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Méga-événements sportifs: vers la fin de la démesure? 

A l’heure du réchauffement climatique et des réseaux sociaux, les événements sportifs mondialisés suscitent de plus en plus de controverses et de contestations, à commencer par le Mondial du Qatar. Après le phénomène du «flygskam», la honte de prendre l’avion, les fans de sport vont-ils être frappés de la honte de regarder un match de foot ou une descente olympique? Décryptage.

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Khalifa International Stadium

L’actuel Mondial, dont la finale aura lieu le 18 décembre au Qatar, a enchaîné les polémiques et appels au boycott comme rarement. Ici une image du Khalifa International Stadium.

Balkis Press/ABACA
carré blanc
Julie Rambal

C’est l’un des derniers coups d’éclat dont la FIFA (Fédération internationale de football association) se serait sûrement bien passée. Le 2 novembre, l’Alliance climatique suisse a déposé une plainte auprès de la Commission suisse pour la loyauté, accusant l’instance sportive de publicité mensongère. En cause, l’annonce d’une Coupe du monde «entièrement neutre sur le plan climatique». Impossible, selon nombre d’acteurs écolos. La société Greenly estime ainsi que cette nouvelle célébration du ballon rond devrait rejeter 6 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, dont 40% liés au transport et 27% à la construction de stades et complexes hôteliers. Sans oublier l’énergie nécessaire pour la retransmission des matchs sur le globe… «Nous avons déposé une plainte contre la FIFA pour écoblanchiment, car les informations communiquées sur la protection du climat sont incorrectes. Or comment résoudre la crise climatique si on nous assure qu’il n’y a jamais d’impact?» résume Christian Lüthi, directeur de l’Alliance climatique suisse, qui a pu bénéficier de l’aide de l’association romande Avocat.e.s pour le climat dans cette action en justice. Davantage symbolique que punitive, la plainte vise surtout à alerter l’opinion publique alors que le réchauffement climatique a pris des airs de cocotte-minute. 

Athènes

Baptisés «éléphants blancs», les équipements construits uniquement pour les JO, et abandonnés ensuite, ne passent plus. Les Jeux d’Athènes 2004 et sa cohorte de sites en ruine, tel son centre olympique de canoë-kayak, symbolisent encore la démesure.

Getty Images

«La communication sur cette Coupe du monde est problématique à plusieurs niveaux, précise Me Quentin Cuendet, membre d’Avocat.e.s pour le climat. Ainsi, la FIFA n’est pas claire quant à la manière dont elle entend réduire les émissions liées à l’événement et à la quantité exacte d’émissions générées. Elle annonce par exemple une suppression des vols intérieurs au Qatar durant toute la durée de la Coupe, mais ne tient pas compte des centaines de vols navettes permettant aux supporters de rallier le pays chaque jour. La FIFA se fonde également beaucoup sur le mécanisme de la compensation carbone, alors que la possibilité même de compenser les émissions liées à un tel événement est largement remise en cause. Au final, la communication de la FIFA revient à faire croire à un public nombreux, potentiellement des milliards de personnes, que l’on pourrait organiser un événement d’une telle ampleur en n’entamant pas notre budget carbone. C’est une illusion.» Déjà sous le feu des critiques pour le traitement que le Qatar réserve aux travailleurs étrangers, voici la Coupe accusée de greenwashing, avec des appels au boycott massifs et des municipalités refusant les unes après les autres d’ouvrir des fan-zones, ces lieux de liesse au temps de la paix… 

>> Lire aussi: Méga-événements sportifs: «Les boycotts partiels peuvent parfois être contre-productifs»

Car la brouille semble consommée entre nombre de fans de sport et les grands-messes athlétiques. Dès l’annonce de l’attribution des Jeux asiatiques d’hiver 2029 à l’Arabie saoudite, au début d’octobre, beaucoup ont même eu la tentation de réclamer le divorce, se demandant si le fameux esprit du sport ne consisterait pas finalement à ignorer les vraies préoccupations du monde. «La réalité est à mon avis plus nuancée», prévient Sven Daniel Wolfe, géographe urbain et politique à l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne, et spécialiste des méga-événements sportifs. «La plupart des organisateurs de ce genre d’événement croient que le sport a le pouvoir de changer la société, et je comprends ce point de vue, car ces événements captent l’attention de milliards de personnes, et le moindre changement politique, économique ou même écologique veut donc dire quelque chose pour la société, poursuit-il. Mais le problème est que l’appât du gain reste trop puissant.» Le chercheur a notamment participé à une étude sur la durabilité des Jeux olympiques (JO), en s’appuyant sur l’analyse de 16 JO d’été et d’hiver depuis 1992, avec des résultats démontrant que les manifestations n’avaient pas cessé de grandir en termes de taille et de coûts. 

Arabie Saoudite

Les Jeux asiatiques d’hiver 2029 doivent se dérouler en Arabie saoudite, avec la construction d’une station enneigée artificiellement en pleine zone de montagne. Mais pour quel bilan carbone?

DUKAS/FERRARI PRESS

Festivals culturels annulés à cause des JO 2024 à Paris

«C’est pour cela que le Comité international olympique (CIO) a fait une nouvelle charte préconisant que les jeux soient moins coûteux et qu’il n’y ait plus ce gigantisme que l’on a pu voir à Sotchi ou à Pékin. Le dossier des JO 2024 à Paris est d’ailleurs deux à trois fois moins cher que le dossier des JO à Londres en 2012», ajoute Sven Daniel Wolfe. Hélas, fini le temps où Daniel Craig, déguisé en James Bond, pouvait escorter la reine Elisabeth II jusqu’à la cérémonie d’ouverture en faisant tournoyer un hélicoptère au-dessus du stade sans susciter la grogne, seulement un sentiment de fierté nationale… Deux ans avant l’arrivée de la flamme olympique dans la capitale, les JO de Paris enchaînent déjà les polémiques. Dont une que personne n’attendait: l’annulation possible des grands festivals culturels d’été, qui font vivre nombre de régions, en raison de la mobilisation des forces de l’ordre pour la sécurité des Jeux. A Paris, les opposants se multiplient aussi, regroupés autour du collectif Saccage 2024, qui dénonce des destructions écologiques et sociales, surtout dans le département de la Seine-Saint-Denis, collé à Paris, où les grues ont envahi le ciel. «Cela fait longtemps qu’on entend parler de JO soutenables, et ceux de Paris assurent utiliser 95% d’infrastructures existantes ou temporaires. Mais il s’agit de sites sportifs, et non du village des médias, ni de celui des athlètes, qui est aujourd’hui le plus gros chantier en France, avec 37 grues au même endroit. On n’a jamais vu ça. Ces méga-constructions devront ensuite être transformées en logements, certes, mais ça va surdensifier un tissu urbain déjà très dense», détaille Arthur, membre du collectif.

Jardins ouvriers détruits, nouvel échangeur routier prévu à proximité d’une école… les bras de fer s’enchaînent à un an et demi des célébrations. «Les Jeux de Paris seront sûrement mieux écologiquement que les Jeux de Sotchi, et sûrement moins mauvais socialement que les Jeux de Rio, où l’on a envoyé des tanks dans les favelas pour expulser les populations, avant de construire des cinq-étoiles, mais est-ce que ce seront des Jeux verts qui constitueront un tournant dans l’histoire des Jeux olympiques? J’en suis moins sûr», soupire encore Arthur. En redessinant les villes, ces grandes célébrations sportives font néanmoins des reconvertis, qui y voient l’occasion d’améliorations urbanistiques. «De nos jours, je ne sais pas pourquoi, on a tendance à lier les grands investissements dans les projets publics à ce genre d’événements, qui pourraient par ailleurs se faire sans, constate Sven Daniel Wolfe. Et c’est pour cela que réclamer l’arrêt complet de ces événements ne me semble pas forcément la bonne solution. Trop de gens dans le monde adorent les Jeux, et on ne peut pas les ignorer non plus. Mais ce système est malheureusement un peu malade. On doit l’améliorer sur le plan de la durabilité non seulement écologique, mais aussi politique et socioéconomique. Pour cela, il faut mieux éduquer les autorités et les populations sur les avantages, mais aussi leurs risques.»

La fête peut-elle continuer?

Selon le chercheur, l’analyse la plus juste des méga-événements sportifs consiste à les comparer à une «grande fête à la maison» où l’on doit investir dans la nourriture, les boissons et le nettoyage à la fin. Parfois, même, il faut «ajouter une piscine et construire un deuxième étage», non pas pour gagner de l’argent – jusque-là, les Jeux ont toujours explosé les budgets et laissé une ardoise au pays hôte – mais pour passer un bon moment entre amis. Alors, à l’heure du changement climatique, la fête peut-elle continuer? Au CIO, où les mesures pour les futurs JO s’accumulent, on assure que «le changement climatique est l’un des plus graves défis auxquels l’humanité ait jamais été confrontée, et le CIO le considère comme tel. A l’instar de bon nombre d’autres industries, celle du sport est de plus en plus touchée par le changement climatique, tant en hiver qu’en été. C’est pourquoi nous n’avons de cesse d’être plus ambitieux pour y remédier.» Sinon, la société civile veille.

Par Julie Rambal publié le 23 novembre 2022 - 08:53