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Mémoire: Comment ne pas perdre la boule?

Dotée d’une grande complexité, la mémoire est capable de déployer des facultés multiples pour reconstituer le puzzle de nos souvenirs. Certains facteurs peuvent prévenir ou au contraire aggraver les troubles de la mémoire. Quels signes peuvent évoquer une pathologie plus profonde? Décryptage.

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Mémoire

Dotée d’une grande complexité, la mémoire est capable de déployer des facultés multiples pour reconstituer le puzzle de nos souvenirs. 

Artur Debat/Getty Images

Impossible de remettre un nom sur cette professeure de maths qui vous a pourtant marqué à l’adolescence ou de retrouver le titre du dernier livre que vous avez lu et tellement apprécié? Les trous de mémoire surgissent souvent là où on ne les attend pas et nous concernent tous. Phénomène sélectif tout à fait naturel – voire nécessaire – du cerveau, ils ne doivent pas inquiéter et peuvent même être en partie contrés par une bonne hygiène de vie.

Parfois, ils indiquent cependant le début d’une pathologie latente, comme la maladie d’Alzheimer, la plus souvent évoquée lorsque des troubles de la mémoire apparaissent. Comment distinguer un oubli anodin d’un signe inquiétant? Peut-on entretenir sa mémoire et ainsi prévenir la démence? Plongée au cœur de ce mécanisme fascinant, témoignage autant de notre histoire individuelle que de notre lignée humaine, et qui recèle encore bien des secrets.

1. Les troubles de la mémoire sont-ils inéluctables?

Comme les autres organes, le cerveau est appelé à vieillir, c’est une fatalité. Avec l’âge, nous faisons tous face, plus ou moins tardivement, à une diminution de nos performances cognitives. «De la même façon qu’on ne peut pas courir un marathon à 90 ans, nos capacités cérébrales ne sont pas identiques à tout âge», affirme le Pr Gilles Allali, directeur du Centre Leenaards de la mémoire du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

Mémoire, vitesse de traitement des informations ou attention sont ainsi impactées par les modifications de la structure cérébrale liées au vieillissement. Ces dernières sont dues à une multitude de facteurs, comme une altération des neurotransmetteurs et des tissus nécessaires à la propagation de l’influx nerveux, des modifications au niveau des cellules nerveuses ou encore une accumulation de substances toxiques pour les neurones.

2. Des mémoires plurielles

De quoi parle-t-on véritablement lorsque nous évoquons la mémoire? De nos souvenirs d’enfance, de nos apprentissages passés ou actuels, de savoir-faire, des perceptions les plus fugaces? Tous ces éléments constituent une vaste bibliothèque parfaitement organisée.

Et le cerveau est bien fait: pour ne pas se laisser saturer par un trop-plein d’informations inutiles, il sélectionne et sauvegarde les éléments qu’il juge importants parmi les souvenirs lointains ou proches. «Cette mémoire sélective est à différencier des troubles de la mémoire à proprement parler, puisque c’est alors le cerveau lui-même qui gère son stock pour l’optimiser», explique le Pr Gilles Allali.

Lorsqu’ils franchissent le seuil de la mémoire à long terme, les souvenirs peuvent être divisés en deux catégories: la mémoire sémantique et la mémoire épisodique. La première regroupe nos apprentissages – comme ceux liés à notre langue maternelle – ou des connaissances universelles partagées par tous, comme des faits historiques, une histoire nationale commune, etc. La seconde fait appel à notre parcours de vie, nos ressentis propres: ces choses qui n’appartiennent qu’à nous.

Bien souvent, les «trous de mémoire» concernent la mémoire à court terme ou relèvent de banals troubles de l’attention, généralement passagers et réversibles. «Il faut bien distinguer ces deux notions, précise Gilles Allali. D’un point de vue médical, dans le cadre de la détection de maladies neurodégénératives, le mot «mémoire» ne renvoie pas à l’attention mais bien à la mémoire sémantique ou épisodique.»

3. Pas tous égaux face au déclin

Comme pour beaucoup d’autres choses, nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis du vieillissement. De nombreux paramètres viennent agir sur ce processus: bagage génétique, maladies passées ou actuelles, sexe, milieu socioculturel, etc. Une femme de 65 ans pourra ainsi commencer à oublier des pans entiers de sa vie, tandis qu’un homme de 90 ans gardera ses souvenirs intacts.

Hormis l’âge, qui apparaît comme le principal facteur de perte de mémoire, il est désormais acquis que le niveau d’éducation est aussi impliqué. Grandir dans un milieu socioculturel privilégié favoriserait en effet les bonnes performances cognitives. «Nous savons également que les personnes avec un facteur de risque cardiovasculaire (hypertension, obésité, diabète, etc.) présentent un risque accru de déclin cognitif accéléré», ajoute Gilles Allali.

4. Les amis de notre mémoire

Certains aliments possèdent des vertus neuroprotectrices: c’est le cas par exemple de ceux riches en oméga 3, des acides gras essentiels au bon fonctionnement du cerveau. Les fruits à coque (noix, noisettes, amandes, etc.), les huiles (colza, lin, etc.) ou les poissons gras peuvent ainsi favoriser les connexions neuronales et le renouvellement des cellules cérébrales. Outre le fait d’améliorer la mémoire et la concentration, ces aliments permettraient également de prévenir les démences. «Il a été observé que chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer qui suivent un régime méditerranéen, la maladie progresse moins rapidement que celles qui favorisent une alimentation riche en aliments transformés, sodas, etc.», constate Gilles Allali.

Le sommeil, essentiel au bon fonctionnement de l’organisme, entre également en jeu dans la consolidation de la mémoire. La pause nocturne n’en est pas réellement une pour le cerveau. Celui-ci profite en réalité de l’accalmie de l’activité corporelle pour se consacrer au tri et à la fixation des souvenirs, aussi bien durant les phases de sommeil lent (activité cérébrale très ralentie) que de sommeil paradoxal (activité cérébrale intense).

Plusieurs études ont ainsi souligné l’intérêt de prendre en charge rapidement les troubles du sommeil chez les personnes âgées pour ralentir l’apparition de déficits cognitifs.

5. Les ennemis de notre mémoire

En engourdissant les circuits neuronaux, l’alcool est le principal pourvoyeur de troubles de la mémoire. Sur le long terme, il peut avoir des conséquences irréversibles. D’autres substances toxiques peuvent affecter l’attention, comme certains médicaments (anxiolytiques, somnifères…), qui perturbent le sommeil et nuisent à la consolidation des souvenirs durant la nuit. «Des accidents vasculaires cérébraux ou certains troubles métaboliques non traités peuvent aussi affecter la mémoire», souligne Gilles Allali.

Autre élément délétère: un traumatisme physique ou des chocs crâniens répétés (dans le cadre d’un sport de contact par exemple) ont un impact immédiat ou à long terme sur la mémoire. «C’est un constat qui commence à émerger et qui amène à reconsidérer les règles de certains sports, précise le spécialiste. Des études ont montré par exemple que les boxeurs développent des démences plus précoces que le reste de la population.»

D’un point de vue psychologique, le stress a aussi une influence négative. D’un côté, il est essentiel à notre survie en aiguisant notre vigilance et en accélérant notre fuite en cas de danger. Mais de l’autre, lors d’une montée de stress importante, notre mémoire se retrouve débordée par le flux d’hormones sécrétées par les glandes endocrines, et l’hippocampe, enregistreur de nos souvenirs, a le plus grand mal à retrouver des faits déjà enregistrés.

Enfin, un épisode traumatique (un viol par exemple) peut amener à un phénomène de conversion et provoquer une amnésie consécutive au choc émotionnel.

6. Simple oubli ou début de démence?

Voilà une question complexe qui peut se poser face à des oublis fréquents et inexpliqués. Pour le spécialiste de la mémoire, les choses sont claires: «Nous avons des normes statistiques, basées sur la population générale en Suisse, qui nous permettent de détecter les cas pathologiques.» Lorsqu’une diminution des performances cognitives apparaît très tôt ou chez des personnes qui ne présentent pas de facteur de risque particulier, des investigations peuvent être menées pour identifier une maladie vasculaire ou neurodégénérative – comme un alzheimer – sous-jacente.

Les premiers symptômes se manifestent généralement longtemps après le début biologique de la maladie, mais certains signes, comme une plainte cognitive (impression que la mémoire décline subitement) ou une dépression inexpliquée, doivent amener à consulter son médecin généraliste. Celui-ci pourra orienter le patient vers un centre spécialisé qui, en fonction de la plainte et des facteurs de risque, proposera des tests cognitifs, une imagerie cérébrale ou des prélèvements biologiques.

Par Clémentine Fitaire publié le 15 avril 2022 - 09:45