours de stages dans le domaine forestier que j’ai compris que je me sentais plus à l’aise dans une équipe plutôt masculine et dans un métier qui se pratique en extérieur. J’ai l’impression que ça me correspond mieux et que les choses sont dites sans passer par quatre chemins. Par contre, c’est vrai que c’est un monde avec énormément de machisme. Pendant certains stages, on m’avait fait comprendre à plusieurs reprises que ma place n’était pas en forêt. J’ai été extrêmement déçue: je ne comprends pas comment certaines personnes peuvent encore avoir des pensées aussi archaïques aujourd’hui. Entre autres à cause de ça, je me suis posé beaucoup de questions avant de commencer. J’avais peur du sexisme et du machisme que j’allais devoir affronter. Et effectivement, j’en ai subi à l’école. Alors, j’ai appris à dire stop, à mettre des barrières et, surtout, à ne pas me laisser emporter par ça. Mais il faut aussi accepter qu’on ne puisse pas contrôler ce que les autres pensent: aujourd’hui, avec un peu de recul, je passe vite au-dessus des remarques. Par contre, je n’en ai pas subi sur mon lieu de travail et, de manière générale, je me suis toujours sentie accueillie dans mon équipe en tant que femme.
Lorsque j’ai annoncé à ma famille que je souhaitais entreprendre cet apprentissage, j’ai fait face à des réactions de surprise et de peur. Mes parents me font confiance et me soutiennent, mais ils se sont inquiétés puisque c’est un métier dangereux. Je leur ai alors prouvé que je suis prévenante, que je réussis les cours et que je souhaite réellement travailler dans le monde forestier.
J’ai eu la chance d’avoir pu discuter avec une bûcheronne avant de commencer mon apprentissage. J’ai pu lui faire part de mes questionnements, comme des questions pratiques à propos des menstruations sur le lieu de travail, et ses réponses m’ont rassurée. Elle m’a montré que c’était faisable, mais j’ai aussi compris que ça allait être difficile, elle a été extrêmement honnête. J’ai quand même voulu continuer parce que je me sentais capable et que c’est le métier qui me plaît.»
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Marie Tschanz 16 ans, apprentie constructrice de routes de 1re année, Le Noirmont (JU):
«Mes collègues ont compris que je suis à ma place»
«Je ne pense pas que j’avais peur avant de commencer mon apprentissage, j’en avais vraiment envie et je suis très têtue. Et j’ai eu raison: je travaille aujourd’hui dans un milieu très bienveillant. Tant mon patron que la plupart de mes collègues sont compréhensifs, même s’ils ont été un peu surpris en me voyant pour la première fois! Je crois que mon patron se faisait du souci pour moi au début, mais tout se passe bien aujourd’hui et il est très ouvert à la discussion, sur tous les aspects. Je me souviens même qu’il s’était excusé de ne pas pouvoir mettre de vestiaire à ma disposition – notre entrepôt n’a qu’un vestiaire! Il m’a alors arrangé les toilettes, ce qui fait que j’ai mon vestiaire privé.
De manière générale, je m’entends bien avec mes collègues, même si, sur certains chantiers avec d’autres équipes, ça peut être un peu compliqué, mais c’est vraiment rare. Certains peuvent être un peu plus rustres que d’autres et j’entends régulièrement des blagues sur le fait que je suis une fille. Mais ça ne me dérange pas et je me contente d’en rire; je ne m’y attarde pas et tout le monde passe à autre chose. Je pense que mes collègues ont compris que je suis à ma place, j’ai fait mes preuves et je les fais toujours en montrant qu’en tant que fille je suis à ma place. Peut-être qu’au fond certains pensent le contraire, je ne sais pas. Mais je me fiche bien de ce que les autres peuvent penser, je vais leur prouver que je suis tout à fait capable de faire ce métier. Je me sens dans mon élément, alors je vais aller jusqu’au bout!
Du côté de ma famille, j’ai reçu beaucoup de soutien et j’en reçois encore beaucoup aujourd’hui. J’ai aussi tissé des liens avec l’autre fille de ma classe d’apprentissage.
Je suis tout à fait consciente que j’aurais pu me trouver dans une situation bien plus difficile. Je m’estime heureuse et très reconnaissante de faire un apprentissage qui me plaît. Je sens que j’ai grandi et évolué durant cette année, je m’y sens à ma place.»
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Isaline Keller, apprentie menuisière de 1re année dans l’entreprise familiale, Berlens (FR):
«On devrait toutes et tous être féministes»
«Sur mon lieu de travail, je n’ai jamais eu de problèmes puisque je suis seule dans l’entreprise familiale avec mon papa. Ça ne veut pas dire que c’est facile tous les jours pour autant! Par exemple, au niveau des habits de travail, c’est plus difficile que ce que l’on peut penser. Les vêtements pour hommes sont faits pour travailler, avec des grandes poches, alors que ceux pour femmes donnent l’impression d’être faits pour bricoler, ils ne sont pas fonctionnels… ça me dépasse: on fait exactement le même métier! Au-delà de ce détail, dans certains contextes, je ne me sens pas accueillie. Lorsque je me rends sur des chantiers, tout le monde est toujours très étonné, même s’ils n’ont pas tous des réactions négatives.
Je me suis effectivement pris des petits commentaires lorsque je travaille sur des chantiers ou encore à l’école: quand ce n’est pas négatif, on souligne le fait que je suis une fille et on me dit: «Ah… les temps changent.» Mais arrêtez avec cette phrase! Les temps auraient dû changer il y a bien longtemps. Je reste malgré tout optimiste, je me dis sans cesse que ça pourrait être pire: je me motive, pour prouver à ceux qui ne croient pas en moi que je suis capable et que je vais me faire ma place.
Lorsque j’ai réfléchi à cet apprentissage, je me suis bien rendu compte que très peu de femmes travaillent dans la branche. Je me demandais alors à quel niveau se trouvait le problème: on ne les engage pas parce qu’on ne les pense pas capables ou elles ne se sentent pas capables et donc elles ne se lancent pas parce qu’on ne les engage pas? Au fond, c’est vrai que ce n’est vraiment pas un monde accueillant pour les femmes et que c’est un métier considéré comme masculin. Mais je ne comprends vraiment pas comment on peut définir un métier comme masculin ou féminin alors qu’au final on vient juste pour travailler.
Sans être militante, je suis féministe. Hommes comme femmes, on devrait toutes et tous être féministes. J’essaie à mon niveau de faire ce que je peux, je défends mes positions dans des débats et j’essaie de sensibiliser mon entourage.»
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Charlotte Dias, apprentie mécanicienne automobile de 3e année, Martigny (VS):
«Les voitures me passionnent depuis l’enfance»
«Lorsque j’ai souhaité me réorienter professionnellement, j’ai choisi de me diriger dans un domaine qui me plaît et qui me passionne depuis petite: les voitures. J’ai effectué plusieurs stages durant lesquels j’ai compris que j’avais toutes les capacités nécessaires pour un métier en mécanique automobile. Je me demandais par contre si j’avais ma place dans un monde masculin. Plusieurs personnes m’ont dit que je n’y arriverais pas. Je ne comprends pas pourquoi on m’a dit ça, je ne suis pas plus bête qu’un autre. Je souhaite juste être considérée de la même manière qu’un garçon et prouver que je suis capable des mêmes choses. A l’école, nous n’avons pas un accès direct à la salle des cours pratiques depuis notre vestiaire. C’est dénigrant de devoir attendre devant la porte alors que les garçons sont déjà installés. Ce serait déjà une bonne avancée si les apprenties avaient les mêmes droits que les garçons.
A force, j’ai constaté que les commentaires, qui sont constants et parfois très décourageants, forgent le caractère. Les remarques positives sont elles aussi parfois absurdes: on me félicite alors que j’exerce le même boulot qu’un garçon, avec passion et fierté.
C’est sûr qu’il faut être un peu têtue et avoir la niaque pour se lancer dans un métier très masculin. Je connais beaucoup de filles qui n’ont pas osé se lancer, par peur du sexisme et du regard des gens. Je me souviens qu’un jour j’avais tapé sur internet «emploi mécanicienne» et Google m’avait demandé si je voulais dire «emploi mécanicien». Aujourd’hui, je rajoute la terminaison «-ne» sur toutes les fiches qui me concerne, surtout à l’école parce que je veux montrer que des filles sont présentes dans le domaine. J’espère vraiment qu’il y en aura de plus en plus.
Je me considère comme féministe à travers mon métier: je fais cet apprentissage d’abord pour moi, ensuite pour celles et ceux qui m’ont dit que je n’y arriverais pas et, finalement, pour les personnes qui m’ont encouragée. Je ne me vois pas travailler dans un garage toute ma vie, c’est épuisant. Mais je sais que je vais rester dans la branche, que j’aurai fait ce qui me plaît et, surtout, j’aurai prouvé que c’est possible!»
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