- «L’illustré»: Bonjour Joseph Gorgoni, comment allez-vous?
- Joseph Gorgoni (J.G.): Ecoutez, pas trop mal... Mieux à vrai dire. (Clin d’œil appuyé.) Vous savez, j’ai été TELLEMENT MALADE.
- On peut le dire. On l’a même révélé dans «L’illustré» en 2021: une double greffe des poumons, un covid, une intubation, un long coma et...
- J.G.: ... bon, ça va! On ne va peut-être pas rouvrir le dossier que vous avez abondamment traité. (Autosatisfait.) J’en ai fait un spectacle à succès et je sors même un livre sur le sujet.
Joseph Gorgoni raconte son calvaire
- Très bien... Et votre hospitalisation récente?
- J.G.: (Soupçonneux.) Mais vous ne seriez pas en train d’essayer de gagner du temps... en attendant Marie-Thérèse Porchet, par hasard?
- (Gêné.) Quelle idée!
(Marie-Thérèse Porchet fait une entrée fracassante.)
- Marie-Thérèse Porchet (MTP): Ah non! Alors ça, non! J’aime autant vous dire que ça va pas se passer comme ça va se passer. Non parce que quand même, les bornes ont des limites!
- (Feignant la surprise.) Marie-Thérèse, vous ici? (En aparté.) Dommage, Joseph, je crains que nous ne devions changer de sujet...
- MTP: (L’air pincé, elle désigne Joseph Gorgoni.) Qu’est-ce qu’il fait là, celui-là? Laissez-moi deviner: il vous supplie de raconter dans «L’illustré» comment il a été «tellement malade»?
- J.G.: Alors justement, non! J’essayais plutôt...
- MTP: (S’adressant au journaliste.) Vous ne m’aviez pas prévenue qu’il serait là, mastic! C’est pas possible, toujours à vouloir faire son intéressant! Non mais franchement, on a compris: «Je me suis fait changer les poumons, je me suis fait changer les poumons!» Il nous pompe l’air! Quand Jacqueline s’est fait changer la hanche, on n’en a pas fait tout un spectacle... et encore moins un bouquin!
- J.G.: Ecoutez, Marie-Thérèse, je crois vraiment que ce n’est pas le sujet de...
- MTP: (Indignée.) ... et vous avez osé commencer sans MOI?
- Marie-Thérèse, vous fêtez avec Joseph Gorgoni vos 30 ans...
- J.G.: (Taquin.) ... de carrière!
- MTP: Goujat! C’est pas la peine d’être désagréable. En même temps, quand je vous regarde, je me rends compte que ça n’a pas été facile pour tout le monde! (Rire.) Ça vous a marqué toutes ces années! Vous avez une mine é-pou-van-ta-ble.
- J.G.: En même temps, vous savez, j’ai été tellement malade...
- (Les interrompant.) Merci. Je disais donc: 30 ans de collaboration...
- MTP: C’est plus une collaboration à ce stade, c’est de l’assistance sociale!
- Mais n’est-ce pas un peu long, 30 ans?
- MTP: Trente ans? Plutôt 20, car depuis 10 ans, je suis abandonnée, délaissée... Quantité négligeable! En 2013, Pierre Naftule, auteur et producteur, et Joseph Gorgoni m’ont dit: «On va te créer un nouveau spectacle: «20 ans de bonheur»!» pour fêter mes 20 ans de carrière... Quelle originalité! Depuis, plus rien. Alors, cette année, quand enfin on me prête un peu d’attention, qu’est-ce qu’on me propose: «Marie-Thérèse fête ses 30 ans de carrière.» Comme la Fête des vignerons: une idée tous les 10 ans, tous les 10 ans la même idée!
- J.G.: C’est tous les 25 ans, la Fête des vignerons...
- MTP: Oh, toujours plus malin que les autres! Mais j’ai vu clair dans son petit jeu: parce que pendant que la vieille renfloue les caisses en tournant dans les salles communales, Gorgoni se la joue grand seigneur, seul sur les scènes romandes, Monsieur parade avec «De A à Zouc» puis «TransPlanté»! Et tout ça grâce à qui?
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- Vous voulez dire que, sans vous, Joseph Gorgoni ne pourrait pas exister artistiquement?
- MTP: (Rire grinçant.) Ha! Sans moi, il ne serait jamais sorti de Genève...
- J.G.: J’ai quand même fait «Cats» à Paris...
- MTP: (Hautaine.) Ça aussi, on le saura! Faites-en un bouquin!
- J.G.: (Fier.) C’est déjà fait. Et en attendant, qui c’est qui vous a fait monter sur scène pour la première fois à la «Revue de Genève» en 1993?
- On n’a pas besoin de savoir qui était là en premier... C’est un peu comme la poule et l’œuf...
- MTP: Alors pour la poule, je sais pas... mais je sais qui de nous deux ressemble à l’œuf! Chauve qui peut! Ha! ha! ha! (Elle rit toute seule à son gag.)
- Joseph, pourquoi vous est venue l’envie de vous lancer en solo, sans Marie-Thérèse?
- J.G.: Après tout ce qui m’est arrivé, mon hospitalisation, j’ai failli mourir trois fois en six mois, il fallait que ce soit moi qui le raconte. Avec mes mots, ma vision, sans forcément faire des gags tout le temps avec... ELLE! (Il la désigne du pouce.)
- MTP: J’ai vu le spectacle. Si vous souhaitiez ne pas être drôle, c’est réussi, bravo!
- J.G.: C’est faux, le public rit beaucoup...
- MTP: Il se moque de vous! Chaque soir vous finissez en pleurant...
- Joseph, vous pleurez vraiment, même après plusieurs dizaines de représentations?
- J.G.: C’est vrai. Je suis ému tous les soirs à la fin du spectacle. Vous savez, avec tout ce que j’ai vécu...
- MTP: Vouiii! Il a été... «tellement malaaade»!
- J.G.: Alors forcément, le raconter sur scène, devant des gens qui m’envoient tant d’amour et de soutien, c’est très émouvant.
- MTP: Gna-gna-gna-gna. Tapette!
- J.G.: Alors là, non! On ne peut plus vraiment dire ce genre de chose, Marie-Thérèse.
- MTP: Ça y est, c’est reparti! «On ne peut plus rien dire!»
- Joseph, vous trouvez qu’en humour on doit faire attention désormais, qu’on ne peut plus rire de tout?
- J.G.: (Pensif.) On ne peut pas dire ça. On ne peut pas dire qu’on ne peut plus rien dire. On peut dire des trucs, les gens peuvent répondre des trucs, il y a ce qu’on dit, il y a ce qu’on pense. Il y a ce qu’on dit qu’on pense, mais le mieux, c’est de dire ce qu’on à dire pour que les gens comprennent ce que vous dites. Vous comprenez ce que je dis?
- (En faisant non de la tête.) Oui, oui...
- MTP: Mouais, moi j’ai rien compris. Et je continuerai à dire ce que je dis. Ah ça, j’ai pas la langue dans la bouche!
- Marie-Thérèse, justement, ça fait longtemps qu’on n’a pas entendu ce que vous aviez à dire... sur scène.
- MTP: (Elle se rengorge.) Alors justement, je reviens avec un tout nouveau spectacle: Marie-Thérèse fête ses 30 ans.
- J.G.: (Il l’interrompt.) Trente ans... de carrière!
- Et de quoi parlez-vous sur scène?
- MTP: (Elle minaude.) Oh, c’est vraiment très original: je parle de MOI, de ma carrière, de la société, de mes amis, de ma famille, de l’actualité...
- J.G.: (Las.) Ah oui, c’est TRÈS original.
- Marie-Thérèse, l’actualité vous inspire?
- MTP: Beaucoup. Vous savez, nous les artistes, nous avons été très touchés à cause du covid. Pendant deux ans, ça a été la chienlit. Privée de mon public: adieu la RTS! Pendant deux ans, c’était RTT, RHT, OFSP, APG, FFP1, FFP2, FFP3... On se serait cru à l’Administration fiscale française!
- J.G.: Parlez pour vous. Moi, pendant le covid, j’étais...
- MTP: (Elle hurle.) ON SAIT! D’ailleurs pardon, mais on ne peut pas dire que vous vous êtes fait beaucoup de souci pour moi pendant la pandémie. Pas un seul coup de fil!
- J.G.: Ben forcément, j’étais dans le coma.
- MTP: Et comment vouliez-vous que je le sache si vous ne m’appelez pas? C’est quand même la moindre des choses!
- J.G.: En m’appelant vous, par exemple?
- MTP: Comme si je n’avais eu que ça à faire...
- (Prudent.) On sent que, comme dans tous les couples, tout n’est pas rose tous les jours...
- MTP: Couple? Non mais vous l’avez vu? Je ne pense pas que je sois son genre de femme.
- Peut-être, mais quoi qu’il en soit vous totalisez 30 ans de succès et d’intimité!
- J.G.: Il faut dire que Pierre Naftule y était pour beaucoup.
- MTP: Oui, c’était vraiment lui le ciment de notre relation.
- J.G.: (Emu.) Pierre nous manque beaucoup.
- MTP: Ah ça... (Emue à son tour.) Il était devenu plus qu’un producteur... C’était un ami... Vous savez, quand il est parti, j’ai perdu comme un frère... ma moitié. A sa disparition, l’an dernier, une partie de mon âme s’est envolée... Il me manquera à tout jamais. Sans lui, je ne suis plus la même. Lui qui éclairait ma vie a rejoint les étoiles... Il guidait mon chemin... Il m’accompagnait au quotidien... Et surtout il me payait, NOM DE DIEU!
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- Pardon?
- MTP: Non mais parce que c’est bien gentil tout ça, mais qu’est-ce que je vais devenir moi? Qui va me verser mon salaire? Ah là là, vraiment! Tout le monde les plaignait, mais personne n’a pensé à MOI!
- J.G.: C’est vrai qu’on a beaucoup parlé de Pierre Naftule et de sa maladie à l’époque. Alors que moi, pendant ce temps, j’étais...
- MTP: (Ulcérée.) LA FERME!
- Malgré son départ, vous arrivez tous les deux avec de nouveaux projets: Joseph un livre autobiographique, Marie-Thérèse un nouveau spectacle... La vie continue, donc?
- J.G.: Oui, il faut bien! Depuis le départ de Pierre, on a engagé un petit jeune pour lui succéder, Sébastien Corthésy.
- MTP: (Elle grimace.) Sébastien Courtzizi.
- J.G.: Non: Cor-thé-sy.
- MTP: (Aguicheuse.) Ça, c’est vous qui le dites. Moi, je ne crois que ce que je vois.
- Est-ce que ça a changé votre façon de travailler?
- J.G.: Evidemment. Il est plus jeune, alors forcément il a un regard... différent.
- MTP: Oui, il a sa propre manière de faire... Tenez, depuis que le spectacle de Joseph a du succès...
- J.G.: ... oui, parce que vous savez, j’ai été tellement...
- MTP: ... grrr! Eh bien depuis son spectacle, dès qu’il m’aperçoit, Courtzizi me tousse dessus en espérant que moi aussi je devienne «tellement malade».
- J.G.: (Il la nargue.) Bon courage pour me battre là-dessus!
- MTP: Ah ouais? Vous pensez pas que j’peux? Viens me tousser dessus si t’es un homme!
- Et vous, Joseph, vous avez vu des changements entre Pierre Naftule et Sébastien Corthésy, votre nouveau manager?
- JG: Il a des méthodes différentes. Le premier soir de mon spectacle «TransPlanté», lorsque je suis sorti en pleurs, il est venu vers moi. Il m’a pris dans ses bras et m’a dit: «Mais qu’est-ce c’était émouvant comme tu as pleuré sur scène... Fais ça tous les soirs!»
- MTP: Quel cœur, Courtzizi!
- JG: C’est pas facile de changer ses habitudes, mais se renouveler, c’est le prix à payer pour travailler avec des artistes de la nouvelle génération.
- Marie-Thérèse, vous travaillez parfois avec eux?
- MTP: (Sûre d’elle.) Tout à fait. Thomas Wiesel m’a d’ailleurs invitée à participer à un gala de stand-up avec lui. Ça m’a beaucoup flattée! Je lui ai dit: «Vous voulez que je parle de quoi?» Il m’a répondu: «Vous pouvez parler de sujets de société, de politique, d’actualité... Vous pouvez même parler de vous! En fait, vous faites comme d’habitude... mais en drôle.» (Elle maugrée.) L’insolent, mais je l’aurais tarté!
- Pour conclure, est-ce qu’après 30 ans de collaboration vous envisagez de continuer votre route séparément?
- JG: Alors ça, jamais!
- MTP: (Très surprise.) C’est vrai? Ça me touche... Mais ça me touche! Mais qu’est-ce que ça me touche. Non, vraiment, je suis touchée.
- JG: Marie-Thérèse, c’est mon exutoire, ma récréation, mon bonheur... C’est une part tellement importante de ma vie. Je l’aime beaucoup...
- MTP: Non, vraiment, vous êtes un sucre.
- JG: Et... j’adore la détester!
- MTP: Salaud!
- Et pour vous, Marie-Thérèse?
- MTP: Ça m’ennuie beaucoup de le dire, mais sans lui je ne serais rien. Je ne peux pas m’en séparer! Plus qu’une raison de vivre, il me donne la vie. Alors j’accueille, j’accepte et je fais avec... Il y a plein de choses sur lesquelles on n’est pas d’accord, mais vous savez ce qu’on dit, on ne choisit pas sa famille... Et ça aurait pu être pire: il aurait pu être Suisse allemand!
(Les deux font une moue de dégoût et se tombent dans les bras. Réconciliés.)
>> «TransPlanté. Vie et (presque) mort de Joseph Gorgoni» (Ed. Favre) est en librairie.
>> La tournée «Marie-Thérèse fête ses 30 ans (de carrière)» a débuté le 30 novembre à Payerne et se poursuit en Suisse romande jusqu’en juin 2024. En 2024, Joseph Gorgoni jouera également «TransPlanté». Dates et billets pour les deux spectacles: www.jokerscomedy.ch/speaker/marie-therese-porchet