«Très souvent, lorsque l’on rentrait d’un cours de poterie les trois, elle nous faisait, à mon petit frère Théo et à moi, de simples jambon-beurre. Mais ses mains retenaient encore une merveilleuse odeur de terre… qui se répandait dans les sandwichs. C’était unique. Ma grand-mère était unique. Elle s’appelait Michelle, comme la chanson des Beatles. Et avant de s’en aller d’un cancer, elle m’a offert plus de vingt ans de bonheur de vie. Ce n’était pas que ma copine: mes amies et amis étaient toujours à la maison, elle les accueillait, on faisait des tours avec elle dans sa vieille Citroën, on mettait du reggae à fond, qui résonnait dans tout le village! Et ça allait dans les deux sens: elle aussi m’emmenait voir ses copines et copains, que je vois encore régulièrement. Des gens sont surpris quand je leur dis ça, mais oui, je côtoie pas mal de septuagénaires! Je les appelle mes «p’tits vieux»…
Elle et moi, on a eu une relation que je n’ai jamais retrouvée avec personne. Je suis née à peu près en même temps que son cancer s’est déclaré, et elle est rentrée d’un tour du monde à la voile avec mon grand-père pour s’occuper de moi. Et se soigner. Je crois que nous nous sommes mutuellement soutenues, beaucoup par le rire, mais aussi par la culture. Au début, elle m’emmenait au théâtre et dans des expositions, elle m’a appris les noms des plantes et des oiseaux… Puis, plus tard, quand son état s’est affaibli, c’était à mon tour de la faire voyager. Quand j’étudiais à Bruxelles, par exemple, on s’écrivait toutes les semaines des lettres. Oui, oui, des lettres écrites à la main!
Lorsque je vivais à Berlin, elle est venue me rendre visite une fois avec Théo. C’était une coloc à huit personnes et, à cette période, j’avais un style «sapin de Noël» et des cheveux courts dressés sur la tête… Il faisait si froid qu’elle m’a emprunté ma veste en cuir et ça lui allait tellement bien! C’est ce jour-là que j’ai compris que ma grand-mère était beaucoup plus cool que moi. Elle avait compris que chaque jour à vivre n’était que du bonus et qu’elle devait profiter de la vie. C’est ce qu’elle a fait jusqu’au bout.
Aujourd’hui, le seul regret que j’ai par rapport à elle, c’est de ne jamais avoir pu l’enregistrer. J’aurais voulu pouvoir réécouter son histoire, ce qu’elle avait à me dire. Elle a suivi mon début de parcours dans le journalisme – c’est même elle qui m’a donné envie de m’y mettre – et je pense qu’elle aurait souri de me voir me mettre en scène devant mon téléphone tous les jours pour «Le Rencard»!
Si je devais retenir trois mots de ce qu’elle m’a laissé, je dirais l’adaptabilité, l’empathie et la fantaisie. Un exemple de plus? Sa manière divine de me réveiller quand j’étais petite: elle entrait dans ma chambre avec des épices, du curcuma, du ras el-hanout… elle stimulait mon odorat et je me levais en douceur. Tous les moments passés ensemble sont vraiment gravés dans ma mémoire. Tout ce qu’elle m’a donné, c’est là, je garde tout.»
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