Premier jour de chasse, premier chevreuil. Mathieu Biolaz n’a pas perdu de temps en ce premier mardi d’octobre. Le jeune chef du restaurant Les Touristes à Martigny (14/20 au GaultMillau) a obtenu son permis de chasse l’année passée et a profité d’une journée automnale pour étrenner son fusil. Mais, s’il a effectivement eu la chance de tirer un chevreuil ce jour-là, le trentenaire ne va pas chasser pour tuer. «Il faut le dire: la chasse, ce n’est pas le cliché des vieux barbus qui partent en forêt simplement pour tuer des animaux. C’est bien plus que cela.»
Une passion inexpliquée. Ce permis de chasse, il faut le vouloir. Car la législation (valaisanne, dans le cas présent) est stricte et ferme: un casier judiciaire vierge, au minimum deux ans de formation, une bonne centaine d’heures de cours théoriques et pratiques, un prix relativement élevé… Il se dit souvent que le permis helvétique de chasse est le plus difficile à obtenir du monde. Ce n’est pas cela qui a fait peur à Mathieu Biolaz, fils et petit-fils de chasseurs. «Nous avons une tradition de chasse, comme une bonne partie des familles valaisannes, explique-t-il. Mais ce qui m’a vraiment donné envie de passer ce permis, c’est le côté nature, arpenter la forêt dehors et loin de tout, à l’affût ou à l’approche.»
Son père, Claude, compagnon de chasse ce jour-là, confirme une passion presque inexplicable: «Il arrive qu’on passe des journées entières sans tirer le moindre coup de feu. Mais on prend quand même notre pied, car ce sont des heures à chercher des traces ou des indices de présence d’animaux. Cela demande un gros travail préparatoire, de connaissance du terrain, de la nature… qu’on ne fait pas si l’on n’est pas passionné.» Un ami présent cet après-midi-là explique, lui, qu’il profite de ces sorties automnales pour cueillir des champignons ou admirer les oiseaux, par exemple. De «petits bonheurs» qui lui suffisent à se motiver pour passer des heures dans le froid et l’humidité.
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Ce 5 octobre, Mathieu, Claude et deux amis s’apprêtent à repartir après une longue et pluvieuse matinée sans le moindre tir. Chapeaux, fusils, jumelles, petits sachets pour récolter des herbes… L’attirail est complet. C’est à quatre et avec les deux chiens Doly et Nala qu’ils repartent du chalet – où ils ont dégusté une bonne fondue – et entrent dans cette forêt des hauts de Martigny, très organisés: deux en haut et deux en bas avec les chiens. Les minutes passent, quelques aboiements résonnent, le brouillard va et vient, une chevrette (femelle du chevreuil) gambade à la lisière de la forêt. «Nous devons être très attentifs, encore plus en étant à des dizaines de mètres du gibier, explique Mathieu, car la loi interdit de tirer les chevrettes.» Il en va de même pour le nombre de bêtes abattues, fixe et limité selon l’animal, la région, le sexe, l’âge…
Une viande d’exception. Tout s’enchaîne rapidement: un chevreuil déboule, coursé par les deux chiens, le coup de feu éclate, l’animal tombe. Cet après-midi, les chasseurs utilisaient un fusil à double canon lisse et de la munition à grenaille, une arme conçue pour tirer du gibier en mouvement. Mathieu Biolaz commence par compléter son carnet de chasse avec les informations sur le chevreuil tiré (pour le Service cantonal de la chasse et les statistiques), puis l’éviscère afin de ne pas dégrader la viande. Départ ensuite à Orsières, chez le garde-chasse, qui fera les derniers contrôles obligatoires.
Avant la cuisine, place aux derniers détails. Claude, le père, s’occupe d’ôter la peau et de nettoyer l’animal. «C’est déjà petit, un chevreuil, mais quand on finit de le désosser, on se retrouve avec pas grand-chose, sourit-il. Ça rend cette viande un peu plus singulière.» Côtelettes, épaules, gigues et, bien sûr, filets et filets mignons: tout est ensuite découpé et mis sous vide pour être cuisiné plus tard. Oui, car, comme la plupart des chasseurs, les Biolaz dégusteront leur chevreuil entre amis ou en famille. En commençant à cuisiner, le chef valaisan ajoute que le repas de chasse est aussi, bien sûr, une motivation à aller chasser: «C’est rare de dénicher une viande de cette qualité, estime-t-il. Bien cuisinée et accompagnée, elle magnifie un super moment de partage entre amis.»
Au restaurant, par contre, place au cerf, au chevreuil et au chamois de la région, qui sont à la carte en ce moment. Mathieu donne quelques détails techniques: «La selle, que l’on sert souvent entière pour plusieurs personnes, n’est rien d’autre que la partie supérieure de l’animal, comprenant les filets et les filets mignons. Avec les filets d’un cerf en plat principal, on peut servir une douzaine de clients.» Dans les cuisines des Touristes, au cœur de sa brigade en action, le chef assaisonne, saisit la viande à la poêle chaude puis la laisse reposer quelques minutes. Pendant ce temps, la poire est glacée, les marrons caramélisés, les purées de choux verts et rouges dressées, la saladine de chou rouge cru mariné déposée sur l’assiette, puis quelques brisures de noisette sont parsemées sur le filet de cerf. Elles donneront une agréable touche croquante à une viande parfaitement cuite. A table, on apprécie d’autant plus cette assiette de chasse en repensant à l’aventure forestière. Décidément, non, la chasse n’est pas «juste une tuerie», mais bien une mentalité qu’ont et que partagent certains passionnés.
Filet de chevreuil aux saveurs d’automne
Ingrédients pour 4 personnes
Chevreuil
- 800 g de filet de chevreuil
- Sel, poivre
- Huile d’arachide
- 50 g de beurre
Saladine de chou rouge
- 300 g de chou rouge taillé finement
- 1,5 dl d’huile d’olive extra-vierge
- 1 dl de vinaigre balsamique de framboise
- Sel, poivre, sucre
Poire au safran et épices
- 5 dl d’eau
- 5 dl de vin blanc
- 190 g de sucre
- 1 demi-bâton de cannelle
- Une pointe de safran
- 2 étoiles d’anis
- Les zestes d’une demi-orange
- Une tombée de jus de citron
- 4 poires (louises-bonnes) épluchées, avec la queue
Jus
- 200 g de parures de chevreuil
- Garniture aromatique (carotte, oignon, céleri, poireau)
- Baies de genièvre et poivre de Voatsiperifery
- 2 dl de vin rouge type gamaret
- 0,5 dl de porto
- 5 dl de fond de gibier
- Huile d’arachide
Marrons caramélisés
- 200 g de marrons surgelés ou épluchés et cuits
- 150 g de sucre
- 1 dl de crème
- 1 pincée de fleur de sel
Viande
● Préchauffer le four à 220°C, tailler quatre médaillons de filet de chevreuil et les assaisonner.
● Dans une poêle chaude, saisir rapidement les filets de chaque côté. Arroser avec le beurre noisette puis débarrasser dans un plat allant au four.
● Passer 5 à 6 minutes au four puis laisser reposer la viande. A l’envi, la rouler dans des petits morceaux de noisettes. Tailler les médaillons en deux.
Saladine
● Diluer une pincée de sucre, le sel et le poivre dans le vinaigre, ajouter l’huile d’olive. Mariner le chou rouge 15 minutes dans cette vinaigrette.
Poire au safran et épices
● Bouillir le vin blanc et le flamber. Ajouter l’eau, le sucre et les épices, laisser infuser.
Cuire les poires à feu doux durant 30 minutes puis laisser reposer une nuit dans le sirop.
Jus
● Saisir les parures de chevreuil dans un sautoir, ajouter la garniture aromatique et les baies.
● Déglacer au porto, puis au vin rouge, mouiller au fond de gibier. Laisser mijoter à feu doux et réduire jusqu’à obtenir une consistance sirupeuse.
Marrons caramélisés
● Faire caraméliser le sucre, ajouter petit à petit la crème tempérée, ajouter la fleur de sel.
● Ajouter les marrons et laisser cuire à petit feu environ 40 minutes.
Dressage
● Placer un peu de saladine au centre de l’assiette, ajouter les médaillons, une poire, quelques marrons et une cuillerée de jus.
● Décorez avec quelques pousses (sapin, genévrier, bruyère) et une purée de chou rouge.
Les Touristes Rue de l’Hôpital 2, Martigny, 0041 27 552 01 50