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Ski alpin

Marco Odermatt: les clés de son succès

Les superlatifs commencent à manquer pour décrire les performances stratosphériques réalisées par le Nidwaldien Marco Odermatt. Mieux, son caractère jovial et festif déclenche une épatante «Odimania» autour de lui. Décryptage d’un phénomène avec des experts tels que les champions Erika Hess, Didier Cuche ou Marco Büchel.

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Le 13 janvier 2024, Marco Odermatt remporte remporte la descente du Lauberhorn

Le 13 janvier, fou de joie, Marco Odermatt (26 ans) remporte la descente du Lauberhorn (BE), après s’être déjà imposé deux jours plus tôt sur un tracé raccourci. Champion du monde de la spécialité, il gagne là ses premières descentes en Coupe du monde: un accomplissement.

David Birri

Devant la puissance de quelques hauts faits, il arrive que la pourtant si riche langue française manque de mots. C’est ce qui s’est produit le soir du 23 janvier de l’an de grâce 2024 sur la piste dite de la Planai, où se disputait la deuxième manche du slalom géant de Schladming. Vainqueur sans partage des sept géants précédents, le grand oiseau Marco Odermatt passe alors si vite d’une porte à l’autre qu’il remonte de la onzième à la première place, alors que ses adversaires pensent enfin tenir l’occasion de le devancer. Effacées, les énormes fautes commises lors de la première manche, où il perdit à peu près le temps qu’il aurait utilisé pour boire un café. Ce soir-là, les meilleurs géantistes du monde ne peuvent que s’incliner en rangeant leurs belles lattes profilées. Un genre d’exploit à la Hugo Koblet au Tour 1951, de ceux qui font écrire des livres et chanter les troubadours. 

Ce talent brut, Didier Cuche, alors au faîte de sa gloire, l’avait repéré. Marco Odermatt devait avoir 9 ans quand il a gagné la Coupe Beltrametti, une compétition pour enfants, en partenariat avec Head, qui donnait droit pour son gagnant à une journée de ski libre en compagnie du champion neuchâtelois. Celui-ci se souvient de ce petit blond dont il était l’idole et qui est revenu plusieurs fois: «A part un bras un peu passif dans le virage à l’intérieur, il n’y avait rien à changer chez Marco. Toutes les bases de la technique étaient là.» Ses succès d’aujourd’hui, il n’en est pas autrement surpris: «Je suis persuadé que d’autres vont aussi vite que lui à l’entraînement. Mais lui, avec ses capacités mentales, il se transforme en bête de course.»

Marco Odermatt enfant avec Didier Cuche

Enfant, Marco Odermatt a pu skier plusieurs fois avec son idole Didier Cuche, parce qu’il avait gagné une compétition pour juniors. «A part un bras un peu passif dans le virage à l’intérieur, il n’y avait rien à changer chez Marco», se souvient le champion des Bugnenets (NE).

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A l’instant de résoudre l’énigme de la folle supériorité technique du skieur suisse, il faut entendre la remarque de l’Autrichien Hans Knauss, expert sur la chaîne ORF et vainqueur de sept courses de Coupe du monde de 1996 à 2003: «Regardez bien ses skis et à quelle vitesse ils reviennent dans la ligne de pente», indique-t-il. Or une loi de la physique veut qu’un ski dont la pointe est dirigée vers la vallée soit plus rapide qu’un ski qui trace encore des rayons sur les carres. Dans ce domaine, personne au sein du Cirque blanc ne sait générer la bonne pression et le bon angle avec autant de sensibilité et de précision qu’Odermatt. A cela s’ajoute une posture un peu plus droite, qui coûte moins d’énergie et confère plus de contrôle.

Autre champion du passé, le Liechtensteinois Marco Büchel, qui écrit dans la «Schweizer Illustrierte», s’enthousiasme pour la capacité du Nidwaldien à rester relax. Début janvier à Adelboden, quand il a eu le privilège de prendre l’ascenseur avec lui devant une mer de fans vociférants et qu’il lui a demandé si la pression n’était pas trop énorme, «Odi» a haussé les épaules: «Non, cela ne me dérange pas. Je suis plus détendu que les années précédentes.» Büchel se pâme alors devant ce sportif «si proche de nous, si positif et terre à terre. Sensible et enjoué sur les skis, mais aussi intransigeant et sauvage. Si ouvert aux gens, aux spectateurs, aux fans. En même temps doué pour se démarquer.» Il cite son entraîneur, Helmut Krug, qui l’a pris sous son aile dès sa première Coupe du monde. Pour le motiver lors des entraînements, ce dernier lui envoie encore de petites séquences vidéo avec la remarque: «Ce n’est pas bon!», et cela marche. Ou son manager, Michael Schiendorfer, qui assure que Marco chausse ses lattes les jours de congé, par pur plaisir, et que, en course, son amour pour le ski rayonne autour de lui comme une vague.

La voici, l’autre caractéristique d’Odermatt qui crève l’écran. Une manière extraordinairement cool de prendre ses succès. Son plaisir à rentrer des courses en empruntant le car de son fan-club, comme après son triomphe d’Adelboden. Son habitude à célébrer entre amis dans un local lucernois décrit comme plutôt loufoque, le Jodlerwirt, empire assumé du poulet frit épicé. Sa volonté de sourire à chaque séance d’autographes mais qu’on lui fiche la paix en dehors des périodes de compétition, quand les neiges ont fondu. Son bonheur quand ses coéquipiers, de Meillard à Murisier, claquent un bon temps. Jamais énervé, jamais désagréable, l’archétype du bon type. «Un Roger Federer du ski», résume l’ex-descendeur français Johan Clarey, consultant pour Eurosport.

Marco Odermatt fêtant sa victoire en glissant sur le matelas d’un sponsor au bas du géant d’Adelboden en janvier 2024

Glissade du vainqueur sur le matelas d’un sponsor, au bas du géant d’Adelboden, janvier 2024.

Fabrice Coffrini/AFP

A l’origine du phénomène, il y a la passion d’un père, Walter Odermatt, entraîneur au ski-club de Hergiswil (NW) et qui observe son fils passer sa vie sur des skis dès l’âge de 2 ans: «Marco a eu un avantage. Jusqu’à environ 16 ans, de petite taille, il était parmi les meilleurs mais jamais tout devant.» Cette situation permet au bambin de grandir sans grandes phrases autour de lui, jusqu’à exploser en février 2018, lors des Mondiaux juniors. Il en revient avec cinq médailles d’or sur six possibles. Il y a aussi cette journée fondatrice de janvier 2019, à Adelboden: Odermatt termine dixième devant 34 000 spectateurs, embrasse son père en larmes à l’arrivée tandis que le grand manitou de l’époque, Marcel Hirscher, huit fois vainqueur de la Coupe du monde, l’adoube: «Marco peut devenir vainqueur du classement général de la Coupe du monde, champion olympique, tout ce qu’il veut.» Un compliment précoce que le jeune espoir doit encaisser et que son père tempère illico: «Ce sont des paroles stupides quand on sait à quel point la marge est étroite...»

Marco Odermatt avec ses parents Walter et Priska

Ses parents, Walter (55 ans) et Priska (56 ans), vivent à Buochs (NW). Secrétaire de formation, cette dernière a accompagné partout son fils et sa fille Alina. Même si, à cause du vertige, elle ne monte pas sur un télésiège. Féru de ski, son père Walter a joué un grand rôle dans la carrière de son fils. Fou de statistiques, il tient rigoureusement à jour le temps que Marco passe sur ses skis: 1817 jours jusqu’à ses 23 ans et demi, par exemple.

David Birri

Quand elle observe la ferveur autour d’Odermatt, la grande championne Erika Hess se revoit dans les années 1980. Toujours très populaire, la plus Nidwaldienne des Vaudoises – elle est encore membre du ski-club Bannalp-Wolfenschiessen – a été invitée en fin de saison dernière à Stans, pour une cérémonie autour d’Odermatt. Elle a adoré: «Marco est simple et humain, il partage sa joie et se donne pour les gens.» Sa cousine Monika Hess s’occupe de sa préparation mentale: «Monika lui apporte beaucoup, je pense. Elle fait partie du puzzle autour de lui. Là, il est au top, il faut qu’il avance sans se poser trop de questions, qu’il profite de son élan, de sa forme.» Même si elle n’a pas eu le courage de regarder le Lauberhorn, tant elle n’a pas envie de voir les athlètes se faire mal, elle loue son ski: «Ce n’est pas un extraterrestre, mais presque. Il est souple, léger sur les skis, on a l’impression qu’il touche à peine la neige. Il possède cependant un style très particulier... Si le chrono n’était pas si bon, on aurait presque envie de le corriger, tant il fait de mouvements. Mais il a une telle aisance, une telle capacité à s’adapter aux conditions.» Odirique!

Par Marc David publié le 10 février 2024 - 10:15