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Marc Rosset: «Federer a appris l'humour en Suisse romande»

En 2021, l’ex-champion Marc Rosset racontait son amitié de vingt ans avec son pote Roger Federer dans les colonnes «L'illustré». Il l’a connu ado nonchalant, puis monstre sacré, sans l’idolâtrer. L'ancien joueur de tennis évoquait sa relation avec le Bâlois, bien avant que ce dernier prenne sa retraite ce jeudi 15 septembre 2022.

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Marc Rosset, 50 ans, sur un court du Tennis Club de Genève Eaux-Vives. Directeur sportif du Gonet Geneva Open, il va y accueillir pour la première fois Roger Federer.

© Fred Merz | lundi13
Marc David

Marc Rosset est là, un jour de semaine, seul sur la terrasse du Tennis Club des Eaux-Vives, barbe claire et casquette sombre. Genève travaille et lui, au bord du monde, est toujours cet éternel enfant roublard qui jette un regard à la fois intense et distancié sur le sport et le reste. On l’a appelé il y a deux heures et il a fixé rendez-vous illico sur ses terres (battues), à l’endroit même où, dès le 15 mai, quelques tennismen de format mondial viendront se mesurer à l’Eternel lui-même, Roger Federer venant jouer au bout du lac pour la première fois, lors du Gonet Geneva Open.

Le deal de l’interview est simple. On parle de Roger, c’est tout. De toute manière, Marc a toujours pris soin d’éviter d’évoquer sa propre vie privée. A 50 ans, 15 titres en simple et une médaille d’or olympique de presque 30 ans dans un tiroir, il ne va pas commencer. A la RTS, il est un consultant épris et pointu. Au tournoi, il est le directeur technique, une histoire d’amitié avec Thierry Grin, le directeur, et le duo Rainer Schüttler-Gérard Tsobanian, les propriétaires. «Marc est le premier à porter les bacs à fleurs le matin et le dernier à partir», sourit Grin.

Laver CUP 2019

En septembre 2019, la Laver Cup créée par Federer fait escale à Genève-Palexpo. «Je me suis pris au truc, avoue Rosset, au point de devoir sortir fumer pour me calmer après une défaite de Federer en double.»

Instagram Marc Rosset

Federer, comment va-t-il l’accueillir chez lui? Rosset hausse les épaules, comme si rien n’était plus ordinaire. «Je me réjouis de le voir, comme de le croiser à Bâle ou ailleurs. Mais il ne faut pas se tromper: quand c’est le consultant Rosset qui s’enthousiasme devant le jeu de Federer, c’est une chose. Quand c’est l’homme, c’est plus simple. Entre nous, on parle de trucs à nous, rarement de tennis. Ici, j’ai juste envie qu’il soit content. Je sais ce qui est vraiment important pour lui: sa famille.»

Il y a deux ans à Roland-Garros, quand Federer a perdu en demi-finale en trois sets contre Nadal, Rosset a remarqué combien il s’ennuyait: le Bâlois a visité quelques musées, puis ses proches lui ont manqué. «C'est sans doute ce qui lui permet de durer aussi longtemps. Après ses matchs, il rentre chez lui, déconnecte, rigole, fait des jeux, vit sa vie de famille.»

Rosset regarde au large, le Léman, trouve une comparaison: «Dans sa vie, la famille joue le même rôle qu’avec ces gens qui embarquent sur leur bateau après le travail. Ils ont l’impression de vivre une demi-journée de vacances. Je pense que c’est la seule raison qui le fera arrêter la compétition, s’il s’aperçoit que l’équilibre entre sport et famille n’y est plus. Il n’aura jamais le dégoût du tennis.»

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En septembre 2003, rigolade avant Australie-Suisse, à Melbourne. 

Ryan Pierse/Getty Images

Le regard de Marc Rosset s’évade encore un peu plus loin, de l’autre côté du lac, jusqu’au Country Club de Bellevue. C’est dans ce centre de tennis cossu, prisé notamment par les joueurs français, qu’il a vu arriver Roger Federer adolescent, à la fin des années 1990. «Il arrivait que je prenne des jeunes du Centre national d’Ecublens (VD) pour m’entraîner; Roger en a fait partie.» Il s’en souvient comme hier, tant il avait trouvé ce garçon «incroyablement détendu».

Alors que Rosset, quelques années plus tôt, était inquiet comme un junior et se donnait à fond quand il lui arrivait de taper quelques balles avec le grand Henri Leconte, Federer, lui, «mettait la moitié des balles dehors, tranquille. En temps normal, je me serais énervé. Lui, j’ai adoré.»

Après, Rosset a gardé un œil sur ce drôle de nouveau venu, de onze ans son cadet. En 1998, il a profité d’un match de Coupe Davis contre l’Espagne, à La Corogne, pour créer des liens. «Je me suis arrangé pour que Roger ait une chambre qui communiquait avec la mienne, je lui ai ouvert ma porte.» Le jeune homme ne s’est pas fait prier. «Je me rappelle qu’une fois, alors que je rentrais crevé de l’entraînement, Roger était en train de jouer à la PlayStation dans ma chambre. J’ai presque dû lui demander de partir...»

En avril 2004, la «bande à Rosset», capitaine, sourit malgré la défaite en quarts face à la France, à Lausanne-Malley.

Jean-Luc Barmaverain/L'illustré/RDB

Cette amitié amusée a toujours perduré. Ils n’ont pas arrêté de se croiser, de s’écrire, de s’amorcer parfois. Ils le font encore: la preuve, voilà Marc qui envoie un SMS à Roger à propos d’une photo de jeunesse qui le fait rire. «Rodg’, tu peux lui donner ton avis sur tout, ce n’est pas difficile. Au début, je l’ai pris comme un petit frère, un jeune qui arrivait et dont il fallait s’occuper. Entre nous, il n’y a jamais eu de souci d’ego, du style: sera-t-il meilleur que moi?» Il est ainsi, Marc Rosset, quand quelqu’un lui plaît. Il a été copain avec un caractère fougueux comme Marat Safin de la même façon. «Roger, je l’ai senti tout de suite, j’avais envie d’être sympa.» En 2000, quand le Genevois a battu Federer en finale à Marseille et que le jeune perdant en a pleuré, il l’a un peu réconforté. «Cela m’embêtait. Il devait se dire qu’il n’aurait peut-être jamais plus une telle occasion de gagner un tournoi ATP...»

Question tennis, Rosset n’a pas hurlé tout de suite au génie. «Au début, son revers n’était pas terrible, mal placé, avec trop de slice.» On l’ou- blie, le phénomène Federer existe aussi parce que celui-ci a su opérer une pléiade de bons choix. Le préparateur physique Paganini, le coach Carter, décédé en 2002. Et Mirka, son épouse: «Pour moi, il lui doit 50% de sa réussite. Elle a pris plein de choses en main, dont la communication. Elle a été avant-gardiste et il a été précurseur dans beaucoup de domaines par rapport à ma génération, jusqu’au petit logo sur la chemise. Beaucoup de joueurs l’ont copié; il a par exemple été le premier à jouer moins, pour durer.»

S’il doit choisir une qualité de Federer sur le court, il n’hésite pas. «Son coup d’œil. Comme un Zidane ou un Maradona en football, ils voient tout plus vite. Avec Roger, on est dans «Matrix». Les grands joueurs disposent d’une coordination œil-bras-cerveau qui marche mieux. On dirait toujours qu’ils ont du temps.»

Prudence, le rapport de Rosset à Federer n’a rien à voir avec de l’idolâtrie. «Bien sûr que non. Comment dire? Si je rencontrais Michael Jordan, je serais comme un petit garçon, ce serait un des plus beaux jours de ma vie et je lui demanderais un selfie. Avec Rodg’, je suis juste intéressé à ce que sa vie de famille aille bien et que je le sente heureux. Et je ne veux surtout pas l’embêter.» Il lui a d’ailleurs envoyé davantage de messages après ses défaites que ses succès.

Quand Federer posera-t-il sa raquette pour de vrai? Les longs bras de Rosset s’envolent d’agacement. «Tu te souviens du dernier match de Becker ou d’Agassi, toi? A part les fans absolus de tennis ou les fous comme moi, tout le monde l’a oublié. On ne se rappelle que de «Boum-Boum» ou du «Kid de Las Vegas». Alors si cela plaît à Roger d’être 20e mondial et de se faire plaisir en s’inscrivant à un tournoi en Turquie ou ailleurs, mais tant mieux! Je n’aimerais juste pas qu’il s’arrête sur une blessure, ce serait dur.» Au moment de prendre sa retraite, Rosset, lui, avait fait durer le suspense: «Je voulais avoir zéro regret, donc j’ai tiré une espèce de préretraite pendant une année et demie.»

SPORT TENNIS

Le 5 avril 2003, à Toulouse, le double Federer-Rosset bat la paire Santoro-Escudé et la Suisse élimine la France de la Coupe Davis. 

Regis Duvignau / Reuters

Chez Federer, le Rosset amoureux de films décalés comme «Dikkenek» aime encore l’autodérision, le sourire en coin. «La pub avec De Niro lui ressemble. Je me demande même si, venant de Suisse alémanique, il n’a pas pris ce sens de la «déconnade» lors de son passage en Romandie.»

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Le clip de l'office du tourisme avec Federer vantant les qualités de notre pays à De Niro fait un tabac. Qu'est-ce qui fait que la Suisse jouisse d'une si bonne image à l'étranger? Réponse avec le patron de Présence Suisse, Nicolas Bideau. Laetitia Béraud

Un autre trait l’épate: «Sa capacité à vivre l’instant présent, avec la vie de fou qu’il mène. Tu le vois à Bâle, il tombe sur Dario Cologna et il prend le temps de discuter une heure avec lui alors que les soins, les sponsors, la presse le veulent. Il y a là une aisance dingue. Moi, avec un tel emploi du temps, je ne suis pas sûr que je serais sympa avec tout le monde. Lui il est «téfloné», tout lui glisse dessus. Mieux, il peut se rappeler du prénom d’un type qu’il a vu il y a vingt-cinq ans.» Pour Rosset, les tennismen devraient lui dire merci tous les jours. «Avec Nadal et Djokovic, Federer a dynamité le tennis, fait exploser les prize moneys. Leur rivalité est phénoménale, à l’égale des Prost-Senna ou Jordan-Bird.» Il réfléchit: «En réalité, on peut le trouver trop comme ci ou pas assez comme ça, mais que reprocher à Federer? Certains le disent lisse, mais écou- tez ses conférences de presse, il y dit tout. Pour moi, Nadal et Federer sont des frères siamois, pour leur simplicité et leur humilité, dans leurs valeurs et la conception de leur sport. Si un jour ils partent à la pêche tous les deux, je ne serais pas étonné.»

Federer est aux portes de Genève. Rosset s’en réjouit déjà, «gai comme un Italien quand il sait qu’il aura de l’amour et du vin», chante Nicole Croisille. 

Le 13 février 2000, Marc Rosset bat Roger Federer, 19 ans, 7-6 au troisième set en finale du tournoi de Marseille. «Cela m’a un peu embêté que Rodg’ soit triste. Il devait se dire qu’il n’aurait plus jamais une telle occasion de gagner un tournoi...»

Instagram Marc Rosset

37 ans et 2 mois: l’âge du plus vieux vainqueur d'un tournoi du Grand Chelem, l’Australien Ken Rosewall à l’Open d’Australie 1972. Federer, qui aura 40 ans le 8 août, pourrait exploser ce record s’il gagnait encore. En juillet 2019, il est passé si près, manquant deux balles de match en finale de Wimbledon, face à Djokovic.

 

Par Marc David publié le 13 mai 2021 - 08:49