L’avion pontifical d’Alitalia, portant immuablement le numéro AZ4000, vole à son altitude de croisière entre Rome et Rabat. A son bord, le 30 mars en fin de matinée, le pape François parcourt joyeusement la travée centrale du Boeing 737-800, échangeant comme à l’accoutumée avec la soixantaine de journalistes accrédités qui l’accompagnent pour ce 28e voyage apostolique à l’étranger. Il paraît détendu, souriant, prenant son temps avec chacun, bénissant un chapelet, posant pour un selfie, acceptant un cadeau. En arrivant vers les derniers rangs, un précieux exemplaire du livre d’entretiens qu’il avait cosigné avec le rabbin Skorka, paru pour la première fois en Argentine en 2010 alors qu’il n’était encore que le cardinal Jorge Mario Bergoglio de Buenos Aires, lui est tendu. Ne dissimulant pas sa surprise, tout en acceptant volontiers d’y apposer sa griffe, il lâche tout à trac, sourire aux lèvres: «Ce livre est un péché de jeunesse!»
Prophétie
Derrière la galéjade, le clin d’œil est d’abord jésuite: ce qu’il ne dit pas, c’est qu’alors, derrière Bergoglio perçait déjà François dans ces pages prophétiques et tous les thèmes de son pontificat. Exactement les mêmes que ceux inscrits au programme de cette visite au Royaume du Maroc: le dialogue interreligieux, les périphéries géographiques et existentielles, la fraternité avec les personnes migrantes, la fraternité humaine, l’espoir et la paix dans le monde.
Après l’Egypte et les Emirats arabes unis, la visite au roi et commandeur des croyants Mohammed VI était aussi une étape attendue dans son travail de diplomatie religieuse envers l’islam, destinée à dépasser «les tensions» et «les stéréotypes» qui «conduisent toujours à la peur», pour «opposer au fanatisme et au fondamentalisme la solidarité de tous les croyants».
Programme chargé
Le programme a été chargé. Dès sa descente d’avion, accueilli à l’aéroport de Rabat-Salé par le roi Mohammed VI, le pape s’est rendu ensuite à l’esplanade de la Tour Hassan pour y rencontrer le peuple marocain, les autorités, la société civile et le corps diplomatique, puis au Mausolée Mohammed V, et enfin à à l’Institut Mohammed VI pour les imams, prédicateurs et prédicatrices, avant de conclure sa journée avec les migrants accueillis par la Caritas diocésaine de Rabat.
Dimanche matin, il s’est déplacé, en visite privée, au Centre rural des services sociaux de Témara, géré par les Filles de la Charité. Puis, dans la cathédrale de Rabat, il a rencontré le clergé, les religieux, les religieuses et le Conseil œcuménique des Eglises du Maroc, avant de réciter l’Angélus. Après un déjeuner avec les évêques à la nonciature, il a célébré une messe au complexe Prince Moulay Abdellah, en présence d’environ 8000 fidèles de 60 nationalités différentes.
Pèlerin de la paix
Point fort de cette visite sous le ciel marocain: la signature avec le roi Mohammed VI d’un appel pour Jérusalem reconnaissant l’unicité et la sacralité de la Ville Sainte, pour que soit «conservé et promu» son «caractère spécifique multireligieux».
Après le rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis, les accords de paix en Colombie entre l’Etat et la guérilla, notamment, le pape François s’impose une fois encore en pèlerin de la paix sur la scène internationale.
A peine rentré du Maroc, il vient encore d’inviter le président du Soudan du Sud, Salva Kiir Mayardit, et le chef des rebelles, Riek Machar, à une «retraite spirituelle» au Vatican. Celle-ci devrait avoir lieu ces 9 et 10 avril et aura pour but de favoriser la paix dans ce pays, le plus jeune au monde. Dans l’avion du retour, lors de sa traditionnelle conférence de presse, le souverain pontife a prévenu une fois de plus: «Ceux qui construisent des murs finiront prisonniers des murs qu’il construisent. La peur est le début des dictatures.»