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Littérature

Marc Levy: «J’aurais aimé être un génie, mais je ne l’ai jamais été»

Marc Levy publie «Noa», son vingt-troisième roman. L’auteur star aux 50 millions de ventes conclut ainsi une trilogie plus politisée et engagée que ses précédents romans. Il revient sur son rapport à l’écriture, au succès et au journalisme d’investigation.

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Marc Levy

A 60 ans, Marc Levy vient de publier son vingt-troisième livre, «Noa». Le romancier signe là un récit dont le but est de nous ouvrir les yeux sur les menaces qui pèsent sur nos libertés et nos démocraties.

Sebastien Micke/PARIS MATCH/SCOO
Mehdi-Atmani
Mehdi Atmani

Vingt-deux ans après avoir quitté son cabinet d’architecture pour se jeter dans l’écriture, Marc Levy confirme de nouveau son statut d’auteur contemporain le plus lu dans le monde avec 50 millions d’exemplaires vendus. La poule aux œufs d’or des Editions Robert Laffont ne renie pas cette étiquette, ni n’en abuse. Il se consacre à l’écriture. Point barre. «Et si je suis lu, tant mieux», commente-t-il sans fausse modestie. Le romancier français, installé à New York, vient de publier son vingt-troisième livre, «Noa». Un livre quasi prophétique qui clôt la trilogie des 9, ce groupe de pirates informatiques qui luttent au profit du bien et de la liberté.

Prophétique donc, parce que le groupe des 9 s’attaque dans «Noa» à renverser Loutchine, un dictateur qui gère la Biélorussie d’une main de fer. Une fiction qui se confond avec la réalité de l’actualité au moment de sa sortie. Marc Levy n’aurait pas imaginé meilleure promotion. Ce féru de journalisme d’investigation et d’information conclut une trilogie plus politisée et engagée que ses précédents romans. Un virage assumé dont le but est de nous ouvrir les yeux sur les menaces qui pèsent sur nos libertés et nos démocraties. Marc Levy revient sur son rapport à l’écriture, au succès et au journalisme.

Marc Levy

Depuis 2005, Marc Levy partage sa vie avec l’auteure de contes pour enfants Pauline Levêque. Elle était aussi journaliste pour «Marie-Claire», «Le Journal du Dimanche» et «Paris Match». Le couple, installé à New York, a deux enfants.

Sebastien Micke/PARIS MATCH/SCOO

- Avec «Noa», vous écumez les plateaux de télévision, les studios de radio et les salons du livre. A quoi ressemble le marathon promotionnel de Marc Levy?
- Marc Levy: Ce ne sont jamais des marathons. Ce sont des rencontres en librairie avec les lecteurs dans différents lieux de la planète. Ce n’est pas un marathon comme on peut le voir dans le cinéma avec des tapis rouges, des soirées, des cocktails. Le monde du livre est beaucoup plus discret. Et heureusement.

- Vous êtes l’un des auteurs français les plus lus dans le monde. Comment gère-t-on ce statut de superstar?
- Je vais garder votre question pour en discuter ce soir à table. Je n’ai jamais été une icône de quoi que ce soit et je ne suis pas du tout dans cet état d’esprit là, ni à la maison, ni avec mon entourage et encore moins dans mon travail.

- Le succès qui perdure au fil des ans met-il une pression supplémentaire au moment d’aborder l’écriture du prochain roman? Comment gérez-vous cela?
- Il n’y a rien à gérer parce que l’écriture n’est pas un spectacle. Ce n’est pas une mise en avant de soi. Elle demande même d’ailleurs des attributs tout à fait contraires. Quand vous écrivez, vous êtes tout seul. Il y a une grande différence entre l’écrivain et le musicien, par exemple. Lorsqu’il monte sur scène, c’est face à un public et entouré d’une équipe technique. Il y a une mise en spectacle de la musique. L’écrivain, lui, est seul dans son atelier. Cette solitude fait que tout est beaucoup plus facile à gérer.

- Le passage de la solitude de l’écriture à l’effervescence de la promotion d’un roman est abrupt. C’est un moment que vous appréciez?
- C’est une mise en abîme vertigineuse, car vous avez passé des mois en hibernation dans votre caverne et, tout à coup, le livre sort. Et là, il faut parler. Moi, je sais que je n’aime pas ça. Je suis très pudique. Je n’aime pas parler, je n’aime pas le son de ma voix, je n’aime pas être mis en avant. Par contre, j’adore écouter. La sortie d’un livre, où l’on doit justement s’exprimer, n’est pas la partie la plus agréable. Et en même temps, il y a une conscience professionnelle qui me rappelle que c’est un privilège. C’est-à-dire que je m’interdis de faire la fine bouche par rapport à ça. Il y a quantité d’auteurs qui aimeraient avoir cette chance de pouvoir parler de leur travail. Ce serait donc extrêmement grossier de ma part de dénigrer cette partie-là de mon activité. La sortie d’un livre, c’est un saut dans le vide. C’est surtout une chance et un privilège qui ne sont pas donnés à tout le monde.

- Avec la trilogie des 9, vous abordez des enjeux très contemporains comme la liberté, la démocratie, la surveillance numérique, la corruption. Quel a été le moteur de ce virage vers une écriture plus engagée et politisée?
- Ce qui m’a mû, c’est un sentiment d’urgence. J’aime m’informer, écouter et observer. J’ai peut-être aperçu un peu plus tôt que les autres le vrai projet entrepris par une nouvelle seigneurie, cette oligarchie du XXIe siècle qui veut déconstruire les démocraties du monde afin d’installer des régimes autocratiques qui servent un tout petit nombre d’individus. Et quand je me suis rendu compte de cela – avec d’autres qui travaillaient sur les mêmes sujets, sur les mêmes enquêtes, sur les mêmes criminels en col blanc, sur les mêmes faits de corruption, sur les mêmes faits de distorsion de la réalité et sur les mêmes mouvances des ultra-droites conservatrices –, j’ai revu le spectre de 1938. On vivait dans l’insouciance sans se rendre compte de ce qui était en train de se passer ou feignant de ne pas le voir.

- Vous êtes un romancier, un lanceur d’alerte, un journaliste?
- Quand j’ai publié le tome 1 et le tome 2 de la trilogie, les gens n’y voyaient que de la fiction. Et puis le tome 3 est sorti en même temps que le déclenchement de la guerre en Ukraine par Poutine. Et là, toutes les pièces du puzzle se sont révélées. Donc, ce qui m’a le plus fait plaisir avec «Noa», c’est d’avoir réussi à sensibiliser un certain nombre de gens sur les attaques contre les démocraties aujourd’hui.

- La fiction vous permet-elle de mieux décrire notre époque indescriptible?
- Contrairement à ce que l’on pourrait penser, notre époque n’est pas moins indescriptible ou incompréhensible que ne l’était le monde entre 1935 et 1938. La différence, c’est de savoir ce qui fait que, en tant que citoyen, on est vigilant ou pas. Qu’est-ce qui fait que l’on se préoccupe du sort des autres en sachant que c’est notre sort aussi? C’est vrai pour beaucoup de choses. On sait pour le réchauffement climatique. On sait que Poutine affame son peuple pendant qu’il s’enrichit. On sait que Trump, des milliardaires et une majorité républicaine ont fomenté l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021 pour confisquer les votes des Américains. Qu’est-ce qui fait que, un jour, la population se rebelle? C’est l’information. Je suis écrivain. J’ai la chance d’avoir un large lectorat. J’ai toujours voulu que mes histoires ouvrent un horizon sur quelque chose.

- Dans vos romans, vous abordez notamment le fléau des fausses informations, la distorsion de la réalité sur les réseaux sociaux, la manipulation de l’opinion publique sur les plateformes. Dans ce contexte, avons-nous toujours le libre arbitre pour nous opposer à ce que vous dénoncez?
- Vous soulevez deux questions très importantes. La première est celle de la perception du rôle du journaliste dans la société d’aujourd’hui. Ce qui me fascine, c’est l’extraordinaire et dérangeant fait de société qui remet en cause ces gardiens de la démocratie. C’est un phénomène très intéressant qui s’est reproduit pendant la pandémie. Aux Etats-Unis, le Dr Fauci, conseiller médical de la Maison-Blanche sur la pandémie, n’avait d’autre dessein que de sauver des vies. Et lorsque cet homme vient dire publiquement la vérité, il est lynché par la moitié de la population américaine. Nous avons le même phénomène avec les journalistes. Ils prennent des risques énormes pour dénoncer des faits de corruption. Mais les supporters de Trump leur jettent des pierres dans ses meetings. Alors pourquoi? Parce que la désinformation, autrement dit la propagande, se substitue à la réalité, parce que faire face à la vérité demande du courage.

- Vous sous-entendez que nous sommes nos propres bourreaux?
- Dans le projet de contrôle de la société par des oligarchies mafieuses, il est extrêmement important de décrédibiliser les seuls qui sont capables de dénoncer les crimes qu’elles commettent. A savoir les journalistes. Il y a trois moyens. Soit on les assassine, soit on les enferme, soit on les décrédibilise. J’ai reçu quelques courriers de lecteurs m’écrivant qu’ils se passeraient bien de mon opinion. Ça me réjouit. Cela veut dire que mon récit a touché un point sensible. Bien sûr qu’il y a un engagement dans mes romans.

Marc Levy

En septembre 2021, Marc Levy devient officiellement ambassadeur de la Croix-Rouge française aux côtés de l’ex-top-modèle et animatrice Adriana Karembeu. Un engagement commencé en 1981 en tant que secouriste routier.

Stéphane de Sakutin /AFP / Gett

- Et du parti pris?
- Non! Pour ne pas avoir de parti pris, il faut partir des faits. Et puis, derrière les faits, il faut essayer de s’intéresser et de comprendre l’intention. Plus vous essayez de comprendre l’intention, plus vous retardez le jugement. Cela ne sert à rien de faire de grands discours politiques ou théoriques sur le conservatisme, la religion. Ce qui est intéressant, c’est de raconter une histoire à des gens en leur disant voilà ce qui se passe quand on manque de liberté.

- Comment faites-vous pour écrire un roman par an?
- Je travaille. C’est beaucoup de travail. C’est un sacerdoce. Il faut sacrifier énormément de choses, de loisirs. Travailler, travailler, travailler, travailler. Un roman comme «Noa», ce sont des milliers d’heures de travail. Ce sont des dizaines de nuits blanches, des milliers de kilomètres parcourus pour aller rencontrer les gens, accumuler de la documentation. Mais c’est passionnant. J’aurais aimé être un génie, mais je ne l’ai jamais été. Et quand vous n’avez pas de génie, il faut travailler.

- Des premières idées jusqu’à la publication, vous êtes perpétuellement habité par vos histoires et vos personnages. Ça ne vous épuise pas?
- Quand j’étais à l’école, on écrivait «enfant rêveur» sur mes bulletins. Ce n’était pas un compliment. Mais j’ai réussi à en faire mon métier alors que c’était vraiment un handicap. Le cancre de Prévert dans la classe, c’était moi. J’étais un élève distrait, curieux de tout, curieux du monde et des choses légères comme des choses pas légères, et je voyais des mondes invisibles partout. Je n’avais jamais beaucoup besoin de parler et je ne m’ennuyais jamais. J’ai toujours eu des histoires et des musiques dans ma tête. C’est quelque chose que je n’ai jamais vraiment réussi à décrire. Ma fille de 6 ans débarque parfois dans mon bureau avec ses personnages. Pendant une heure, elle les anime en oubliant complètement que je suis là. En fait, elle fait le même métier que moi.


Son dernier livre

«Noa» met en scène neuf hackeurs qui combattent un dictateur et une reportrice d’investigation qui s’infiltre en terrain ennemi. L’avenir de tout un peuple est en jeu. Ce roman d’espionnage est en résonance avec le monde actuel.

Marc Levy

Son dernier livre «Noa» met en scène neuf hackeurs qui combattent un dictateur et une reportrice d’investigation qui s’infiltre en terrain ennemi. L’avenir de tout un peuple est en jeu. Ce roman d’espionnage est en résonance avec le monde actuel.

DR

En dates

1978 Ses premiers pas à la Croix-Rouge.

1983 Création d’une société informatique en Californie.

1991 Début de l’entreprise d’aménagement qui deviendra un cabinet d’architecture.

2000 Publication de son premier roman.

Marc Levy

Et si c'était vrai..., le premier roman de Marc Levy.

DR
Par Mehdi Atmani publié le 16 juillet 2022 - 07:41