Première publication le 24 avril 2022
Elle a le regard vif, des mèches blondes, le rire franc et plein d’idées. Elle parle vite et bien. Pressée d’argumenter. Pressée d’agir. La conviction chevillée au corps, Mathilde Marendaz est une célibattante. Féministe et résolue. Rien à voir avec une cryptocommuniste, comme d’aucuns l’ont qualifiée quand elle a proposé qu’Yverdon débarrasse sa voie publique des publicités…
Pour elle, un autre monde est non seulement possible, mais nécessaire. Déjà aguerrie au jeu politique, menacée de mort par la fachosphère, elle affirme qu’une politique écologiste efficace est «inenvisageable dans le capitalisme». Alors quoi, marxiste-léniniste? Libertaire plutôt, rejetant tout dogme. L’avenir, elle le souhaite égalitaire, débarrassé des multinationales et de la course au profit individuel. Elle est attachée à la participation populaire et à la démocratie, mais souligne «les faiblesses du système suisse»: lobbyisme, manque de transparence financière, disparités de moyens, etc.
Pour Mathilde Marendaz, il faut «en finir avec le modèle néolibéral» qui nous envoie dans le mur. Elle ne fait pas qu’aligner des slogans. «Cette fatalité du néolibéralisme cher à Thatcher et Reagan, selon lesquels il n’y a pas d’alternative, est fausse! Moi, je dis que le modèle ultralibéral menace nos libertés fondamentales vu qu’il empêche un futur viable et qu’il exploite le travail de la majorité de la population mondiale, les régions périphériques et la nature au profit de quelques-uns.»
On s’attendait à rencontrer une activiste enragée. Elle est posée. «Nos adversaires voient très bien qu’on n’est pas des agités, mais ils nous caricaturent, pour nous décrédibiliser, imités parfois par les médias.» C’est dit.
Mathilde Marendaz nous a conviés au Café Primeur, à Yverdon. Au McDo, ça nous aurait surpris. Menacée de mort à Lausanne par tags interposés, elle n’a pas tremblé. «A mesure qu’on adopte une position plus offensive, avec des propositions fortes de changement, nos idées se répandent. On nourrit l’imaginaire des gens et ça agace.» La droite yverdonnoise a même souhaité la virer du Conseil communal. En vain. Elle rit. «Les Vert’libéraux ont été les premiers à faire un communiqué appelant à ma démission et résultat, dans le Nord vaudois, on leur a pris un siège!»
Mathilde Marendaz est née en juillet 1997 à Yverdon. Cadette de deux enfants – son frère, huit ans plus âgé, est assureur –, elle n’aspirait, petite, qu’à grandir vite. «Ça m’énervait qu’on me coupe mes tartines en quatre!» Elle a grandi à Mézery- près-Donneloye, un hameau du Nord vaudois où les enfants, les garçons surtout, étaient rois. «J’ai appris à jouer au foot et… à me défendre. Les grands ne me faisaient pas de cadeaux, mais j’aimais l’esprit solidaire qui régnait au village.» Ses parents, Véronique et Gilles, travaillent. La maman est éducatrice de la petite enfance à mi-temps. Le papa, sérigraphe de formation, concierge. Un milieu social qu’elle dépeint comme «ouvert et généreux, de gauche».
A l’école, la petite Marendaz, «bosseuse et vive», est «première de classe». Elle se dévergonde au collège: «On était toute une bande et j’étais souvent celle qui commençait les conneries.» Elle rit encore.
Liliane, sa grand-mère maternelle, enseignante retraitée et veuve, lui transmet «l’amour de la littérature et de l’écriture». Le grand-père, lui, était agriculteur, engagé politiquement dans le camp agrarien, officier à l’armée. Il s’est suicidé sans connaître sa petite-fille. Drame de la paysannerie. «On m’a expliqué très tôt ce qui l’avait conduit à ce geste définitif: les difficultés à devoir porter seul le domaine, les pressions économiques…» Prise de conscience.
«L’agriculture doit changer de modèle, mais j’affirme qu’il ne faut rien imposer aux agriculteurs, déjà sous pression. Il faut réfléchir avec eux, de manière collective. Certains syndicats agricoles comme Uniterre le font déjà. Les agriculteurs sont les premiers à subir les effets du changement climatique. Ils sont aujourd’hui plus réceptifs à notre message, même s’il existe toujours un blocage, à mon sens fabriqué par l’UDC, qui répand l’idée fausse que nous cherchons à les culpabiliser.»
Au décès du grand-père, la ferme familiale est reprise par un oncle, mais, «trop jeune et sous pression», il se suicide lui aussi. Deux drames, une même cause: la logique productiviste qui, regrette l’élue d’Ensemble à gauche, «a transformé les paysans en entrepreneurs».
Du côté de l’ascendance paternelle, la famille Marendaz est liée aux usines Paillard, où son autre grand-papa était ouvrier. Lutte des classes. Elle assimile. En entrant au lycée, Mathilde Marendaz affirme son indépendance quand la réalité du réchauffement climatique la rattrape. Il va falloir agir. «Ce grand sentiment de responsabilisation n’a pas été un choix. Il s’est imposé à nous.» Alors elle lit. Beaucoup. Sa curiosité est insatiable. Matu philo-psycho en poche, elle rejoint l’Université de Neuchâtel pour étudier la littérature et la géographie. Dans le cadre de son bachelor, elle découvre la littérature décoloniale, celle d’Edouard Glissant, de Patrick Chamoiseau, d’Aimé Césaire, etc. «Découvrir de quelle façon la littérature a aidé des peuples à accompagner leur émancipation m’a passionnée», avoue-t-elle. Elle enchaîne avec les écrits d’Edouard Louis ou de Didier Eribon, prend conscience d’autres violences sociales. Des lectures déterminantes.
Elle renonce à voyager en avion, préférant s’évader avec d’autres livres. Un choix fort. Bien sûr, elle préférerait que son frangin, qui comprend ses combats, renonce à ses vacances à Dubaï, mais le culpabiliser ne résoudra rien. Sans citer le nom de Greta Thunberg, Mathilde Marendaz confie: «La naissance des grèves du climat en 2018 et 2019 m’a marquée à jamais. On a vécu là, collectivement, des moments incroyables de lutte. Ce mouvement social était très créatif. On n’était sous la coupe de personne, ni d’aucun parti.» Et ça continue. Elle a aussi adoré participer à l’occupation de la colline du Mormont lors de la première ZAD de Suisse et se substituer à «l’Etat, qui refuse de faire son travail en limitant les plus grands pollueurs». Dans ce contexte, elle encourage la désobéissance civile.
Propos d’extrémiste? L’élue d’Ensemble à gauche, par ailleurs pacifiste et féministe, conteste. «Non, je suis juste réaliste. Les vrais extrémistes sont ceux qui perpétuent cette course folle au profit privé, épuisant les gens et les ressources naturelles. A la rigueur, je veux bien me qualifier de radicale, le mot signifiant «chercher le problème à la racine», mais on n’a plus beaucoup de temps: il faut agir vite, de manière socialement juste!»
«Je ne détiens pas une solution miracle, concède-t-elle, mais je soutiens que d’autres modèles viables existent. Il faut lire Murray Bookchin (philosophe, militant et essayiste écologiste américain, ndlr) sur le confédéralisme démocratique et l’économie sociale. C’est une alternative crédible. Je crois en la possibilité d’une société différente, débarrassée de l’économie de marché.»
Au terme «décroissance», qui heurte, voire effraie beaucoup de gens, la jeune zadiste préfère «la notion de bien-vivre chère aux Sud-Américains», impliquant de «décroître les secteurs polluants pour accroître la qualité de vie pour toutes et tous».
Avant de rejoindre le mouvement Solidarité & Ecologie, Mathilde Marendaz a d’abord milité chez les Jeunes Verts, qu’elle a quittés. «Les Verts refusent d’aborder la question centrale du capitalisme et des intérêts de certains groupes industriels et multinationales au bénéfice d’une amnistie fiscale; ils ne remettent pas en cause le modèle existant.» Pour elle, cette posture revient à mettre un emplâtre sur une jambe de bois.
«On nous accuse de désirer une économie planifiée à la soviétique. Ce qu’on souhaite, c’est cibler démocratiquement les besoins réels et ne plus laisser le contrôle de l’économie aux grands groupes qui, dans les faits, la planifient déjà, à leur seul avantage et à grands coups de «greenwashing».» Le greenwashing? Une méthode de communication consistant à souligner la valeur prétendument écologique de produits… qui ne le sont pas. «Le message embrouille le consommateur, qui pense faire quelque chose pour la planète», dénonce Mathilde Marendaz.
Avec la jeune passionaria du Nord vaudois, finie la langue de bois. Les électeurs qui l’ont portée au Grand Conseil doivent apprécier. «Si la gauche institutionnelle a échoué à plusieurs reprises récemment, analyse la nouvelle élue, c’est aussi parce qu’elle n’a pas su montrer aux gens que l’écologie est quelque chose de souhaitable qui doit pouvoir profiter à tout le monde en contestant le modèle économique.»