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Mathilde Gremaud: «Je sors d’une saison avec tellement d’émotions, j’étais cuite sans m’en rendre compte»

On rencontre habituellement la championne olympique de ski freestyle en hiver, entre deux avions et un bonnet sur la tête. La voici en mai: après une saison folle, elle récupère chez elle, en Gruyère. Tout en imaginant de nouvelles figures, toujours plus créatives. Confidences.

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La skieuse freestyle Mathilde Gremaud

La skieuse freestyle Mathilde Gremaud relax, dans la campagne gruérienne. Légende de son sport à 24 ans, elle compte trois médailles olympiques, deux aux Mondiaux, neuf aux X Games, trois globes et 13 victoires en Coupe du monde.

Kurt Reichenbach

Pour certains, l’aventure consiste à traverser des déserts ou à se battre avec des grizzlis. Pour Mathilde Gremaud, triple médaillée olympique, double médaillée aux Mondiaux, gagnante cette année de trois globes suprêmes, sa dernière aventure a été à la portée de Mme Tout-le-Monde. «Après ma saison, quand tout a fini d’un coup, fin mars, j’ai chillé et je suis à peu près restée couchée pendant quatre semaines... Jamais je n’avais vécu un truc pareil», glisse-t-elle, amusée, devant un «pink latte» dans le bar cosy de Bulle, le Mahalo Coffee Shop, qu’elle a choisi pour renouer avec la vie, les médias, et renfiler son costume de championne. 

Elle a ainsi vécu dans son quartier de La Roche (FR), habité par sa famille et sa ribambelle de cousins, de tantes et d’oncles. Elle a passé du temps avec sa mère, policière, son père, facteur, et ses sœurs. Jeanne, qui fait des études de médecine, et Elsa, qui suit une école de couture. Et oui, à son propre étonnement, elle a adoré. «Habituellement, je ne fais rien pendant deux jours et je perds la tête. Mais je sors d’une saison avec tellement d’émotions: j’étais cuite sans m’en rendre compte. Là, je ne me suis même pas ennuyée.»

La skieuse freestyle Mathilde Gremaud dans sa maison de La Roche avec sa famille

Mathilde dans sa maison de La Roche (FR) avec ses trois globes, ses parents, Stéphane et Chantal, et sa sœur Elsa (manque sa sœur aînée, Jeanne). «Ici, c’est un petit paradis.»

Kurt Reichenbach

Des fondues en Europe
 

Les autres années, à pareille époque, elle avait pas mal gambergé et transpiré sur la suite à donner à son existence. Là, non. «C’est vrai: en avril, je me suis quelquefois retrouvée démotivée et j’ai mis trois mois à me remettre dans le coup. Là, c’était juste de la fatigue. Rien de grave ou de lourd dans ma vie, seulement une accumulation.» Elle qui d’ordinaire planifie tout six mois à l’avance a décidé de vivre dans le présent et la spontanéité, «tout ce qui me manque le plus pendant l’hiver».

Elle a refait connaissance avec sa région. Elle en parle avec tant de foi qu’on la voit bien finir à l’Office du tourisme de la Gruyère. «J’aimerais par exemple faire stopper des potes étrangers ici alors qu’ils se rendent à l’aéroport, pour une journée spontanée. J’aime faire découvrir ma région, qui est ultra-belle.» Il lui est arrivé d’emmener ses amis faire du bike dans les Préalpes. Ou manger une glace à la gelateria La Mucca à Bulle. Ou se lécher les babines à la chocolaterie Cailler, à Broc. «C’est des trucs de touristes, mais c’est cool. Des fondues, j’en ai apporté dans toute l’Europe!»

Plus sérieusement, cette période est propice à imaginer de nouvelles figures dans son sport, qui flirte sans cesse avec les limites. «Au printemps, les idées mûrissent bien, explique-t-elle. C’est ultra-abstrait à expliquer, mais le freestyle offre des possibilités presque infinies.» Elle qui fut la première femme à passer un Switch Double Cork 1440 en compétition, à 20 ans, se voit travailler davantage le côté créatif et artistique du ski. «Il faut jouer avec tous les axes différents possibles. Je pourrais décomposer mes Corks, on ne le voit pas beaucoup. Il est possible de réussir de gros tricks qui n’ont jamais été faits ou de changer des axes déjà faits. Je me trouve à cet endroit dans mon sport où il y a encore beaucoup de place pour innover, c’est hyper-cool.»

Sur Instagram, elle repère des vidéos qui lui plaisent, les sauvegarde et les place dans des catégories, «pas forcément pour faire la même chose, juste pour s’en inspirer». Elle aime en parler: «Dans la culture freestyle, tu te retrouves parfois à table à ne causer que de tricks et de figures, c’est trop bien. En Géorgie, je me souviens d’avoir bu un verre avec des types pas très haut classés et que je ne côtoie pas forcément, mais plus perchés que moi. Or les moins compétitifs ne sont pas les moins intelligents.»

Elle qui a à peu près tout gagné à 24 ans se voit peaufiner son style. C’est quoi, le style? «J’aime quand on me dit que ce que je fais n’a pas l’air difficile. C’est le plus gros compliment. Cela signifie que je maîtrise ce que je fais.» Pour elle, une reconnaissance encore plus forte que l’accumulation des trophées: «De ce côté-là, les suites de mon titre olympique aux Jeux de 2022 ont été énormes. Ma deuxième place en 2018 n’était rien comparée à cela!»

La skieuse freestyle Mathilde Gremaud

«Les globes signifient beaucoup pour moi. Ils montrent que j’ai skié de manière constante sur une longue période», dit-elle. Cette saison, elle a ramené le grand globe du général de la Coupe du monde et les deux petits du Big Air et du slopestyle.

Kurt Reichenbach

Le choc de Stubai
 

Si la championne suit un master en administration des affaires dans une université par correspondance, à Vienne, cette pause représente aussi une occasion de revenir sur les moments où elle a douté. Tels ses ligaments déchirés en 2017, juste avant d’embarquer pour les JO de Pyeongchang. Mais surtout le souvenir d’un presque drame vécu en décembre 2021, à Stubai, en Autriche. Elle y est tombée sur la tête. Après le choc, elle est restée inconsciente quelques secondes. «Ensuite, je me suis demandé si je n’avais pas dépassé la limite, si j’allais retrouver une vie normale.» Son père, Stéphane, s’en est bien rendu compte: «A cette période, c’était bien que je sois présent, ce fut dur. Elle a commencé à se demander si cela valait la peine de continuer.» Ils ont parlé, le père a souligné qu’elle semblait tout lâcher quand elle atterrissait en arrière, à cause du genou fragilisé. Mathilde l’a écouté. «Elle m’épate, elle arrive à se relever chaque fois. Elle a une grosse capacité d’analyse.»

De fait, traumatisée, elle est restée une semaine à l’hôpital, puis a tenté de s’entraîner avec son coach. Mais elle était trop fatiguée, perturbée par les maux de tête et les problèmes de coordination visuelle. Sur le conseil de l’ex-championne du monde Virginie Faivre, elle est allée se soigner dans une clinique de Denver (USA). «La meilleure chose que j’aie faite! Là-bas, ils font de la récupération du cerveau en passant entièrement par des exercices avec les yeux. J’ai peu à peu tout remis en place. En sortant, j’ai regardé à gauche et à droite, j’avais l’impression d’être un aigle.»

La skieuse freestyle Mathilde Gremaud s'entraînant à vélo

En réponse à cette image postée par Mathilde lors d’une sortie à vélo dans les bois de La Berra (FR), son entraîneur physique, Antoine Borgeaud, l’a taquinée: «Sérieuse? Regarde la route!»

Instagram

«Affronter ses peurs»


Pendant plusieurs mois, elle a continué à effectuer ces exercices, six minutes par jour. Des séquelles? Elle sirote son latte: «Quand tu prends une telle «boîte», cela a des conséquences. Mon genou ne me fait jamais mal, mais cette blessure me fait tout de même réfléchir. Après, il est important de s’écouter, d’affronter ses peurs. Un travail mental hors de la neige existe pour se sentir bien, en commençant par l’entraînement physique et la visualisation.»

Mathilde Gremaud regarde par la fenêtre, en direction des prairies gruériennes, elle qui parcourt des milliers de kilomètres en avion chaque saison. N’a-t-elle pas un souci de conscience devant une telle dépense d’énergie? «Nous n’en parlons presque pas au sein de l’équipe nationale, mais j’en discute beaucoup avec mes sœurs, qui sont sensibles à cet aspect de mon activité. Elles me rassurent en me disant que je suis en train de pratiquer un job, pas de décoller tous les week-ends pour Ibiza ou Londres. En dehors du sport, j’essaie de me calmer sur les voyages. J’en fais déjà tellement.»

Elle a repris sa place dans sa famille. Elle plie le linge, débarrasse la table, rien de changé. «Chez moi, personne ne se comporte différemment avec moi, évidemment. Et ici, les gens qui me connaissent savent qui je suis. Ils sont contents de me voir, je suis contente qu’ils soient contents et on passe à autre chose. J’ai l’impression de vivre dans une région où les gens sont loyaux. On s’entraide, on se connaît, c’est dans notre caractère.» Mathilde Gremaud au printemps, cela ressemble à une renaissance.

Le jour où

Mathilde Gremaud de sa chute au sacre olympique

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La skieuse freestyle de La Roche (FR) revient sur son incroyable journée aux Jeux de Pékin, de sa chute lors de son premier passage au sacre olympique quelques dizaines de minutes plus tard, le 15 février 2022. Une médaille d’or en slopestyle qui fait d’elle la Romande la plus décorée aux JO, à seulement 22 ans, après sa médaille de bronze en Big Air quelques jours plus tôt et celle d’argent aux Jeux de PyeongChang en 2018. Laetitia Béraud

Mathilde, si vous étiez...


Un paysage?
Les Alpes, les Préalpes. Depuis ma fenêtre, je vois le Moléson. La montagne m’inspire le calme et je n’ai jamais le vertige. Quand je n’ai pas été en hauteur pendant longtemps, je regarde en bas et tout se calibre.

Un(e) champion(ne)?
J’aime bien la championne olympique de VTT Jolanda Neff, que je connais un peu. Elle s’éclate et elle est bien décalée, dans un sport ultra-demandeur. Avec des potes qui font du bike, et sans dénigrer les autres cyclistes, on se dit que, avec sa technique, elle est une des seules qui savent faire du vélo.

Un animal?
Un oiseau. Il y en a beaucoup autour de ma maison, je les écoute le matin. J’aime voler, j’ai fait deux fois du parapente en biplace.

Une odeur?
Quelque chose avec de la vanille, ou une grillade. Je suis très sensible aux odeurs. Si un parfum est trop puissant, j’ai mal à la tête. Dans les avions, avec les effluves de nourriture chauffée, je ne peux rien manger.

Par Marc David publié le 31 mai 2024 - 10:04