Un thé chaud parfumé et des biscuits à la pistache embaument son appartement dans un quartier résidentiel de Genève. Shady Ammane, professeur en littérature et en histoire, est le fondateur du Collectif Jasmin, une association de mobilisation qui soutient la population syrienne plongée dans un conflit armé depuis douze ans. Quelques jours après le séisme de magnitude 7,8 qui a secoué la Turquie et son pays d’origine, il raconte le chagrin de toute une nation, prisonnière d’un quotidien à des kilomètres du sien. D’où une volonté infatigable d’aider la Syrie depuis la Suisse. «Comme tout le monde, je porte le deuil. Je reçois beaucoup de témoignages de survivants. Il n’y a pas besoin de lire l’arabe pour comprendre leur contenu. Regardez tous ces émojis en larmes et ces cœurs brisés!» nous montre le père de famille en contact permanent avec ses proches sur place.
Dans la région d’Idlib, la partie du pays la plus touchée par le tremblement de terre, des milliers d’habitations ont été éventrées. «Les immeubles construits ces dernières années contiennent plus de sable que de béton. Ils se sont tous effondrés. Imaginez une maison de poupée où l’on voit toutes les pièces car la façade a disparu. Chaque étage risque de s’affaisser à tout moment. Aujourd’hui, des amis dorment dans leur voiture, combattant le froid humide de l’hiver. Démunis, ils remontent chez eux pour aller aux toilettes ou avoir un peu d’eau potable. Ils prient pour que les fissures ne cèdent pas», raconte le quadragénaire. Selon les dernières estimations, 5,3 millions de Syriens et de Syriennes pourraient se retrouver sans abri en conséquence de cette catastrophe naturelle.
Des victimes isolées
Et à l’heure où nous bouclons cet article, le bilan humain s’élève à plus de 4500 morts (en Syrie) selon la chaîne de télévision Al Jazeera. Pour Shady Ammane, ce chiffre cache une réalité encore plus dure. «Il n’y a pas assez d'infrastructures pour les fouilles. La population fait ce qu’elle peut à main nue. Il y a en tout cas trois fois plus de victimes selon les habitants. Le régime n’a pas encore décrété de deuil national ou proposé une trêve. Une violence de plus pour le peuple syrien», ajoute-t-il. Le conflit entre le régime de Bachar el-Assad et les zones dites rebelles ajoute des défis logistiques à l’acheminement de l’aide internationale.
Ces derniers jours, ce territoire coupé du reste du monde est revenu au centre des discussions diplomatiques. «L’Etat syrien bloque tout et centralise les convois à Damas. La redistribution aux victimes des régions touchées n’est pas fiable», déclare encore Shady Ammane. Dénonçant les violations des droits de l’homme, certains pays membres de l’Union européenne ne souhaitent pas directement coopérer avec le gouvernement. «Il faut séparer les considérations politiques de l’impératif humanitaire», insiste Robert Mardini, directeur général du Comité international de la Croix-Rouge au micro de la RTS. Cinq jours après la première secousse, le pouvoir syrien accepte finalement l’envoi de marchandises dans les régions en question, à condition qu’il soit supervisé par le CICR et le Croissant-Rouge syrien.
De Genève à Idlib
Quelles que soient les annonces officielles, le collectif de Shady Ammane ne change pas sa trajectoire. Il cherche de nouveaux itinéraires pour transporter des marchandises jusqu’en Syrie. «Nous sommes en lien avec les Casques blancs (ndlr: les secouristes des zones rebelles, considérés comme des opposants par le régime) et nous allons trouver des entrées même si c’est risqué. Par exemple en passant par l’Irak. Depuis des années, ils traversent clandestinement la frontière pour amener des vivres, que ce soit avec des ânes ou des mobylettes qui roulent la nuit sans phares!»
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Avant que les convois n'arrivent à destination au Moyen-Orient, rendez-vous au centre-ville de Genève dans la boutique Guys & Dolls. L’enseignant remplit son coffre de doudounes, de parkas en plumes, de pulls en laine et de chapkas neuves. Derrière la vitrine, la propriétaire, Elodie Dell’Ova, vide les rayons hiver de son magasin de vêtements pour enfants. «Au mieux, ces habits finiront à bon port. Ou alors ils seront distribués aux réfugiés dans le sud de la Turquie», lui annonce Shady Ammane, ému par la générosité de la commerçante. Elle ajoute des dizaines de doudous. «Je sais que ce n’est pas un produit de première nécessité mais je peux?» lance-t-elle en traversant les locaux à la recherche de bonnets et de gants à ajouter dans la pile. «Les enfants sont bouleversés quand ils découvrent des nounours dans le carton. C’est aussi important en ce moment», lui répond Shady Ammane en la remerciant.
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Alors qu’il doit rentrer chez lui tout emballer dans des sacs, le Genevois programme d’aller pendant le week-end faire la tournée des pharmacies de son quartier. «Les antidouleurs, c’est de l’or là-bas!» Il appelle aussi aux dons les citoyens et citoyennes suisses, en partageant sur ses réseaux les liens des associations en lesquelles il a confiance. «Avec 350 francs, on aide une famille de quatre personnes pendant une semaine à dormir dans une tente et à manger», calcule-t-il. La Chaîne du Bonheur a récolté plus de 14 millions de francs à ce jour. Cet élan général de solidarité dans son pays de naissance pour son pays de cœur le touche beaucoup. «Merci de ne pas oublier la Syrie!»
>> Vous souhaitez apporter votre aide? Shady Ammane suggère aux donateurs de se tourner vers le site des Casques blancs: www.whitehelmets.org