Son assistant l’a découvert sans vie dans le jacuzzi de la belle demeure que Matthew Perry, 54 ans, venait de faire rénover à Pacific Palisades, un quartier très prisé de Los Angeles. L’acteur s’était remis au sport et, après une partie de deux heures de «pickleball», un jeu de raquettes, avait décidé de se relaxer dans son bain comme il aimait à le faire régulièrement. Histoire de se remettre en forme encore une fois et de ne plus obéir à ses démons.
Car, alors que Chandler, son personnage blagueur, gaffeur et maladroit dans «Friends», amuse les foules de 1994 à 2004, Matthew Perry, lui, vit dans l’anxiété permanente de ne pas faire rire le public de cette série suivie alors en moyenne par 34 millions d’Américains. Cette angoisse de ne pas être à la hauteur aux yeux de ses parents, de ses amis, de ses copines le poursuit depuis toujours, puisqu’il suit une thérapie dès l’âge de 18 ans, tout en se réfugiant très tôt dans l’alcool. Il boit ses premiers verres à 14 ans dans le jardin d’un voisin à Ottawa, au Canada, où l’a emmené sa mère après son divorce. Matthew prend là sa première cuite, il vomit, mais, malheureusement, il apprécie ce court instant d’ivresse, car «tout est apaisé». A 15 ans, il rejoint son père, John Bennett Perry, qui fait l’acteur à Los Angeles.
Alors que Matthew hésite à reprendre des études, il se voit proposer, en 1988, un rôle dans «Jimmy Reardon» aux côtés de River Phoenix. A partir de là, tout comme son père, il enchaîne les petits rôles, jusqu’au jackpot quand il est choisi en 1994 pour incarner Chandler Bing. La série «Friends» va lui rapporter une notoriété mondiale, mais aussi de quoi voir venir, puisque lors de la dernière saison, comme ses partenaires, il touche 1 million de dollars par épisode. D’après le journal «Variety», pour le documentaire «Friends: Les retrouvailles» (2021), ce chiffre s’élèverait à 2,5 millions de francs. De plus, chaque année, les rediffusions leur rapportent 20 millions de dollars, selon le magazine économique américain «Forbes». La richesse est là, mais l’insécurité, l’angoisse de ne pas être un bon acteur, un bon fils ou un bon compagnon demeure et ne peut pas être éteinte malgré l’alcool, la drogue et les médicaments.
La descente aux enfers
C’est en 1997 qu’un accident de jet-ski sur Lake Mead, un lac artificiel à cheval entre l’Arizona et le Nevada, le rend accro aux antidouleurs. Matthew est en vacances avant la reprise de la troisième saison de «Friends». Un médecin lui prescrit de la Vicodin, un opiacé semi-synthétique six fois plus puissant que la codéine. Dix-huit mois plus tard, l’acteur en avale 55 pilules par jour accompagnées de 1 litre de vodka. La bande de «Friends» s’en rend compte. Un jour, Jennifer Aniston (Rachel) le prend à part et lui dit: «On sait que tu picoles.» Alors que Matthew s’en étonne, sa partenaire dans la série lui explique: «A cause de l’odeur. Tu sens l’alcool.» Il n’arrête pourtant pas. Mais, reconnaissant, il répète inlassablement dans les interviews que ses partenaires, Jennifer Aniston, mais aussi Courteney Cox, Matt LeBlanc, David Schwimmer et Lisa Kudrow, l’ont toujours soutenu.
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En juin 2022, l’acteur se confie dans une longue interview au magazine américain GQ à l’occasion de la sortie de son autobiographie, «Friends, mes amours et cette chose terrible» (Michel Lafon). «Mon poids n’arrêtait pas de varier de 58 à 102 kilos pendant mes années «Friends». Vous pouvez suivre ma trajectoire d’addiction ainsi: quand je prends du poids, c’est l’alcool, quand je suis maigre, ce sont les pilules. J’ai dépensé plus de 9 millions de dollars pour essayer de devenir sobre et clean. Je suis allé à des centaines de réunions des AA, les Alcooliques anonymes, j’ai suivi 15 cures de désintoxication et une thérapie à raison de deux fois par semaine pendant trente ans. Au total, pour l’alcool et la drogue, j’ai essayé de me désintoxiquer au moins 65 fois. Je devrais être mort depuis longtemps.»
La Suisse de tous les dangers
La mort, Matthew Perry l’a en effet frôlée à plusieurs reprises, à commencer, en 2018, lorsque son côlon explose: une perforation gastro-intestinale. Cela fait dix jours qu’il souffre de constipation à cause des médicaments qu’il engloutit. Il sombre dans le coma. Les médecins préviennent sa famille: il n’a que 2% de chances de s’en sortir. Et pourtant, il se réveille. Cinq mois d’hospitalisation et neuf mois avec une poche qui recueille ses excréments à la suite d’une colostomie. Son ventre est bardé de 14 cicatrices. Il perd aussi ses deux incisives après avoir croqué dans un toast au beurre de cacahuètes. Toutes ses dents doivent être changées.
«De retour de l’hôpital, la première fois que j’ai enlevé mon t-shirt, j’ai éclaté en sanglots en voyant toutes ces cicatrices. Après une demi-heure, cela m’a passé, j’ai remis mon t-shirt et j’ai appelé mon dealeur.» A part les analgésiques, dont le fameux OxyContin auquel il devient, comme tous ses utilisateurs, vite accro, Matthew prend de la coke, mais jamais d’héroïne.
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Cette attitude suicidaire le conduit, début 2020, dans un centre de désintoxication, en Suisse cette fois. Il s’agirait du Paracelsus Recovery, à Zurich. Quand les médecins le questionnent, Matthew minimise les horribles douleurs qui tordent son ventre et oublie de dire qu’il prend de l’OxyContin. Induits en erreur, les praticiens lui administrent un traitement inadéquat avec du Propofol. Son état empire au point que son cœur cesse de battre. «On m’a dit qu’un Suisse baraqué ne voulait vraiment pas que le gars de «Friends» meure sur sa table et il m’a fait du bouche-à-bouche pendant cinq minutes, en me frappant et me frappant encore la poitrine. (…) Il m’a sauvé la vie, mais cassé huit côtes», plaisantait l’acteur.
Le militant
Pour le commun des mortels, difficile de comprendre comment un être humain peut devenir aussi dépendant à des substances toxiques. C’est justement pour tenter de l’expliquer que Matthew Perry a voulu écrire son autobiographie, parue l’an passé, une fois devenu sobre et clean. «L’addiction peut rattraper n’importe qui, car elle te permet de te sentir moins seul. J’ai écrit ce livre dans l’espoir d’aider celles et ceux qui passent par les mêmes choses que moi. Je voulais aussi que le grand public comprenne à quel point c’est difficile de renoncer et surtout qu’il ne juge pas les gens qui utilisent ces substances. C’est vraiment dur. Le travail que vous devez faire chaque jour pour vous sauver de ce monstre qui vit dans votre cerveau, c’est une chose douloureuse avec laquelle il faut vivre.» Il s’est engagé pour les autres notamment en transformant son ancienne résidence à Malibu en centre de désintoxication. Même s’il fait beaucoup pour les autres et que, au contraire de Chandler Bing qui vit avec et au travers de sa bande d’amis, Matthew Perry est un homme seul qui refuse de s’engager.
Les femmes de sa vie
D’ailleurs, son angoisse de l’abandon le pousse à saborder toutes ses histoires d’amour. Sans révéler son nom, l’acteur américano-canadien confie qu’une de ses ex ayant rompu, il est rentré chez lui, a allumé une bougie et a commencé à s’enivrer. Il a bu pendant deux ans pour l’oublier. Ce traumatisme pourrait être à l’origine de son attitude envers les femmes. A 18 ans, il sort avec Tricia Fisher, la sœur de Carrie, puis il enchaîne les conquêtes, la plus célèbre étant Julia Roberts: «Sortir avec elle, c’était trop pour moi. J’étais constamment obsédé par l’idée qu’elle allait me quitter.» Il enchaîne les aventures avec des actrices, Yasmine Bleeth (1995), Neve Campbell (1996), Maeve Quinlan (Megan dans «Top Models» de 1995 à 2006), Lauren Graham (2003), et, enfin, avec une étudiante en stylisme de quatorze ans sa cadette, Rachel Dunn (2003-2005). Mais la palme de la longévité revient à la comédienne Lizzy Caplan (2006-2012), qu’il fréquente pendant six ans.
Sa dernière relation stable connue jusqu’à sa rencontre, en 2018, avec la directrice littéraire Molly Hurwitz. En 2020, ils se fiancent, mais rompent six mois plus tard. Pourquoi tous ces échecs sentimentaux? «Je romps avec elles parce que j’ai cette crainte horrible qu’elles découvrent que je ne suis pas assez à la hauteur, que je suis trop en demande, et qu’elles vont me quitter. Cela va me détruire, parce qu’il faudra que je prenne des drogues pour oublier et cela va me tuer.» Désormais, ses démons se sont tus à jamais.