C’est le visage de «Basik», le nouveau magazine éco de la RTS qui a succédé à «TTC». Loïs Siggen Lopez, 37 ans, est journaliste et Neuchâtelois. Du bas du canton. Patrick Fischer, lui, était du haut. Juste pour savoir, on l’interroge d’emblée sur son rapport à l’argent. «Je ne suis pas très économe, répond-il. J’ai moins de deux salaires sur mon compte épargne, mais j’ai déjà vécu avec très peu.» L’homme est franc et direct.
D’un naturel pudique aussi, au sens où il n’entend pas «exposer» les gens qu’il aime, pas plus que la maison ancienne où il réside avec sa compagne, à Colombier (NE). Un lieu érigé en 1904 où il a déjà vécu, par intermittence, au cours de sa jeunesse passée entre Les Geneveys-sur-Coffrane et Corcelles-Cormondrèche.
Avenant, lettré, subtil, formé à la radio, Loïs Siggen Lopez séduit par son aisance, sa diction, son physique d’hidalgo. Il nous reçoit dans sa cuisine, l’un de ses terrains de jeu.
«Il y a toujours un enjeu quand on crée une nouvelle émission hebdomadaire comme «Basik». «TTC» existait depuis quinze ans. Il fallait autre chose. J’ai toujours eu cette envie, cette énergie, d’oser faire des propositions.» Vrai. Quand, à l’Université de Neuchâtel, il a opté pour un master en journalisme, il n’avait pas rédigé le moindre article! Il a convaincu «L’Express», ancêtre (avec «L’Impartial») d’ArcInfo, de le recruter comme pigiste. Au culot. Plus tard, il effectuera son stage à la Radio romande, y lancera «Factuel» et «Néophiles», avant de rejoindre les deux Vincent dans «26 minutes», puis l’équipe de «TTC» à la télévision, où il a aussi présenté le TJ, en remplacement.
«L’économie, c’est nous»
Pour «Basik», le journaliste s’est improvisé producteur. «On a créé l’émission avec Yann Dieuaide, journaliste aussi, que j’avais rencontré à «TTC», en partant d’une page blanche. On a appris en faisant.» De l’audace. C’est tout lui.
Expérience vivifiante. Pourquoi «Basik» avec un k? Une coquetterie. «Yann et moi, on assume. Il y a eu débat à ce sujet, mais on a insisté. C’était notre titre de travail.» Le contenu, ils l’ont imaginé «simple, basique». «On ne voulait pas jouer les experts. L’économie, c’est nous. Cela ne se résume pas à la finance ou à un modèle d’équation.»
«Basik» est ancré dans la vie réelle. Le ton pédagogique. «Poser des questions simples, genre «Pourquoi le prix de l’énergie augmente-t-il?» et y répondre. On sort des studios pour aller dans des lieux de passage, des entreprises par exemple. Ça change. J’essaie pour ma part de ne pas parler comme au TJ. Il y a une dimension artisanale à laquelle je tiens beaucoup.»
Loïs Siggen Lopez déroule, un peu comme au tennis, un sport qu’il pratique sérieusement depuis l’enfance, «sans jamais avoir été licencié». Il a aussi joué au foot, en juniors. «Je me souviens d’un entraîneur, un Latin plutôt sympa, qui fumait pendant les matchs et nous hurlait dessus comme s’il disputait la Ligue des champions.» Du coup, la compétition… Il aime à se définir comme «un sportif du dimanche», mais quand il court, il se «donne à fond». Un besoin, une respiration dans son quotidien de pendulaire entre Colombier et Genève, où il travaille.
Son double nom de famille s’écrit sans trait d’union. Siggen est le nom de son père, Yvan, un Valaisan d’origine ayant grandi près de Bienne; Lopez celui de sa mère, Maria-José, dite MarieJo, arrivée en Suisse des Asturies à l’âge de 6 ans. «Je viens d’une famille simple, mais je n’ai manqué de rien. J’ai été le premier de la famille à obtenir un diplôme universitaire.» Divorcés, ses parents sont maintenant retraités.
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Fils unique, Loïs Siggen Lopez raconte que lorsqu’il était correspondant au Palais fédéral, les élus de droite l’appelaient «Monsieur Siggen» et ceux de gauche «Monsieur Lopez». Révélateur. Double-national, donc Hispano-Suisse? Il nuance: «L’Espagne, c’étaient les vacances. Ma mère ne m’a jamais parlé espagnol. J’ai appris la langue là-bas, avec les copains. J’ai baigné dans cette autre culture, qui m’a enrichi, mais au fond, je crois que je suis vraiment Suisse… et Capricorne.» Ou alors un Suisse qui maîtrise l’art de la tortilla? Il acquiesce en riant.
Aux Etats-Unis, mais pas en Europe, son prénom, Loïs, s’emploie uniquement au féminin et s'écrit sans tréma. On pense à Lois Lane. Durant sa scolarité, le Neuchâtelois s’est pris la série télé «Lois et Clark: les nouvelles aventures de Superman» en pleine poire. «Je ne compte pas le nombre de fois où l’on m’a dit: «Hé, il est où Superman?» Ce qui est drôle, c’est que j’ai réalisé seulement des années plus tard que Lois Lane et Clark Kent étaient eux aussi journalistes, au «Daily Planet».» Il s’éclipse pour aller chercher un cadre: la couverture d’un comics «Lois Lane». Masochisme? Plutôt clin d’œil. «On me l’a offert», précise-t-il.
Discret sur les réseaux
Loïs Siggen Lopez parle. Beaucoup. Trop, selon lui. «Ecolier, j’étais déjà bavard et dissipé. Un peu partisan du moindre effort aussi. Je n’ai jamais redoublé, mais je me contentais volontiers du minimum.» Cela ne l’empêchera pas d’obtenir son master en brillant.
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Sur les réseaux sociaux, il cultive la discrétion. «C’est vrai, je suis nul, mais ça m’ennuie. Pourtant je suis un geek. Mon PC, je l’ai monté moi-même, mais m’exposer sur les réseaux ne m’intéresse pas et les consulter guère plus. C’est beaucoup de bruit, je trouve. Ajouter du bruit au bruit, non, pas trop.» Son image, il la partage déjà à la télé, avec sa voix. Plus, ce serait friser l’indécence, selon lui.
Il aurait pourtant de quoi nourrir Instagram de sa cuisine. «Mes deux parents font à manger. Je les ai toujours regardés faire et ça m’intéressait. Quant à ma grand-mère espagnole, c’était un cordon-bleu. J’ai appris à leur contact.» Un qualificatif pour sa propre cuisine? «Instinctive.»
Le Neuchâtelois apprécie aussi le vin. Faut-il préciser que Colombier ne se réduit pas à sa caserne? «Cet univers m’intéresse. J’adore discuter avec les vignerons. J’ai même suivi un cours à Changins. Un jour, un œnologue m’a dit: «Le bon vin, c’est celui que vous aimez.» Je valide.»
Parmi ses pôles d’intérêt, il y a surtout eu le théâtre, découvert au lycée, en marge d’un bac littéraire. Une révélation. «J’avais un prof qui aimait ma voix. Il a insisté pour que j’accepte le rôle de l’exempt dans «Tartuffe», de Molière, pièce qu’on a jouée au Théâtre du Passage à Neuchâtel. Un monologue de trois pages en alexandrins. Au théâtre, j’ai appris la rythmique des mots. Et j’ai adoré la scène.»
Loïs Siggen Lopez fera du théâtre pendant dix ans. Une formidable école. Son attitude décontractée face caméra en découle. Le Neuchâtelois a sa propre rythmique vocale. Son style. Devenir comédien aurait été possible. «J’ai essayé. Je me suis présenté à La Manufacture bien avant de songer à devenir journaliste et l’audition s’est très bien passée. On m’a invité à revenir un an plus tard, sauf que moi, je m’étais donné cette chance unique. Et j’ai bifurqué.»
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Ce sera l’uni, à Neuchâtel. «J’ai fait une année en Sciences Po, puis j’ai pris une année sabbatique avant de m’inscrire en sciences économiques, sans plus de conviction que cela.» Durant son année blanche, il va gagner sa croûte comme serveur au Palace, à Lausanne, puis chez TAG Heuer. Ensuite, il décrochera son master en journalisme. «A l’époque, j’avais du temps», denrée précieuse dans son métier, devenue rare et comptée.
Avec conviction, le journaliste défend la déontologie inhérente à sa profession. «Cela ne me fait pas rire de jouer avec les cadeaux. Quand je couvrais l’actu politique au Palais fédéral, je ne laissais même personne m’offrir un café. C’était exagéré, je sais, mais je ne transigeais pas.» Incorruptible.
Profession de foi
Bousculé par le flux continu d’informations, avérées ou non, sur les réseaux sociaux, le journalisme éclairant a-t-il les moyens de rivaliser, donc un avenir? «Moi, j’y crois, insiste Loïs Siggen Lopez. Je reconnais qu’aujourd’hui, à cause de la bataille de l’attention, on est noyé sous les contenus, au point qu’on ne voit plus le bleu de l’eau, mais supprimez d’un coup l’ensemble des contenus journalistiques et, croyez-moi, le vide sera vertigineux.»
«Depuis l’arrivée d’internet, l’accélération a été fulgurante dans notre société, ajoute-t-il. Le temps s’est rétréci. On s’efforce tous de s’adapter, mais plein de choses sont à réinventer, que ce soit dans la transmission du savoir ou de l’information. Ce qu’il nous faudrait? Un nouvel âge des Lumières. Je pense qu’on a besoin des philosophes. Il faut qu’ils soient plus présents dans le débat public et surtout qu’on les écoute. En termes d’avancées et de progrès sociaux, leur rôle a souvent été déterminant au cours de l’histoire. On aura besoin d’eux.»