Meillard par-ci, Meillard par-là. Loïc Meillard, 24 ans, skieur polyvalent par excellence, qui décroche du bronze au combiné des Mondiaux. Meillard, bondissant entre les portes, qui récidive lors d’un slalom parallèle qu’il aurait sans doute remporté s’il n’avait été incroyablement désavantagé par un règlement inique. Puis Meillard cinquième du slalom géant et meilleur coureur suisse, et Meillard qui, enfin, croise ses lattes et est éliminé dès la première manche du slalom, le dimanche matin, comme tant d’autres.
Aux Championnats du monde de ski alpin de Cortina, qui viennent de s’achever, ce Neuchâtelois dont la famille s’est installée en Valais quand il avait 12 ans n’a pas arrêté d’accélérer le pouls des Romands quand il apparaissait. «Lors des cinq courses que j’ai disputées, j’ai essayé d’attaquer. A chaque fois j’étais tout devant, il y a beaucoup de bonnes choses à prendre», lâchait-il, philosophe, après sa dernière épreuve. Avec lui et sa sœur, Mélanie, de deux ans sa cadette, la Suisse du sport se prépare à vibrer longtemps, si les blessures les épargnent. L’occasion de le rencontrer, à tête reposée, loin de la fureur des pistes glacées.
- Votre sœur est aussi skieuse en Coupe du monde. Quel est le secret de la famille Meillard?
- Loïc Meillard: Nous avons toujours fait énormément de sport en famille. Et pas seulement du ski. Enfant, j’ai fait du vélo, de l’athlétisme, de la course à pied. J’ai d’ailleurs eu de bons résultats dans certaines de ces disciplines avant de me concentrer sur le ski. Nos parents ont évidemment joué un rôle crucial. Bien sûr qu’il y a eu des sacrifices, mais ils ont toujours été derrière nous sans qu’on doive en discuter. La décision de déménager de Neuchâtel jusqu’en Valais, par exemple, a été prise en une soirée.
- Avez-vous le même caractère, vous et votre sœur?
- Non, nous sommes très différents sur plusieurs aspects. Je suis plus perfectionniste, plus structuré, alors qu’elle a plus tendance à vivre le moment présent. Cela se ressent d’ailleurs sur les skis, où elle a plus de détente et de feeling. C’est intéressant, car nous pouvons en discuter ensemble et nous imprégner chacun des qualités de l’autre. C’est une énorme chance que de pouvoir partager l’expérience du sport de haut niveau.
- Vous êtes arrivé jeune en Coupe du monde. Les médias et même Marcel Hirscher ont parlé de vous comme étant l’un des plus grands talents du circuit. Est-ce lourd à porter?
- Je me mets suffisamment de pression moi-même pour ne pas être influencé par les médias ou quoi que ce soit d’autre. Je suis très exigeant et critique envers moi-même, je cherche à m’améliorer sur chaque détail. Les éloges, qu’ils viennent des médias ou d’autres skieurs, font évidemment plaisir, mais je sais qu’ils ne me feront pas skier plus vite. Il ne faut donc pas y donner trop d’importance et, surtout, ne pas arrêter de travailler.
- Pour le haut niveau, il faut talent et travail. La part de votre talent est-elle plus élevée que chez d’autres?
- Non. Je ne sais pas comment s’entraînent les autres, mais je ne vois pas comment ce serait possible de travailler plus que ce que je fais actuellement. Comme je l’ai dit, je suis perfectionniste, donc je me donne à 100% à chaque séance. Au niveau de la préparation physique, je pense que je fais autant, si ce n’est pas plus, que beaucoup d’autres. Aujourd’hui encore plus que par le passé, les courses sont si serrées qu’il est impossible d’obtenir des résultats sans être au top physiquement.
- Les skieurs polyvalents sont une espèce en voie de disparition. Il y a de plus en plus d’ultra-spécialistes qui ne s’alignent que dans une discipline. Garder le slalom et le géant au même niveau est-il un objectif?
- Oui, tant que je tiens le coup physiquement, je vais poursuivre sur cette voie et travailler cette polyvalence. Elle offre l’avantage, après une contre-performance, de pouvoir changer d’air dès le lendemain et d’éviter de trop cogiter. Si une course est annulée, on peut vite se retrouver avec une longue période sans compétition quand on n’a qu’une discipline. Donc cette année, au vu de la situation, c’est un avantage d’avoir plusieurs cordes à son arc. Je m’aligne aussi en super-G quand l’occasion se présente. Je sais que je peux être très rapide dans cette discipline également.
- De quoi rêver au grand globe de cristal…
- J’en rêve évidemment, mais il est difficile de dire si je peux m’en approcher. Il faut être régulier du début à la fin de la saison, marquer des points à chaque course. Le facteur chance entre en ligne de compte.
- D’où vous vient votre passion pour la photographie?
- J’ai toujours bien aimé la photo. Plus jeune, j’utilisais l’appareil de mes parents. Au fil des années, j’ai appris de plus en plus de choses et je suis devenu toujours plus passionné. Quand on s’entraîne tous les jours, c’est indispensable d’avoir de petits moments où on peut déconnecter, penser à autre chose. La photographie joue ce rôle-là. Je prends mon appareil et pars me promener en extérieur. Parfois, je le prends même avec moi sur les pistes.
- Quel type de photos prenez-vous?
- Des paysages, pour la grande majorité. J’aime aussi les photos de sport, que je prends à l’entraînement ou lors de sessions de freeride, et les portraits. J’ai vraiment appris sur le tas. A chaque fois que je ne savais pas comment faire quelque chose, je cherchais l’information sur internet. J’ai aussi acheté quelques livres, dont je m’inspire.
- Est-ce que vous voyez cette passion comme un éventuel débouché pour votre après-carrière?
- Je n’ai pas trop de plan précis pour après. J’ai effectué un apprentissage d’employé de commerce en banque. Il m’a permis d’obtenir un papier et d’apprendre énormément, que ce soit sur le monde bancaire ou sur moi-même, dans ma façon de gérer une activité à côté du ski. En revanche, j’ai remarqué que je n’étais pas fait pour travailler dans un bureau, donc il faudra trouver autre chose. La photo, je le vois pour l’instant uniquement comme un plaisir. On verra si ça peut devenir plus dans le futur.
- Depuis cet été, vous réalisez un podcast, diffusé sur Spotify. D’où est venue l’idée?
- Je suis parti du constat qu’on ne connaissait les skieurs que par leurs résultats, mais qu’on ne savait pas vraiment qui était la personne derrière l’athlète. L’idée du podcast était d’offrir une plateforme. D’un côté aux athlètes pour qu’ils puissent parler de thèmes qui leur tiennent à cœur. Et de l’autre aux fans pour qu’ils puissent en apprendre plus sur nous. Le format du podcast est pratique, car on peut le faire partout. Il suffit de passer un moment ensemble, de boire un café et de discuter. Le but est vraiment que l’auditeur ait l’impression d’être assis à table avec nous.
- Dans ces podcasts, vous endossez un peu le rôle de journaliste. Le jeu avec les médias vous plaît-il?
- Ce n’est pas ma partie préférée, mais je suis conscient qu’aller faire un shooting, par exemple, fait partie de mon job. Le fait d’aimer la photographie me permet de profiter différemment de ce genre de moments par lesquels nous devons passer. J’ai toujours plaisir à discuter avec le photographe, à lui demander quel matériel il utilise et qu’il m’explique son point de vue.
- Quel est votre rapport aux réseaux sociaux, notamment Instagram, où vous êtes très présent?
- On en revient à cette notion de perfectionnisme. Aujourd’hui cela fait partie intégrante de la vie d’un athlète, donc cela m’intéresse de pouvoir le faire du mieux possible. C’est bien sûr une façon de donner de la visibilité à nos sponsors, grâce auxquels on vit. Mais je me bats pour garder une certaine liberté, afin de pouvoir proposer ma touche personnelle. Le fait de prendre mes propres photos me permet d’amener quelque chose en plus que d’autres athlètes.
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- Le coronavirus vous oblige à courir sans public cet hiver. Comment le vivez-vous?
- Sur le fond, ça ne change rien à notre sport. Le but reste d’être le plus rapide du portillon à l’arrivée. Il faut simplement se dire que c’est un entraînement et aller à fond en faisant abstraction du reste. Mais c’est sûr que dans des courses où le public est nombreux, comme à Adelboden, par exemple, une motivation supplémentaire se crée. Le moment le plus bizarre est après la manche, lorsqu’on a réussi une performance et qu’il n’y a personne avec qui la célébrer. On ne sait pas trop quoi faire dans l’aire d’arrivée. J’ai aussi un fan-club composé d’amis, de membres de la famille, de gens qui sont habituellement toujours présents à mes côtés. Ne pas les avoir constitue un grand manque.
- Le monde du ski nage en pleine incertitude à cause de la situation, comment le vivez-vous?
- Il faut être flexible. En ce moment, les gens sont privés de beaucoup de choses, je pense que le sport peut leur amener un peu de baume au cœur. Même s’il ne peut être suivi qu’à la télé, ce peut être une façon pour les gens de vivre des émotions et de s’évader un peu de leur quotidien.
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«Loïc est méticuleux dans tout ce qu’il fait»
Père de Mélanie et de Loïc, Jacques Meillard raconte une famille d’Hérémence (VS) toute simple, où le plaisir du sport est toujours passé en premier.
Bien sûr que Jacques Meillard et les presque 250 membres du fan-club de ses enfants auraient adoré être sur place aux Mondiaux de Cortina, brandir pancartes et calicots et fêter leurs champions. La dernière agape qu’ils ont pu organiser date de l’été dernier, un mémorable sanglier à la broche avec une centaine de personnes «chez notre ami Giovanni, au restaurant La Luge, aux Collons». Mais face à l’adversité, le père de Mélanie et de Loïc adopte le même flegme que son fils quand il fut injustement privé d’or au slalom parallèle: «Oh, on a regardé la télévision, cela allait aussi...» Les courses, il les a souvent vues sur les pistes. Le jour du géant, il a profité de skier le matin aux 4 Vallées avant de trouver un écran.
Dans la carrière de Loïc, peu de complications. «Ce fut toujours le plaisir avant tout. Au début, il ne voulait pas faire trop de compétitions. Il avait peur qu’on ne puisse plus skier ensemble», dit cet ex-spécialiste du kilomètre lancé. Le bambin n’était pas casse-cou, quoique, «si on lui disait que c’était bon, il passait partout sans peur». Pour l’accompagner? Alors patron d’une entreprise active dans l’électricité, Jacques Meillard relativise, dit que «tout fut une question d’organisation». La preuve: les trajets devenant trop lourds, la famille a décidé en 2009 de déménager de Bôle (NE) à Hérémence (VS). «On en a causé un soir avec ma femme. Le lendemain, les enfants ont tout de suite dit oui. Ils voyaient le temps qu’ils perdaient pour l’école ou leur repos.» Mélanie a hésité jusque vers 14 ans à entrer dans le sérieux de la compétition. Loïc, non. «Il a décidé de devenir skieur. Il a toujours été calme, structuré, méticuleux dans tout ce qu’il faisait.»
En 2018, quand Mélanie s’est blessée aux Jeux, la famille a fait bloc. «Loïc a été très protecteur, très triste aussi.» Leur équipe à Swiss-Ski, Mélanie et Loïc y tiennent. «Même s’ils ont du succès, je doute qu’ils forment un jour une cellule privée. Ils aiment être avec leurs copains, ils en ont besoin.» Chez les Meillard, une seule dimension prime: «les voir revenir à la maison avec le sourire».