«Les Dicodeurs», émission culte et signature de La Première, est désormais présentée par une nouvelle voix, celle de Marie Riley. La mission casse-gueule par excellence. Pourtant, le défi n’impressionne pas la Fribourgeoise. Peut-être parce que, à 38 ans, cette mère de trois enfants a déjà vécu plusieurs vies successives ou en parallèle: musicienne, gérante de bar, blogueuse, spécialiste en communication, animatrice, productrice...
- Vous êtes l’exemple par excellence d’une hyperactive, non?
- Marie Riley: Je préfère qu’on me qualifie de polyvalente. Je suis assoiffée d’action. C’est un besoin irrépressible, un remède contre mes angoisses. Les requins, quand ils arrêtent de bouger, ils meurent...
- Reprendre la barre des «Dicodeurs», cela vous stresse quand même un petit peu?
- Pas du tout. C’est même la première fois dans la vie que je ne souffre pas du syndrome de l’imposteur. Je suis persuadée que cet engagement me fait arriver là où je devais être. Ce n’est pas de la prétention, c’est parce que j’ai totalement confiance en moi dans ce rôle, parce que j’ai les atouts nécessaires et l’envie aussi. J’aime ce métier, j’aime ce média, j’aime être près d’un public et parmi une équipe en forme de grande famille.
- On ne vous a pourtant pas approchée spontanément quand il a fallu trouver quelqu’un pour succéder à Laurence Bisang.
- C’est vrai. J’ai fait mon petit chemin à la radio, avec des chroniques et des remplacements. Alors quand ce job a été mis au concours, j’ai postulé sans me faire d’illusions. Et, à ma propre surprise, la direction a pris le risque de me choisir. Laurence Bisang avait choisi l’option juste: porter l’émission sans se mettre en avant. C’était «Les Dicodeurs» avec Laurence Bisang. L’émission passait toujours avant l’animatrice. C’est exactement ce que je compte faire et ce souci de continuité a sans doute contribué à ma désignation.
- «Les Dicodeurs», c’est de la linguistique ludique. Vous aimez les mots, vous aimez jouer avec le langage?
- C’est aussi une de mes passions. Sur Couleur 3, j’avais créé une chronique qui s’appelait «Les petits mots jolis» et qui parlait d’étymologie. Je rappelais par exemple qu’«orchidée» vient du grec «orkhis», qui signifie «testicule». Ma mère est prof de latin-grec. Elle est aussi psychanalyste et chacun de nos lapsus faisait l’objet d’un débat de trois heures. Un cousin est prof à Oxford, un oncle est un grand spécialiste du latin; il y a donc une vraie passion pour la langue dans ma famille. Mes enfants n’ont pas été épargnés. Ma fille de 13 ans se lance dans des études de latin.
- Vous êtes attachée au service public, qui est de nouveau attaqué avec l’initiative «200 francs ça suffit»...
- Oui. Cette émission, ce rendez-vous de midi est d’ailleurs un parfait exemple de ce service public proche des auditeurs. Nous nous déplaçons dans des localités pour mettre en valeur des gens qui ne sont pas des célébrités, mais qui ont néanmoins des tas de choses à dire. Arriver dans un village, c’est aussi assurer un côté spectacle. C’est la vocation de la radio d’être proche des gens et de les mettre en valeur.
>> Lire aussi: Blaise Bersinger: «Je suis un enfant de la téloche»
- Votre parcours est atypique, vos tatouages sont spectaculaires, mais vous avez trois enfants et ne vous complaisez pas dans la provocation. Quel est le secret de votre extravagance contrôlée?
- On ne peut pas tellement me contenir, mais je reste en effet dans les clous. J’aime bien surprendre. Je ne rentre dans aucune case, tout en rentrant dans toutes les cases. Je suis une féministe et très fière d’avoir été mère au foyer. En fait, je pense qu’on peut être tout. Mes tatouages sont spectaculaires pour vous, mais pour mes enfants ils sont ringards.
- Ces tatouages n’en demeurent pas moins spectaculaires. Qu’est-ce qu’ils expriment?
- C’est un agenda de vie, un journal de bord. Mais rien de mystique. Sur les doigts de mes mains, si j’ai fait tatouer «thon» et «mayo», c’est parce qu’il fallait deux mots de quatre lettres. Et cela m’amusait de prendre le contre-pied des mots pompeux qu’on réserve habituellement à ces emplacements. En anglais, c’est le plus souvent «hate» ou «love». Moi, j’ai mis «thon» et «mayo». Je me suis fait tatouer aussi les noms de mes enfants, des musiciens que j’aime: Elvis Presley, Lemmy Kilmister de Motörhead. Ces tatouages, c’est une démonstration de lâcher-prise. Cela dit, je me suis toujours fait tatouer à des moments importants de ma vie.
- Ce n’est donc pas un besoin d’attirer les regards?
- Non. Mais je comprends qu’on me regarde avec insistance, à la piscine notamment. Moi, je ne les vois plus vraiment. En fait, ces tatouages ont eu de l’importance au moment de leur création. Je les «digère» ensuite rapidement. Cela dit, on m’a eu craché dessus quand j’étais enceinte. On a dit à mes enfants que leur maman avait le diable sur ses bras. Je comprends que cela puisse heurter certaines personnes, mais ce n’est absolument pas le but.
- Elvis, Motörhead, Abba... vos musiques préférées sont très consensuelles, très populaires pour quelqu’un d’atypique et qui vient de Couleur 3.
- J’assume totalement ma ringardise musicale. J’ai été formée au jazz, plus précisément à la contrebasse jazz. Et je vis constamment avec de la musique, tout comme mes enfants d’ailleurs. Mais du Abba, du Claude François, les Bee Gees, ça me booste, ça me fait du bien. La musique est une compagne, du matin au soir. Et j’ai une playlist prête pour mon enterrement.
- On peut connaître quelques morceaux de cette playlist funéraire?
- Oui, il y aura «Killed by Death» («Tué par la mort») de Motörhead, je trouvais ça drôle. «I’m Still Standing» («Je suis encore debout») d’Elton John, ça me faisait rire aussi. Et puis encore «Good Riddance» («Bon débarras») de Greenday. Quand les gens entendront ces musiques à mon enterrement, cela leur rappellera le rapport absurde que j’entretiens avec la mort.
- C’est-à-dire?
- J’ai été tellement concernée par la mort, par celle de mon père et celle d’un enfant de 3 mois, que je lâche prise par rapport à cette échéance qui nous attend tous. Je vois la mort comme un moment de plus, comme un moment important de vie. Je n’éprouve aucune crainte, mais j’espère bien sûr que cet événement se produira le plus tard possible.
- Vous disiez être parfois angoissée. Ce n’est donc pas des angoisses liées à la mort?
- Ce qui m’angoisse, c’est ce que je vais laisser après mon départ. Est-ce que j’aurai amené mes enfants assez loin? Moi, je n’ai pas fait d’études. Je suis la seule de la famille dans ce cas-là. Mon frère est docteur en physique, ma sœur a des diplômes en musicologie. En fait, j’ai fait mon bac, mais j’ai enterré mon fils à ce moment-là. J’ai quand même commencé l’uni en économie-droit mais, très vite, j’ai réalisé que ce n’était pas le cursus qu’il me fallait. Et j’ai vraiment bien fait d’arrêter, car j’ai fait ensuite tout ce que je voulais, mais par la bande. Je me suis formée à travers les rencontres. C’est quand même une option plus difficile, car ce n’est qu’aujourd'hui, à 38 ans, que je parviens enfin à une certaine sécurité financière.
- La cuisine occupe une place privilégiée dans votre nébuleuse de passions. Quel est le dernier plat que vous avez triomphalement réussi?
- Un coq au vin. Les enfants ont adoré. Et mon compagnon, Gianni, a dit qu’il avait presque eu la chair de poule tellement c’était bon. Il ne l’avait pas eue chez Massimo Bottura, à Modène, un trois-étoiles Michelin, un des meilleurs restaurants du monde. Et avec ce coq au vin, j’y ai presque réussi. Bon, moi, chez Bottura, j’ai pleuré lors des quatre premiers plats tellement c’était bon. Les grands chefs sont des rock stars pour moi.
- Vous m’intriguez avec ce coq au vin. La recette avait quoi de spécial?
- J’ai commencé la cuisson en le flambant au cognac dans une poêle.
- Et la recette ambitieuse que vous rêvez de réaliser?
- Un cochon entier dans le jardin, avec huit ou neuf heures de cuisson. Je suis fan des cuissons lentes. L’année passée, avec mes sœurs, on a fait un cochon de lait et nous sommes restées cinq heures à le faire tourner, en buvant des bières et en hurlant de rire. C’est ça aussi, le plaisir de la cuisine, ça rassemble.
- Revenons à la radio. Vous êtes partie pour dix ans de «Dicodeurs»?
- Au moins, j’espère. J’ai vraiment envie de tenir cet emploi sur la durée. Et comme ce n’est pas un plein-temps, cela me laisse du temps pour continuer mes activités annexes, mon délire hyperactif, notamment mon groupe Jim the Barber. Et puis je continue Good Mourning, la création de contenus pré-mortem pour les gens qui veulent laisser une trace originale à leurs survivants. J’aimerais aussi reprendre les vidéos de cuisine.
- En attendant, rendez-vous sur La Première. Vous avez une métaphore pour décrire votre rôle dans les «Dicodeurs»?
- Je serai le fouet pour lier la mayo.
- Décidément, la mayonnaise occupe une place privilégiée dans votre vie.
- Oui, j’aime beaucoup la mayo!