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Le médecin devenu prêtre car il préfère soigner les âmes

Son ordination par Mgr Morerod à huis clos le 28 juin a été retransmise sur YouTube à cause du coronavirus. Mais la particularité de Giuseppe Foletti, c’est d’avoir passé son diplôme de médecin juste avant d’entrer au séminaire.

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Giuseppe Foletti avec Francesca, sa maman, à la sortie de l’église. Seuls les proches étaient autorisés à assister à l’ordination. Blaise Kormann

«Un ami qui n’a pas compris mon choix m’a dit: «Tu jettes ta vie à la poubelle!» Mais je l’ai pris comme un geste d’amitié, il pensait que je faisais une grosse bêtise.» Il sourit, Giuseppe Foletti, en évoquant ce souvenir. Nous sommes sur la terrasse de la cure de la basilique Notre-Dame du Valentin de Lausanne. Pas loin, on aperçoit un bout de la place de la Riponne, la flèche de la cathédrale et le CHUV est proche quoique peu visible. Il a passé beaucoup de temps dans cet hôpital, sans jamais imaginer qu’il porterait un jour la soutane noire au lieu de la blouse blanche.

Il hoche la tête. Giuseppe s’est engagé dans la prêtrise juste après avoir passé son dernier examen de médecine, en 2013. Six ans à suer de toute son intelligence sur les bancs de l’université pour décrocher ce fameux sésame tant convoité et, une fois son diplôme en poche, le ranger pour toujours dans un tiroir. Ce n’est pas banal.

Mes amis continuent à m’appeler Beppe

Si les choses avaient suivi un cours normal, ce Tessinois de 32 ans serait interne ou spécialiste ORL, avec son diplôme FMH encadré dans une salle d’attente d’un cabinet ordinaire. Aujourd’hui, ce sont les fidèles qui patientent pour la confession. L’homme ne soigne plus les corps mais les âmes, on ne l’appelle plus «docteur» mais «mon père». «Mes amis continuent à m’appeler Beppe», objecte-t-il gentiment.

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Le 28 juin 2020, Giuseppe Foletti est ordonné prêtre à la cathédrale de Fribourg par Mgr Charles Morerod. Une cérémonie à huis clos en raison du coronavirus. Blaise Kormann

Giuseppe a été ordonné il y a tout juste deux mois. Cela s’est passé à la cathédrale de Fribourg, le 28 juin dernier. Coronavirus oblige, l’ordination s’est faite à huis clos en la seule présence de Mgr Morerod et de ses proches, avec une retransmission sur YouTube pour les autres. Du jamais-vu dans l’histoire de l’Eglise catholique romaine. Même si au fond, et sans friser le blasphème, un prêtre est un peu un influenceur à sa manière. Qui tente de faire rayonner la parole du Seigneur bien au-delà de sa paroisse.

Quand il a su qu’il allait être incardiné (c’est le terme officiel) à la basilique Notre-Dame, Giuseppe a pu y voir comme un petit clin d’œil du bon Dieu, car il venait déjà prier dans cette église lorsqu’il était étudiant en médecine.

Il y a un mélange de timidité et de volubilité latine chez ce garçon affable et accueillant, qui affirme sans affectation être toujours le premier surpris par ce qui lui arrive. Il repose sa tasse de café et vous fixe derrière ses lunettes. Il a la voix douce et le parler mélodique qui vient de l’italien. Le tout nouvel homme d’Eglise doit attendre encore un an, toujours à cause du virus, pour célébrer sa première messe solennelle. Mais il dit déjà la messe ordinaire, s’occupe du catéchisme des jeunes et il est encore l’aumônier d’une église catholique au Valentin. Sa semaine est bien chargée.

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Le futur prêtre se met à plat ventre, comme le veut la tradition. Ce jour-là, il porte une chasuble blanche et non pas la blouse de médecin qui lui était pourtant destinée. Blaise Kormann

Certes, Giuseppe n’a pas opéré un virage spirituel à 180 degrés. Il est né au Tessin dans une famille croyante, il a fait et fait toujours partie du mouvement ecclésial Communion et Libération. Non, la foi ne lui est pas tombée dessus comme un coup de foudre, mais il n’avait quand même pas prévu de lui consacrer toute sa vie. «Le choix est arrivé juste à la fin de mes études de médecine. Je n’ai pas entendu de voix, mais quand même quelque chose de cet ordre-là!»

Avant d’adhérer pleinement à «ce choix qui venait d’en haut», comme il dit, il y a eu plusieurs étapes. Cette petite voix qui veut l’attirer à se consacrer uniquement à Dieu, il la mettait carrément de côté, car «elle me fâchait, elle allait contre mon projet de vie». Après tout, Giuseppe est un garçon de son siècle, il a des amis, il sait ce que c’est que d’être amoureux – même s’il ne veut pas s’étendre sur la question –, il avait projeté pour lui un futur qui passait par une vie de famille avec mariage et tutti quanti.

Pour moi, c’est un plus, pas un renoncement

C’est aux alentours de sa cinquième année de médecine qu’il va finalement accepter de prêter serment au Christ et pas à Hippocrate. «Un jour, c’était pendant l’été 2008, je montais les escaliers de l’université avec une lourdeur incroyable, je n’arrivais plus à continuer. J’étais devenu une simple machine à apprendre, l’idée même d’étudier me faisait suffoquer!» Comme si son corps s’y mettait aussi pour lui faire comprendre qu’il n’était pas sur le bon chemin. Giuseppe se pose aussi beaucoup de questions face à la souffrance des malades. «Quand on est confronté à elle, il y a deux façons de réagir. Soit on se blinde et on devient un peu cynique, une manière de se défendre face à la mort qui est là et qu’on cache souvent à l’hôpital, soit on se laisse blesser par la réalité. Il faut avoir une espérance pour se laisser blesser par ce qui se passe. Mon cœur avait besoin d’une relation infinie pour être vraiment satisfait.»

Oui, mais alors pourquoi ne pas se consacrer aux autres en étant un médecin qui a la foi? Quid de la chasteté, du renoncement à désirer charnellement, à fonder une famille? Après tout, c’est Dieu qui a proclamé dans la Genèse: «Il n’est pas bon que l’homme soit seul.» Il balaie gentiment la remarque. «Ce n’est pas un choix qu’on fait à la légère, c’est vrai, mais le Christ n’a pas aimé à moitié. Je suis son chemin. Pour moi, c’est un plus, pas un renoncement. Je ne suis pas châtré. Je n’aurais pas dit oui si je l’avais vu comme cela!»

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Le séminariste qu’il fut a officié pendant la messe papale à Palexpo à Genève le 21 juin 2018. DR

Ce sera donc l’encensoir plutôt que le stéthoscope. Mais le plus étonnant, c’est que l’étudiant Foletti va poursuivre ses études de médecine jusqu’au bout et, en plus, avec une légèreté nouvelle. «Tu étais le seul qui venait à la bibliothèque avec la joie au cœur», lui fera remarquer un ami. Deux mois avant le dernier examen, le jeune homme ira voir le directeur du Séminaire diocésain. Il ne se passera pas plus d’une semaine entre l’obtention de son titre de médecin et son entrée au séminaire. Et six nouvelles années d’études qui se profilent devant lui. Qui vont passer beaucoup plus vite que les premières!

Les scandales dans l'Eglise suscitent de la douleur en moi, mais pas de doute

On ne peut évoquer la question de la prêtrise sans aborder celle des scandales qui ont émaillé l’Eglise catholique ces dernières années. L’ont-ils fait douter? Hésiter? Il secoue la tête. «Ils suscitent de la douleur en moi, oui, mais pas de doute. Le visage lumineux de l’Eglise catholique reste une réalité pour moi, mais le péché et les forces obscures habitent toujours dans le cœur des hommes. Il faut prier et mettre sa confiance dans l’avenir et en Dieu.»

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Giuseppe (à g.) avec ses frères et sœurs en 2002, pour l’anniversaire de leur mère. DR

Le père de Giuseppe est médecin au Tessin, son oncle aussi. «Il y a en effet une petite tradition familiale», confie le jeune prêtre. On lui demande encore comment ses parents ont accueilli ce changement d’orientation drastique, eux qui avaient déjà été un peu dubitatifs par le passé en apprenant qu’il voulait devenir médecin, Giuseppe n’ayant jamais été un foudre de guerre au lycée.
«Andiamo a prendere un caffè», c’est ce qu’ils m’ont répondu», sourit-il. Le 28 juin dernier, ces mêmes parents ne cachaient ni leur fierté ni leur émotion, dans la cathédrale de Fribourg, au moment où leur fils s’est prosterné face contre terre comme le veut la tradition liturgique. Et du fait que Giuseppe Foletti a cinq frères et sœurs et neuf neveux, aucun risque que la lignée familiale s’arrête avec lui.


Par Baumann Patrick publié le 15 octobre 2020 - 08:49, modifié 18 janvier 2021 - 21:14