Pauvre Melania. Affublée d’un époux grossier et insupportable, comme le montre son refus de lui donner la main en public. Dès l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier 2017, les internautes font leur beurre de l’image, diffusée par les caméras du monde entier, du sourire étincelant qu’elle lui décoche avant de s’assombrir instantanément.
Dans la foulée, le hashtag #freemelania («libérez Melania») fleurit sur Twitter comme sur des t-shirts. Une histoire que beaucoup aiment se conter, tant il paraît inimaginable que quiconque puisse s’infliger d’avoir l’actuel président comme partenaire de vie. Et voilà que paraît «The Art of Her Deal: The Untold Story of Melania Trump». Chevronnée journaliste politique au Washington Post, Mary Jordan met à mal cette vision réductrice, pour ne pas dire sexiste. Melania n’a nul besoin d’être libérée, délivrée de son royaume de solitude.
Le titre du livre est un jeu de mots sur le best-seller «The Art of the Deal» (L’art de la négociation, Ed. Archipode), qui a assis la réputation, à la fin des années 1990, de Trump en homme d’affaires roublard. Selon Mary Jordan, qui a enquêté pendant cinq ans, Melania serait bien plus influente qu’il n’y paraît.
Les premiers mois de 2017, à la surprise générale, elle reste à New York. Officiellement pour que son fils Barron, aujourd’hui âgé de 14 ans, termine l’année dans son école privée de l’Upper West Side. En coulisses, elle renégocie pied à pied son contrat de mariage. La Maison-Blanche, ok, mais ce n’est que sous certaines conditions qu’elle quittera le clinquant appartement-terrasse de la Trump Tower.
Ce que Melania a obtenu, c’est notamment une garantie financière pour son fils, en lui assurant les mêmes parts dans l’empire de la Trump Organization que ses demi-frères et demi-sœur aînés, Donald Jr., Ivanka et Eric. Les enfants d’Ivana Trump sont très impliqués dans les affaires immobilières et politiques de leur père; Ivanka et son mari Jared Kushner sont devenus des conseillers incontournables à la Maison-Blanche. Les relations entre l’aînée de Donald – il a une autre fille, Tiffany, de son deuxième mariage – et Melania, qui aurait également obtenu la garantie de toucher plus d’argent en cas de divorce, seraient glaciales. La fille chérie, si ambitieuse que certains la voient déjà devenir présidente à son tour, agace sa belle-mère, qui la surnomme «la princesse». Plus jeune, Ivanka le lui rendait en l’appelant «le portrait» tant Melania s’exprime peu.
«Cache tes pouvoirs, n'en parle pas. Fais attention, le secret survivra», dit la chanson. Melania a toujours été ainsi, secrète, discrète. Mais déterminée. Mary Jordan souligne combien elle a su s’adapter pour plaire à Donald, rencontré à New York en 1998 et épousé en 2005 – elle a alors 35 ans. Pour le comprendre, elle a dévoré ses 17 livres et fait en sorte de ne jamais lui voler la vedette. Un ancien colocataire à New York résumera ainsi les choses: «[Melania] a toujours pensé que si une chose avait un prix très élevé, cette chose était superbe.»
Aujourd’hui, si Melania est très écoutée par son époux, qui l’appelle après chaque meeting, elle vit sa vie et lui la sienne. Elle a installé ses parents à la Maison-Blanche. Avec Barron, ils forment un quatuor soudé qui s’entretient en slovène, ce qui désarçonne totalement les services secrets. Et Donald Trump, «qui s’est plaint à d’autres qu’il n’a aucune idée de ce qu’ils racontent». Sa famille est l’unique lien qu’elle a gardé de son enfance en ex-Yougoslavie. Elle a comparé son père Viktor, qui était chauffeur de taxi, à son mari. «Ils ont les mêmes valeurs familiales et travaillent dur.»
Aujourd’hui, elle fait profiter parents et sœur de sa vie privilégiée. Viktor et Amalija Knavs, ex-couturière dans une usine de textile, et Ines, qui a son propre appartement dans la Trump Tower, ont été naturalisés en 2018. En pleine lutte de l’administration contre l’immigration. Mary Jordan souligne que la manière dont Melania a pu s’installer aux Etats-Unis reste un mystère.
Sur le plan politique, les observateurs désespèrent de comprendre la première dame. Lors de la campagne pour l’élection de 2016, elle n’a pas hésité à jeter de l’huile sur le feu des rumeurs persistantes, véhiculées par son mari comme par l’ultra-droite, selon lesquelles Barack Obama aurait falsifié son certificat de naissance.
A la Maison-Blanche, où les First Ladies se consacrent traditionnellement à l’enfance malheureuse, elle dirige la campagne «Be Best» («Sois meilleur»), qui entend lutter contre le cyberharcèlement et la drogue. Des efforts ridiculisés par les éructions verbales et insultantes de Donald Trump sur Twitter. En 2018, les médias se perdent en conjectures lorsque, visitant au Texas un centre de détention de mineurs migrants, elle porte une veste avec les mots «I really don’t care, do u?» («Je m’en fiche complètement, et toi?») Un message, ont confié des sources de la Maison-Blanche, destiné à Ivanka comme aux médias de gauche.
Mary Jordan ne fait que lever un coin du voile sur Melania, tant les gens qui la côtoient ont peur de parler et tant elle se protège. La Maison-Blanche a d’ores et déjà dénoncé un ramassis d’inventions. La maison d’édition Simon & Schuster enfonce le clou: parallèlement à la biographie, elle vient de publier l’ouvrage accusateur du faucon John Bolton, bref conseiller présidentiel, et vient de se voir accorder par la justice le droit de faire paraître un autre livre qu’elle promet retentissant, écrit par la nièce de Donald. Dans ses appartements de la Maison-Blanche, Melania fredonne peut-être «pas d’états d'âme, pas de tourments, de sentiments».