Mon père, originaire du Piémont, avait 19 ans quand, refusant d’intégrer l’armée de Mussolini, il a pris les armes dans la résistance. Il était chargé de faire sauter les ponts jusqu’à Milan, afin d’empêcher l’avancée des Allemands sur le territoire italien. Il a suivi les traces de son propre père, qui avait refusé de prendre la carte du Parti national fasciste.
Pour moi, il n’y a pas eu de grand soir, de révélation subite. C’est petit à petit, au fil des années, que j’ai découvert son passé. Il ne fanfaronnait pas et n’en parlait pas de gaieté de cœur, d’autant qu’il a perdu des amis, certains pendus ou fusillés après avoir été arrêtés. Lors de son enterrement en Italie en 2016, une cérémonie d’anciens partisans, j’ai encore appris des choses, notamment son surnom de combat, «negrin»: le petit nègre en patois piémontais, car il avait une peau qui bronzait très vite.
Est-ce que je ressens de la fierté? Je n’ai pas à m’approprier son engagement, mais ma sœur et moi avons forcément été marqués par l’exemple qu’il nous a donné, tout comme par celui de ma mère. Mes parents se sont mariés en 1949, ils ont émigré en Suisse en 1953, d’abord à Moutier où je suis né et où mon père a été fraiseur-mécanicien avant de décrocher un poste d’ouvrier spécialisé au CERN. Communiste de la première heure, il n’a jamais pris sa carte du parti mais est resté fidèle à ses idées, attaché à la liberté et au respect d’autrui.
Quant à ma mère, née à Castel d’Ario, en Lombardie, dans une famille de cinq enfants, elle aurait voulu faire des études. Son enseignante était venue plaider sa cause auprès de ses parents, mais son frère aîné a mis son veto et elle est devenue couturière. A la fin de la guerre, elle se postait au bord des rails pour aider les déserteurs. Le conducteur ralentissait dans le virage et ces hommes, des militaires que l’Allemagne avait fait prisonniers, sautaient. Elle leur donnait de vieux habits récupérés dans les maisons alentour pour les aider à s’habiller en paysans.
Les accusations de «dictature sanitaire» face aux mesures visant à contrer l’avancée du Covid étaient déjà déplorables. Mais que les anti-vaccins s’auto-proclament défenseurs des libertés en inversant les valeurs alors que, par leur comportement, ils ne font que favoriser de nouvelles mesures restrictives; qu’ils se revendiquent de la résistance avec de fallacieux montages-photo alors que les vrais résistants étaient prêts à sacrifier leur liberté et leur vie, cela m’a vraiment mis hors de moi. Et m’a poussé à écrire un texte à la mémoire de mon père*. «Le fascisme peut revenir sur scène à condition de s’appeler anti-fascisme», écrivait Pier Paolo Pasolini en 1975.
Il n’est pas certain que j’aurais publié ce texte du vivant de mon père. Il était humble et aurait été mal à l’aise. Mais, j’en suis sûr, il aurait été écoeuré de voir ce passé détourné avec indécence par ceux qui se revendiquent aujourd’hui d’une prétendue lutte antifasciste.
*Le texte «A la mémoire de mon père» a été publié le 19 juillet.
Le certificat du père de Mauro Poggia
Le 25 avril 1945, Vincenzo Poggia se voit délivrer ce certificat, preuve de sa participation au Corps de la liberté. Sa mission: faire sauter les ponts de chemin de fer, pour paralyser les déplacements des troupes allemandes et fascistes.