Une démarche féline, une silhouette ultrafine de danseuse et un regard bleu pénétrant, Maïwenn nous accueille avec le sourire dans sa suite de l’hôtel Baur au Lac à Zurich. La jeune femme est invitée au 16e Zurich Film Festival afin de recevoir un prix pour l’ensemble de ses longs métrages et présenter son dernier opus, «ADN». Un film sur les origines, la famille. Un film intimiste, qui lui ressemble. Il raconte l’histoire de Neige, divorcée, mère de trois enfants, qui perd son grand-père algérien, le pilier familial, l’homme qui lui a servi de rempart contre la toxicité de ses parents. Ce deuil déclenche chez l’héroïne, qui va jusqu’à faire un test ADN et demander la nationalité algérienne – comme Maïwenn vient de le faire –, une quête d’identité et une volonté de rompre définitivement avec ceux qui lui ont donné vie.
Pourtant, dès que vous utilisez le mot «autobiographique», Maïwenn se cabre. «Franchement, vous n’auriez pas pu plus mal commencer cette interview», assène-t-elle en affichant un vrai ras-le-bol. Celle qui écrit des scénarios tissés autour de son vécu est un être paradoxal. En effet, elle le confirme: «Je me sens agressée lorsqu’on dit que je fais un cinéma autobiographique, d’abord parce que j’entends le mot «mécanique», comme si mes films n’étaient qu’un copié-collé de ma vie. Ensuite, parce que beaucoup de réalisateurs fonctionnent comme moi. Ils se servent de leur vécu, de leurs émotions pour parler de leurs obsessions et on ne leur colle pas pour autant cette étiquette sur le dos. Je dirais plutôt que mon cinéma est un scanner de ma vie.» Eh bien justement, scannons la vie de Maïwenn.
Elle naît en avril 1976 à Lilas, en Seine-Saint-Denis. Sa mère, l’actrice franco-algérienne Catherine Belkhodja, la traîne dès l’âge de 3 ans dans les castings et sur les plateaux de cinéma. Elle souhaite faire de sa rejetonne une véritable star de cinéma. A 5 ans, la petite fille joue son premier rôle dans «L’année prochaine… si tout va bien», de Jean-Loup Hubert. Deux ans plus tard, elle incarne le rôle d’Eliane dans «L’été meurtrier» de Jean Becker. Son père, mi-Breton mi-Vietnamien, est un taiseux, un guitariste qui est aussi gardien de nuit sur les parkings pour nourrir ses trois enfants.
Le tempérament fougueux de Catherine, fille de harki, et celui de Patrick Le Besco, qui ne veut s’exprimer qu’en breton, ne font pas bon ménage. Ils se séparent. Maïwenn paie les pots cassés, est maltraitée par ses deux parents et doit gérer sa fratrie qui s’agrandit. A 11 ans, elle arrête l’école et est inscrite à des cours par correspondance tout en tournant dans des feuilletons ou en jouant au théâtre. Elle va danser avec sa mère aux Bains Douches dès 12 ans, continue sans grande conviction dans le cinéma.
En 1990, elle décroche son premier grand rôle dans «Lacenaire», de Francis Girod, aux côtés de Daniel Auteuil. Suit «La gamine» d’Hervé Palud avec Johnny pour partenaire. Mais Maïwenn se lasse. La lolita d’alors n’en a cure d’être actrice. Elle veut s’affranchir du joug maternel.
A 15 ans, elle rencontre Luc Besson, se marie un an plus tard et donne naissance à leur fille, Shanna. Le couple décolle pour Los Angeles. Elle joue la Diva bleue dans «Le cinquième élément» mais n’aime pas plus être la fille de… que la femme de… Retour à Paris avec la petite Shanna sous le bras. A 21 ans, la jeune femme écrit et joue un «one Maï show», «Le pois chiche», dans lequel elle règle ses comptes avec ses géniteurs. Elle ne veut plus être Le Besco ni Besson.
L’oiseau prend son envol vers la cour des grands. Tout en continuant d’être comédienne, la jeune femme réalise son premier court métrage, «I’m an actrice». Entre-temps, elle rencontre l’homme d’affaires Jean-Yves Le Fur avec qui elle a un fils, Diego. Le couple se sépare au bout de deux ans. Certains murmurent que cette relation l’inspirera pour écrire et réaliser «Mon roi», en 2015: l’histoire d’une jeune femme qui tombe amoureuse d’un pervers narcissique. C’est Vincent Cassel qui interprétera le prince pas charmant.
Mais c’est d’abord avec «Pardonnez-moi», son premier long métrage tourné en 2006, qu’elle rencontre le succès. Elle y parle de la révolte d’une jeune femme contre un père qui la bat et obtient deux Césars pour cet opus: celui du meilleur espoir féminin et du meilleur premier film. En 2009, la jeune réalisatrice nous offre un petit bijou d’originalité avec «Le bal des actrices», une sorte de faux documentaire-comédie musicale sur la vie de comédiennes. Joey Starr est engagé pour écrire une chanson pour Charlotte Rampling. Il finit par y jouer le compagnon de Maïwenn. La vie et l’écran se superposent. Ils resteront ensemble jusqu’en 2011, et se sépareront à la fin du tournage de «Polisse», son troisième film, acclamé par le public et primé à Cannes.
Avec «ADN», Maïwenn continue son étude des relations humaines et familiales. Que signifie pour elle le terme «famille»? «Il y a la famille qui nous crée et celle que l’on crée. Pour moi, ce sont deux choses différentes. Ma famille, aujourd’hui, ce sont mes enfants, c’est celle que j’ai créée.» Et c’est vrai que dans cette dernière réalisation, les parents sont jetés aux orties et montrés comme des êtres inaptes à l’amour. Seule figure aimante dans «ADN», ce fameux grand-père kabyle que Maïwenn admire plus que tout et avec qui elle admet, pour de vrai, avoir eu des liens très fusionnels: «Je ne vais pas vous mentir, dans le film, le personnage du grand-père ressemble beaucoup au mien.» Paradoxale, on vous dit. Mais géniale et terriblement talentueuse aussi.