Dans sa villa de Castelldefels, au sud de Barcelone, l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football rumine aujourd’hui son dépit. Pris en tenaille par une clause libératoire de 700 millions d’euros imposée par le club qui l’a fait roi, condition draconienne pour accepter de le voir partir sous d’autres cieux, le numéro 10 est dans l’impasse et ne peut concrétiser son ambition ultime: rejoindre le club de Manchester City, où il pensait finir sa carrière en beauté. Le voilà désormais comme un lion en cage, retenu en otage. Signe de sa mauvaise humeur: il a déjà boudé les premiers entraînements de son club la semaine dernière, depuis l’arrivée d’un nouvel entraîneur au FC Barcelone, et la visite médicale obligatoire.
Vendredi dernier, la mort dans l’âme et au bord des larmes, l’international argentin a dû se livrer à contrecœur, visiblement contraint, à un exercice difficile: apparaître devant une caméra de télévision et annoncer qu’il restait au FC Barcelone, qu’il était très heureux dans cette ville à laquelle il doit tant depuis plus de vingt ans, disant au fil de ses propos un peu tout et son contraire.
Il dézingue ainsi au passage sans ménagement le président du club, Josep Maria Bartomeu, et son club, où «il n’y a pas eu de projet ou quoi que ce soit depuis longtemps», ne cachant pas qu’il ressentait, au fond de lui, «un besoin de changement et de nouveaux objectifs». Messi confirme également qu’il avait bien dit au club et à son président durant toute la dernière saison qu’il voulait partir: «Je pensais qu’il était temps de me retirer.» Mais il n’a désormais guère le choix: «Je vais continuer au club parce que le président m’a dit que le seul moyen de partir était de payer la clause des 700 millions, que c’était impossible.
Et puis il y avait un autre moyen, c’était de partir en justice. Je n’irai jamais en procès contre le Barça, car c’est le club que j’aime, qui m’a tout donné depuis mon arrivée ici. C’est le club de ma vie, j’ai fait ma vie ici. (...) Je ne sais pas ce qui va se passer maintenant. Il y a un nouvel entraîneur et un nouveau projet. C’est bien, mais il faut voir comment l’équipe réagit et si oui ou non ça va nous offrir plus de qualité.» Au terme de cette prise de parole, le footballeur ajoutait du bout des lèvres, sans vraiment convaincre: «Ce que je peux dire, c’est que je reste et que je vais donner le meilleur de moi-même.»
Pour Lionel Messi, qui passe à côté du montant record d’un transfert pour un joueur de football, quel rendez-vous manqué avec l’histoire! A l’été 2018, le Real Madrid avait été plus pragmatique dans la gestion de sa star, Cristiano Ronaldo, en acceptant de le céder à la Juventus de Turin pour la moitié moins. En effet, le document que publie aujourd’hui L’illustré en exclusivité est la preuve irréfutable que toute la planète football attendait de voir noir sur blanc, de ses propres yeux: oui, le club de Manchester City a bien cherché à s’offrir les services de l’international argentin et a fait parvenir au Barça, en date du 26 août dernier, une proposition irréelle de 200 millions d’euros, assortie de différents bonus et primes, ajoutant au passage 20 millions supplémentaires si Manchester City parvenait à gagner la Ligue des champions!
Le courrier adressé au FC Barcelone a été envoyé et signé par Txiki Begiristain, le «director of football» de Manchester City, ancien joueur du Barça, l’homme qui a réussi à offrir à son équipe une autre légende du football catalan, Pep Guardiola, considéré comme le meilleur entraîneur du monde. C’est grâce à lui que son club a déjà gagné deux titres de champion d’Angleterre.
Barcelone a toutefois décliné cette offre sans ménagement, plaçant Messi dans une situation délicate, lui qui avait négocié et finalisé un accord plutôt confortable avec le club de la deuxième ville de Grande-Bretagne: un contrat de trois ans ferme et un salaire de 40 millions de livres par année. Une fin de carrière inespérée pour le prodige argentin de Rosario, qui retrouverait l’entraîneur ayant le mieux réussi durant sa carrière à exploiter son incroyable talent.
Le coup est rude. Le président du FC Barcelone, Josep Maria Bartomeu, paraît rester inflexible face à son joueur, sous contrat jusqu’en juin 2021: «Ce n’est pas seulement moi qui le dis, a-t-il confié samedi dernier à un média espagnol, rebondissant sur les propos de son joueur tenus quelques heures plus tôt. Messi dit lui-même qu’il veut terminer sa carrière de joueur professionnel à Barcelone et que c’est le seul club pour lui.»
Après la lourde défaite de son club face au Bayern Munich en Ligue des champions (2-8) puis le licenciement de l’entraîneur et la nomination d’un nouveau qui a, dès son arrivée, semé la zizanie dans le vestiaire en poussant toutes les stars vers la sortie (Suárez, Vidal, Rakitic, notamment), le président catalan sait que s’il perd Messi, il se met en danger et joue définitivement son poste. C’est la raison pour laquelle il bloque obstinément la transaction avec Manchester City. Dans une petite année, il sait pourtant que Messi ne lui rapportera plus un seul centime d’euro, son contrat avec le Barça arrivant définitivement à échéance...
Quel est donc son intérêt, si ce n’est d’agir pour des raisons purement personnelles? Sa tête tombera-t-elle à son tour comme un jeu de dominos? Les supporters lui pardonneront-ils en effet une telle gestion calamiteuse de son club en refusant le chèque de Manchester City? Pas sûr, selon les lecteurs du quotidien sportif espagnol Marca, qui estimaient dimanche à 56% que le départ de Messi n’aurait pas été «irréparable» pour le club. C’était en fait l’offre du compromis. Le prix de la liberté aussi pour Lionel Messi. Une solution «raisonnable» où toutes les parties se retrouvaient: Barcelone encaissait 200 millions pour laisser filer sa star – plutôt que rien dans une année – et Manchester City voyait le rêve du duo Guardiola-Messi se concrétiser. Pour le FC Barcelone, cette transaction signifiait un énorme bénéfice, économisant également au passage le salaire d’un joueur de 33 ans dont le rendement est légèrement inférieur aux années précédentes, de quoi renforcer l’effectif avec du sang neuf…
Mais pas facile non plus, sur un plan psychologique, de laisser filer une légende comme Messi, un gamin des rues introverti, fils d’un ouvrier et d’une femme de ménage, enfant prodige arrivé d’Argentine à l’âge de 13 ans à Barcelone, dont l’histoire se confond désormais avec celle du football catalan: six Ballons d’or, meilleur buteur du Championnat d’Espagne, 36 titres remportés, joueur le plus titré de l’histoire, un des plus beaux palmarès du sport avec quatre Ligues des champions, dix Championnats d’Espagne, six Coupes d’Espagne… Même si, dans le cœur des Argentins, Diego Maradona, l’enfant des bidonvilles, reste pour toujours le plus grand, Messi n’ayant jamais rien gagné avec l’Albiceleste, l’équipe nationale d’Argentine.
Peut-on rester comme joueur dans un club où on n’a plus envie de jouer? Tous les fans du ballon rond vous diront que, selon les règles saintes du football, c’est une totale aberration. Si l’âme de Messi n’est déjà plus à Barcelone, comment espérer voir encore son génie s’exprimer? Une des hypothèses les plus vraisemblables est que les deux clubs rivaux finissent par se mettre d’accord.
A Manchester, Pep Guardiola ronge son frein, mais il craint désormais une contre-offensive du PSG. Les Qataris viennent empoisonner le jeu des négociations face aux Emiratis en faisant croire qu’ils vont eux aussi formuler une offre déraisonnable pour le génial gaucher argentin. Au-delà du football, c’est aussi une guerre du Golfe entre le richissime cheikh Mansour, de la famille royale d’Abu Dhabi, propriétaire de Manchester City, et les Al-Thani du Qatar, propriétaires du Paris Saint-Germain. Finalement, la seule question qui compte est: Messi pourra-t-il, ces prochaines semaines, retrouver sa pleine liberté et, surtout, à quel prix? En Espagne, la date butoir du marché des transferts, retardée en raison du coronavirus, a été fixée cette année au 5 octobre à minuit. Et bien malin qui pourrait aujourd’hui pronostiquer le résultat définitif de ce poker menteur.