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Sport

Méga-événements sportifs: «Les boycotts partiels peuvent parfois être contre-productifs»

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et auteur de «Comprendre l’histoire de la Coupe du monde de football» (Ed. Le courrier du livre), revient sur les protestations qui touchent les fêtes sportives.

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Rassemblement anti JO

Rassemblement devant l’Hôtel de Ville en février 2021 à Paris contre les Jeux olympiques de 2024.

NnoMan Cadoret/Reporterre
carré blanc
Julie Rambal

- La contestation des méga-événements sportifs n’est pas neuve, selon vous.
- Pascal Boniface: Elle est régulière. Il y a même un substrat de gens critiques sur tous les événements, parce qu’ils pensent que le sport prend trop d’importance, et il y a ensuite des protestations plus spécifiques, contre un régime, l’action d’un pays, etc. Et là, c’est varié, du boycott des Jeux olympiques à Moscou en 1980, par certains pays occidentaux, aux demandes non abouties de boycott des Jeux olympiques de Pékin, en 2022. On a aussi vu quelques protestations contre la Coupe du monde de football en Italie, en 1934, et ceux qui contestaient les Jeux de Berlin en 1936 prévoyaient des contre-Jeux à Barcelone, mais ils en ont été empêchés par la guerre civile espagnole. Pour la Coupe au Qatar, on voit de nouveau des demandes, avec une focalisation sur l’environnement ou la politique du pays.

- Qu’attend un pays hôte de l’organisation d’un événement sportif international? 
- Dès le début, il s’est agi de montrer sa puissance et son rayonnement. Ce qu’on appelle le «soft power». La première Coupe du monde de football a été organisée en Uruguay en 1930, parce que le pays voulait exister sur la carte, dans la mesure où il estimait être coincé entre les deux géants brésilien et argentin. Et ce sont exactement les mêmes raisons qui ont conduit le Qatar à vouloir organiser un tel événement. On dit souvent que ce sont les pays autoritaires ou dictatoriaux qui veulent faire cela, mais c’est également vrai pour les démocraties. La ville de Londres était heureuse d’être le centre du monde durant les JO de 2012, et Paris en fera de même en 2024. Chaque pays a ses spécificités, je ne vais pas mettre sur le même plan démocratie et dictature, mais on organise une épreuve sportive mondialisée pour exister aux yeux du monde.

- On dit que les polémiques sont plus grandes quand l’événement n’est pas dans un pays occidental. Est-ce vrai? 
- Il existe une protestation qui recouvre une tendance, dans certains pays occidentaux, à avoir du mal à accepter que le sport se multipolarise, avec une désoccidentalisation du monde au niveau sportif. Ensuite se pose la question de la nature du régime politique. 

Pascal Boniface

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et auteur de «Comprendre l’histoire de la Coupe du monde de football» (Ed. Le courrier du livre). 

Martin Bureau/AFP via Getty Images

- Sur ce plan, le Qatar n’est pas exemplaire.
- Ce n’est pas une démocratie, effectivement, et ce qui focalise l’attention est surtout le sort réservé aux travailleurs immigrés qui ont pour la plupart construit les stades dans lesquels on va jouer. 

- Vous allez néanmoins regarder cette Coupe avec autant de plaisir que la précédente? 
- La précédente n’était pas non plus dans un pays qui n’était pas problématique. Elle se déroulait en Russie. Mais honnêtement oui. Je pense qu’il faut se servir de cette Coupe comme d’un levier pour obtenir du Qatar des améliorations pour le sort des travailleurs émigrés notamment. Par ailleurs, je pense que le boycott tel qu’il est demandé ne changera pas grand-chose. Soit il y a un boycott généralisé, comme ce fut le cas pour l’Afrique du Sud en 1966, et là, on peut obtenir des résultats, soit ce sont des boycotts partiels qui permettent au pouvoir en place de dénoncer l’occidentalisme, par exemple, et de démontrer que ce n’est pas le régime qui est attaqué mais le pays en tant que tel. Les boycotts partiels peuvent parfois être contre-productifs. 

- Mais aujourd’hui, il y a l’urgence climatique, nouvelle dans ces protestations. 
- Effectivement, la préoccupation climatique est récente par rapport à ces événements. En 2010, quand la Coupe a été attribuée au Qatar, et qu’on a proposé de climatiser les stades si la compétition avait lieu en été, les réactions ont été de saluer la performance et l’investissement financier. Désormais, des questions se posent. Est-ce qu’on doit faire les compétitions uniquement dans des pays à climat tempéré? Est-ce que le sport doit aller partout? A terme, c’est le principe même des compétitions sportives mondialisées qui pourrait être remis en cause, en disant qu’il suscite trop de dégâts climatiques.

- A terme aussi, un pays aura-t-il encore intérêt à se porter candidat?
- Certainement qu’à l’avenir des pays vont se dire que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Et je ne serais pas étonné que des groupes demandent le boycott des JO de Paris pour protester contre tel ou tel aspect de la politique française. Car la visibilité suscite des réactions négatives toujours plus fortes. Il faut faire la balance. Ces Jeux sont l’occasion d’être au centre de l’actualité, de mettre en avant ses paysages, ses infrastructures, c’est quelque chose de très couru, mais on voit aussi que c’est l’occasion d’être critiqué comme le Qatar, qui ne l’a peut-être pas réalisé en déposant sa candidature.

Par Julie Rambal publié le 23 novembre 2022 - 08:53