- Vous êtes à mi-chemin de votre formation de base d’une année, comment celle-ci se passe-t-elle?
- Marco Sieber: De la meilleure des manières possibles. Les semaines sont très variées. Nous surfons entre les cours théoriques d’astronomie, des sciences de la Terre, de géologie ou encore de météorologie et les cours pratiques. Comme apprendre à se mouvoir en apesanteur dans notre piscine de 10 mètres de profondeur ou à faire de bonnes photos de notre planète depuis là-haut. Nous visitons aussi régulièrement d’autres sites de l’ESA ou industriels, liés à la recherche spatiale. Tout cela est fascinant, intéressant, passionnant.
- On vous voit enthousiaste, très heureux…
- Je le suis. Nous sommes une petite équipe. L’ambiance est très familiale. Avec mes collègues (un Belge, une Française, un Espagnol, une Britannique et une Australienne, ndlr), nous vivons beaucoup de bons moments. Et l’apprentissage de ce métier est tellement passionnant. Je réalise peu à peu que je vis quelque chose d’extraordinaire. A tel point que j’ai encore de la peine à y croire. Souvent, quand je me lève le matin, je me dis: «Waouh, quelle chance!»
- Quand vous étiez enfant, vous disiez-vous «Quand je serai grand, je serai astronaute»?
- Comme beaucoup d’enfants, l’espace me fascinait et me faisait rêver. Je me disais que ça devait être cool d’être là-haut, mais je n’en faisais pas une obsession. D’autant moins qu’à l’adolescence je m’étais mis dans la tête qu’en tant que Suisse je n’avais aucune chance d’y arriver, que ce job était réservé aux Américains et aux Russes. Ce n’est qu’en 2014, en fouillant sur internet, que j’ai pris conscience que c’était possible.
- Il y avait pourtant belle lurette que Claude Nicollier avait réalisé ce rêve. En 1992, pour être précis.
- Oui, oui, bien sûr. Mais comme je savais qu’il avait séjourné aux Etats-Unis et qu’il avait été en partie formé à la NASA, je pensais que c’était par ce biais-là.
- Vous l’avez rencontré?
- Oui. Je me suis permis de le contacter peu avant les sélections. Il m’a donné des conseils pour les aborder dans les meilleures conditions. Cela m’a beaucoup aidé et je lui en suis très reconnaissant. Qu’un scientifique de son niveau me soutienne à ce stade du processus m’a énormément touché.
- Votre famille a-t-elle joué un rôle dans votre choix?
- Pas vraiment. Il n’y a pas d’astronautes chez nous (rire). Blague à part, il est vrai que, pendant mon enfance, j’étais souvent dans des aérodromes avec mon père, pilote de planeur. L’aviation me fascinait. Je lisais des tonnes de magazines qui lui étaient dédiés. Plus tard, c’est donc presque naturellement que j’ai passé mon brevet de pilote et fait mon école de parachutisme à l’armée. Quand je repense à tout ça, je me dis que c’était peut-être une manière inconsciente d’entretenir le rêve d’espace.
- Comment gère-t-on ce rêve en sachant qu’il y a peu d’appelés et encore moins d’élus?
- En ne misant pas tout sur lui. Je n’ai jamais voulu devenir astronaute à tout prix. En fait, j’ai toujours suivi les voies qui me correspondaient le mieux et, surtout, qui me procuraient le plus de plaisir. Etudier les maths n’en faisait pas partie par exemple. Ces aspirations m’ont poussé vers la médecine.
- Quelle est ou quelles sont vos motivations profondes qui ont nourri votre passion finalement?
- L’espace est d’abord une grande aventure humaine. Peu de personnes peuvent quitter cette planète et la regarder d’en haut en vivant l’expérience de la microgravité. Sur le plan scientifique, ensuite, vous êtes à la pointe en réalisant des expériences impossibles à mener sur Terre. Penser que votre travail permet de faire avancer la technologie, de découvrir de nouveaux médicaments ou de nouveaux matériaux, de faire progresser la rechercher en matière de climat, en un mot d’être utile à l’humanité, est aussi très gratifiant. Enfin, il y a l’aspect aéronautique pur. La fusée, la station spatiale, tout est si passionnant.
- Passionnant mais coûteux. Que répondez-vous à ceux pour qui c’est beaucoup d’argent mal placé?
- L’exploration spatiale coûte très cher, en effet. Raison pour laquelle les pays se rassemblent, à l’image de l’Agence spatiale européenne, qui en compte 22. Il ne faut pas voir ces dépenses comme un coût mais comme un investissement dont le retour se fera tôt ou tard dans nos industries, sous forme d’emplois, d’impôts, etc. L’espace est un laboratoire unique où les expériences ont déjà permis de réaliser d’innombrables avancées dans toutes sortes de domaines.
- Entre les Etats et les privés, des dizaines de milliers de satellites jalonnent l’espace. Certains s’inquiètent de cette prolifération…
- Il est vrai que légiférer dans ce domaine devient urgent. Cela représente un énorme défi. Tout s’est passé tellement vite. L’exploration et la conquête spatiales sont des activités récentes, qui remontent à une septantaine d’années seulement. Personne ne pouvait imaginer une telle évolution en si peu de temps.
- Vous étiez 668 en Suisse à postuler pour votre place. C’est énorme, non?
- Oui et non. Je pense que si tous les passionnés d’espace du pays avaient saisi l’information au vol, le nombre aurait été plus conséquent. L’espace se démocratise et fascine toujours plus. Il est partout. Dans la musique, les publicités, les films, c’est un thème très porteur.
- Vous terminerez la première phase de votre formation en mai prochain. Et après?
- Cela dépendra de la sélection qui sera opérée pour le premier vol vers la station spatiale, prévu en 2026. Celui ou celle qui sera choisi(e) poursuivra sa formation à Houston, à la NASA, et les autres continueront à s’entraîner en Europe en attendant leur tour, si je puis dire. A ce jour, la décision de qui partira et quand n’est pas encore prise.
>> Lire aussi: Le Suisse qui rêve d'espace en Russie
- Mais vous êtes certain de partir dans l’un des vols prévus d’ici à 2030?
- C’est ce qui est prévu, mais on ne peut jamais avoir de garantie. Il peut se passer beaucoup de choses d’ici là, tant au niveau du programme que sur le plan personnel. Mais si tout se passe normalement, mon tour viendra.
- Vous en rêvez souvent?
- Assez, oui. Quand je regarde décoller une fusée et que je me dis «Un jour, je serai là-dedans», c’est tout de même quelque chose. J’essaie d’imaginer ce que je ressentirai, la manière dont je vivrai tout ça. Dans une certaine mesure, je le vis entre rêve et réalité aujourd’hui.
- Ne craignez-vous pas de vous décourager si d’aventure vous étiez le dernier à partir, en 2030? Sept ans, ça risque d’être long, non?
- Je ne crois pas. Je ne suis pas uniquement focalisé sur la mission. Il y a tellement de projets fascinants à mener à bien dans le programme que le plaisir est partout. Sans oublier que l’entraînement se poursuivra, tout comme les opérations de relations publiques, les conférences dans les écoles, les universités. Je dois également me ménager du temps pour suivre au mieux l’évolution de mon métier de médecin.
- La médecine vous manque?
- Parfois, oui. La chirurgie en particulier. Mais pas seulement. J’ai vécu trois années très enrichissantes sur le plan professionnel et humain en tant que médecin urgentiste auprès d’Air-Glaciers. Etre en contact avec les gens, leur porter secours, être dans l’action, cette expérience m’a énormément apporté. Aujourd’hui, je poursuis une autre voie, qui me comble tout autant. J’ai donc la confirmation d’avoir pris la bonne décision.
- Partir six mois dans l’espace ne vous fait pas peur?
- (Rire.) Non, pas du tout. Ceux qui l’ont fait nous assurent que cela passe très, très vite. Il y a tellement de travail pendant la mission. Et nous restons toujours en communication avec la Terre.
- La Station spatiale internationale est une chose. Mais il y a aussi le programme Artemis de la NASA, qui enverra des astronautes sur la Lune, et, en filigrane, la conquête de Mars. Vous rêvez aussi de faire partie de ces projets?
- Aller sur Mars arrivera tôt ou tard, mais je crois que ce ne sera pas pour notre génération. La Lune est une réalité, en revanche. Bien sûr que ça fait rêver. Les images de Neil Armstrong et de Buzz Aldrin foulant le sol lunaire sont les premières qui ont marqué l’enfant que j’étais et elles sont gravées dans mon esprit. Marcher sur une autre planète, vous vous rendez compte? Ce serait extraordinaire! Alors pourquoi pas moi? Rêver n’est pas interdit.
- Votre nouveau métier et qui plus est vos futures missions vous éloigneront de plus en plus de votre famille, de vos amis. Comment vivez-vous cette situation?
- C’est peut-être le seul inconvénient de cette profession, en effet. Je fais le maximum pour rester en contact avec celles et ceux qui me sont chers. C’est très important. La famille, les amis sont mes premiers supporters. C’est vers eux que je vais quand quelque chose m’arrive. Je rentre à Berne le plus souvent possible. En train, le week-end. Pour l’instant, tout se déroule très bien.
- Projetons-nous dans vos futures missions. Si vous pouviez emporter avec vous un élément symbolique ou sentimental représentant l’humanité, quel serait-il?
- (Il réfléchit.) De la musique, je pense. La musique a un effet rassembleur, qui représente bien l’humanité à mes yeux. Elle permet de rêver, de raconter des histoires, de passer des messages.
- Et quelque chose qui représenterait Marco Sieber?
- Des photos de famille, mais ce n’est pas très original. Ce qui me ferait plaisir là-haut? Une fleur de tournesol. J’adore les plantes et dans l’environnement technique de l’ISS, un tournesol apporterait de la gaieté et de la couleur. Quand j’étais petit, on en plantait à la maison et j’étais fasciné par la rapidité de leur croissance et par leur éclat. Ce n’est pas aussi symbolique qu’une rose, mais j’aime bien.
- Vous parlez de message. Que diriez-vous aux jeunes Suissesses et Suisses qui rêvent de suivre votre voie?
- La même chose que mes parents m’ont dite. Travaillez bien à l’école et rêvez à des projets qui vous inspirent. Dans quelque domaine que ce soit, quand on fait quelque chose qu’on aime, on jouit d’une belle qualité de vie.
- Tout à fait entre nous, est-ce que le métier d’astronaute est plus lucratif que celui de médecin?
- Cela dépend de la branche médicale, si vous avez un cabinet ou si vous travaillez dans un hôpital. Mon nouveau métier me permet de bien vivre mais ne me rendra pas millionnaire, si c’est ça que vous voulez savoir. De toute façon, je ne le fais pas pour l’argent. Je n’ai pas besoin de luxe.
- Pour certains, l’existence des ovnis est une certitude. Quel est votre avis sur la question?
- Astronaute est un métier scientifique qu’on pratique en suivant des règles et des données scientifiques éprouvées. Dans ce domaine, on ne croit pas aux choses racontées mais seulement aux choses prouvées scientifiquement. Donc, à défaut de ces évidences, les ovnis restent pour moi du domaine de l’imaginaire…