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Architecture

Mario Botta: «Je travaillerai jusqu’à ce que je tombe»

Visite chez le maestro. Les édifices signés Mario Botta sont des œuvres d’art complexes, une invitation à dialoguer avec le futur. A 80 ans, l’architecte de Mendrisio (TI) travaille toujours avec ardeur: sur 20 projets à la fois! «En revanche, la nuit, je dors comme un bébé.»

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L'atelier de Mendrisio de Mario Botta

L’univers des belles idées: dans son atelier de Mendrisio, Mario Botta n’a pas de place attribuée. «Je suis là où on a besoin de moi.»

Geri Born

Il pourrait se contenter de se détendre, de prendre du recul, de jouir de la vie. Or, c’est précisément ce que Mario Botta ne sait pas faire. Les vacances lui font horreur, ce qui déclenche régulièrement des disputes avec son épouse, Maria. Noël, la famille, faire une pause: «Oh, mon Dieu, ce n’est pas mon truc!» A 80 ans, son regard continue de scruter l’avenir. Il est justement en train de construire, en Chine, un campus avec ses facultés qui accueilleront des milliers d’étudiants. En Corée du Sud se dressera une synagogue aux murs intérieurs peints en bleu. Et, en Alsace, il met la dernière main à la Villa René Lalique et à son spa, propriétés de l’entrepreneur suisse Silvio Denz.

Impossible de calmer Mario Botta. «Je travaillerai jusqu’à ce que je tombe. Je ne puis m’imaginer une plus belle mort.» Voilà bientôt soixante ans que cette star de l’architecture embellit le paysage de ses œuvres. Sous ses mains, même la plus banale piscine ou une station de chemin de fer de montagne dégagent une aura particulière. Il donne aux gens l’envie d’escalader les sommets juste pour refaire le plein d’énergie dans une chapelle, y compris à ceux qui sont aussi peu dévots que l’homme qui l’a bâtie. La Granatkapelle, dans le Zillertal, dans le Tyrol autrichien, fait partie de ces lieux magiques. On croirait que le cube plane au-dessus de la crête. L’église de Mogno (TI) est tout aussi impressionnante, sans parler de la Cappella Santa Maria degli Angeli sur le Monte Tamaro, également au Tessin. Les sanctuaires dessinés par Botta sont pensés pour tout un chacun. Quelle que soit la croyance religieuse, ils sont des lieux de paix, de recueillement, de méditation et de reconnaissance silencieuse.

L'Église De Mogno, au Tessin

L'Église De Mogno, au Tessin. En 1986, une avalanche a détruit la petite chapelle du XVIIe siècle dédiée à saint Jean-Baptiste. Sa reconstruction par Mario Botta a suscité des polémiques. Elle est désormais considérée comme une oeuvre majeure.

Stefan Kiefer/imageBROKER/Keystone

Entre sensualité et abstraction


Que l’on aime son style ou non, il est évident que Mario Botta a marqué de sa patte l’architecture contemporaine. Parmi les 600 projets esquissés durant sa longue carrière, il en a concrétisé 100. Il est rare que l’homme dévoile son jeu, non pas parce qu’il aurait quelque chose à cacher, mais parce qu’il n’a juste pas le temps. Son bureau de Mendrisio est vaste, clair et moderne, la réceptionniste discrète. On prend place dans des fauteuils Botta étonnamment confortables et on s’émerveille. Partout des posters, maquettes, esquisses, dessins: c’est comme si on remontait le temps. Du Musée Tinguely de Bâle à la cathédrale d’Evry, en France, de la Banca del Gottardo à Lugano à la station supérieure du petit train du Monte Generoso, tout est documenté. Nombre de ces édifices sont iconiques, ils dominent le paysage sans jamais être tape-à-l’œil. Ils trahissent le talent d’un passionné qui a grandi dans une modeste ferme de Mendrisio. Tandis que les autres adolescents foncent vers la discothèque du village sur leurs cyclomoteurs maquillés, «Super Mario» construit déjà sa première villa non loin de là, à Morbio Superiore. Il a 16 ans. Un apprentissage de dessinateur architecte lui enseigne les fondements du métier. Ses parents se sont séparés dix ans auparavant. Mario ne reverra son père qu’une seule fois. La présence aimante de sa mère, de sa grand-mère et d’une tante compensera l’absence de celui qui fut le chef de famille.

Le travail, un médicament efficace


Grâce à sa résilience et à son charmant penchant méditerranéen («Je me sens plus lié à Milan qu’à Zurich»), l’ex-apprenti aura fait carrière. Mario Botta est présent sur tous les continents, excepté l’Australie. Il emploie en ce moment 15 collaborateurs qui ont tous leur place de travail – sauf le patron: «Je suis là où on a besoin de moi.» Des plans sont déroulés, des maquettes contrôlées, les étapes ultérieures discutées devant l’ordinateur. L’ambiance? Recueillie, silencieuse, très concentrée. On pourrait passer des semaines à le regarder faire. Mais cela le rendrait encore plus impatient. Car l’impatience est sa marque de fabrique. C’est elle qui l’anime, qui l’incite à tenter sans cesse de nouveaux paris créatifs. Ce qui soulève une question: peut-il au moins jouir de sa renommée? Il rigole: «Ce serait égoïste. Une fois qu’un ouvrage est achevé, il ne m’appartient plus. C’est la communauté qui doit vivre avec. Moi, j’aime l’idée que le travail est un plaisir. Même quand je suis malade et que mon corps me cause des problèmes, je m’installe à ma table et je dessine. Alors ça va tout de suite mieux.»

L'architecte Mario Botta

Les yeux ouverts sur le monde. Pour Mario Botta, avec ses éternelles lunettes rondes sur le nez et un crayon rouge à la main, les vacances sont un pur gaspillage de temps.

Geri Born

Au royaume des rêves et des visions


Ce n’est pas le succès qui lui importe mais un sentiment de reconnaissance, d’estime. «Construire est sacré, c’est une sorte de geste saint. C’est jeter des ponts vers la prochaine génération et c’est toujours une aventure grandiose. Si mon travail, une fois achevé, est interprété de façon adéquate, c’est qu’il était bon.» Un architecte moyen crée un produit moyen, un architecte génial se surpasse. Sans persévérance ni courage, on n’y arrive pas. «Je suis sans cesse assailli de doutes. Tout doit s’intégrer dans le temps présent, l’idée, les matériaux et la réalisation. Souvent, je me bats pour la meilleure solution, je dois tenir compte de facteurs politiques, écologiques, émotionnels. Construire est un acte hautement complexe. Heureusement que tout ce labeur ne m’enlève pas le sommeil.»

Botta aime dormir et il dort longtemps, comme un enfant heureux d’être là. Il assure que dormir est une des plus belles activités qu’on puisse imaginer. Il ne se souvient pas de ses rêves. «Dès que j’ouvre les yeux, je me rends compte du cadeau que constitue la vie. Chaque matin, les problèmes de la veille se sont estompés.» 

A 6 heures du matin, dans leur loft lumineux de Mendrisio, son épouse lui prépare un thé. Puis il marche jusqu’au bistrot, lit le journal accompagné d’un expresso. Ils sont mariés depuis cinquante-cinq ans. Leurs trois enfants travaillent depuis 1998 dans l’atelier du papa. «Je ne les ai pas obligés. L’architecture est un boulot effroyable. Parfois, je préférerais qu’ils aient choisi une autre voie.»

Le domaine privé de Mario et Maria Botta

Image rare: le domaine privé de Mario et Maria Botta est une oasis emplie d’œuvres d’art et de souvenirs.

Geri Born

Mais le travail l’appelle et son regard se détourne. Une dernière question: «Existe-t-il quelque chose que vous, Mario Botta, devez encore construire?» «Oh, bien sûr, réplique-t-il tout de go. Je rêve depuis longtemps d’un magnifique couvent baigné de lumière. Mais l’Eglise est en crise, il va falloir que je me dépêche.» 

Par Caroline Micaela Hauger publié le 3 février 2024 - 06:58