Au commencement, il y a le silence. Chez elle, à Sommentier, village agricole proche de Romont, Marie-Claude Chappuis apprend ses rôles d’opéra par cœur. A la fin, il y aura l’ouragan – par exemple sur la scène de la Scala de Milan, où la mezzo-soprano chante devant un public de 2000 personnes. Même sans micro, il faut que chaque mot soit intelligible depuis les derniers rangs. Sa voix étreint l’audience, il y aura des ovations debout.
«Je voudrais toucher le cœur des gens par mon chant.» La native de Fribourg est étendue sur la terrasse de sa maison. Ses doigts feuillettent avec agilité la partition de «La belle Hélène», l’opérette de Jacques Offenbach. Elle se prépare: en décembre, elle interprétera au Théâtre de Saint-Gall le rôle principal d’Hélène. Avant, elle avait incarné celui de Didon dans «Didon et Enée», de Purcell.
Indépendante au vaste répertoire
Les notes, elle savait les lire avant les lettres de l’alphabet. Elle a étudié le chant au conservatoire de sa ville natale et à l’Université Mozarteum de Salzbourg. Elle a parfait sa formation au sein de l’ensemble du Tiroler Landestheater d’Innsbruck et y chantait déjà des premiers rôles.
Indépendante depuis 2003, elle apparaît sur les scènes en Suisse et à l’étranger. Son répertoire est vaste: opéra classique et romantique, lied et chant populaire, musique sacrée, opéra baroque… Dans ces deux dernières catégories, elle figure dans le top 10 mondial. Les chefs d’orchestre les plus réputés, comme Roger Norrington et Riccardo Chailly, se l’arrachent. Son travail avec le légendaire chef Nikolaus Harnoncourt fait partie de ses moments les plus gratifiants. Lorsqu’il dirigeait l’«Idoménée» de Mozart à l’Opéra de Zurich et qu’elle chantait le rôle d’Idamante, il lui dit: «Vous n’interprétez pas Idamante, vous êtes Idamante.»
Funambulisme
Son métier est à la fois le plus beau et le plus difficile, estime-t-elle. «C’est du funambulisme, notre corps est notre instrument de musique. Nous devons veiller sur lui quotidiennement, surmonter rapidement toutes les anicroches.» Elle a le trac chaque fois qu’elle monte sur scène: «Je veux donner le meilleur de moi-même au public.» Et d’ajouter: «Ce ne sont pas seulement les succès qui font une carrière, c’est aussi l’énergie qu’on met à se relever.» A l’entrée des artistes du Theater an der Wien, ses fans l’attendent des heures durant pour un autographe. «Ces contacts sont beaux, précieux. En Suisse, les gens sont souvent trop timides pour ça.»
Pendant ses vingt années de carrière, Marie-Claude Chappuis a affronté mille fois le public. Elle court le monde au moins six mois par an. «J’aime bien me trouver à l’étranger, mais je me réjouis toujours beaucoup de rentrer.» Elle a esquissé les plans de sa maison. Par la fenêtre du séjour, on voit des fermes, des prairies, de la forêt. «C’est ici que je trouve la sérénité, le repos et l’inspiration. J’ai besoin de beaucoup de liberté et de solitude», avoue cette célibataire qui aime chanter la nuit en contemplant le firmament étoilé à travers la lucarne.
L’artiste s’assied à son piano à queue de concert, un Steinway de 1915. Elle est également une pianiste douée. Il y a un an, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga était assise sur ce même tabouret de piano. Concertiste, elle a accompagné la cantatrice pour une pièce tirée du cycle de lieder de Schumann «Frauenliebe und -leben». La conseillère fédérale était enthousiaste: «Ce furent des moments de bonheur.»
Elles se sont connues toutes les deux dans un ascenseur de l’hôtel Bellevue, à Berne, où Marie-Claude Chappuis chantait dans un concert de la Saint-Sylvestre. «La voix de Marie-Claude me touche au plus profond de moi-même, analyse la ministre. Qu’elle chante Didon au seuil de la mort, la "Passion selon saint Jean" de Bach ou des airs folkloriques fribourgeois, c’est toujours son humanité qui transparaît. Nous avons noué une belle amitié.»
«Ma voix est mon second moi»
Six à huit heures par jour, c’est le temps que Marie-Claude Chappuis consacre à s’exercer. «Un air doit mûrir, il doit exprimer mon âme.» Il faut beaucoup de temps et de ferveur «jusqu’à ce qu’on réponde aux exigences d’un rôle». Au cours de ses exercices, elle est sur Skype avec son enseignante de chant de New York, parfois elle la fait même venir. «Ma voix est mon second moi, nous vivons ensemble comme un couple. Elle est un cadeau de Dieu. Je la chouchoute comme un enfant.»
Les courants d’air sont un poison, un air trop sec aussi. Marie-Claude Chappuis a toujours un humidificateur sous la main. Lorsqu’elle ne peut pas régler la température dans un hôtel – «l’idéal, c’est 20 °C» – elle change de logis. Il est non moins essentiel de boire beaucoup d’eau, de dormir et d’entraîner le corps: «Chanter l’opéra, c’est un sport d’élite!» Texte, mélodie, mouvement: tout doit jouer de la tête aux pieds. Son regard vagabonde vers la forêt proche. «Tout nous est uniquement prêté.» Enfant, elle s’était promis de ne jamais cesser de développer son talent, de ne pas devenir amère. «J’y travaille jour après jour, je me sens comme une débutante face à chaque nouvelle tâche.» Maintenant, sa voix a besoin de repos, ajoute-t-elle. Puis elle se tait.
>> En concert:
- le 6 septembre à Neuchâtel
- le 8 septembre à La Chaux-de-Fonds dans le cadre du festival 1001 Harmonies - le 22 décembre à Fribourg pour le concert de Noël (Festival du lied)
Le CD
Le dernier CD de Marie-Claude Chappuis, «Au cœur des Alpes – Folksongs from Switzerland». Sa maman Thérèse y chante aussi.