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Loïc Gasch et le saut en hauteur: Un envol sans fin

La Suisse a longtemps attendu qu’un sauteur en hauteur batte le record national de 1981. Auréolé d’une médaille d’argent mondiale, ému par la légèreté d’un saut, le Vaudois Loïc Gasch est un rêveur ambitieux.

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L'athlète Loïc Gasch

Aérien, Loïc Gasch (27 ans) s’envole sous  la coupole du Centre mondial du cyclisme, à Aigle (VD), où il s’entraîne en hiver au centre du vélodrome.

Anoush Abrar

Ce jour-là, le cadre n’est pas vraiment propice à des performances mémorables. La Pontaise de Lausanne est vide en raison des restrictions dues à la pandémie, seuls résonnent quelques applaudissements rythmés de quelques accompagnateurs et athlètes. Aucune station de télévision n’est présente en ce 8 mai 2021 pour retransmettre le Mémorial Paul Luginbühl. Pas grave: quand Loïc Gasch se lève ce matin-là, il sait que la journée sera bonne. Quelques heures plus tard, quelques téléphones portables capturent l’instant superbe où il dompte une barre placée à 2,33m, battant le record national en plein air de Roland Dalhäuser, 2,31m, établi en 1981. Il reste alors à plat ventre sur le tapis, le visage enfoui dans les mains.

Dans le monde, seuls sept athlètes ont fait mieux que lui sur l’ensemble de la saison. La Suisse a failli devoir attendre encore plus longtemps pour profiter d’un tel sportif. Loïc Gasch préférait en effet sauter sous un panier plutôt que par-dessus une barre transversale. Le basketball est la grande passion de ce Vaudois de 1m93, il y joue souvent aujourd’hui à l’échauffement et il est clair pour lui qu’il se tournera de nouveau vers la balle orange après sa carrière d’athlète. Mais, à 16 ans, alors qu’il suit un apprentissage de comptable, un collègue le persuade de passer le voir à l’athlétisme: «Depuis, je ne suis plus jamais parti.» Il s’aperçoit rapidement qu’il a une sensibilité pour le mouvement du saut en hauteur. Mais, même s’il aime la sensation que le saut provoque en lui, il est encore loin de penser au sport d’élite.

C’est un comportement inhabituel pour ce jeune homme de 27 ans, qui enveloppe tout ce qu’il aborde d’un esprit de compétition. Quand il travaille à la commune d’Orbe, c’est à qui traitera le plus de courriels par jour avec ses collègues. Ou qui rapporte le plus de pièces de 2 francs lorsqu’il faut vider la caisse de la tour d’observation de la commune. «C’est important: j’ai gagné ce concours en 2021», dit-il avec un clin d’œil. Mais, pour lui, le sport s’est longtemps restreint au grand terrain de jeu que lui offrait la région du balcon du Jura. Lors de son enfance à Sainte-Croix (VD), à 1066m d’altitude, il joue au football avec ses amis et son jeune frère, fait du ski, passe sa vie sur son vélo. «Ce fut le meilleur environnement que l’on puisse souhaiter.»

L'athlète Loïc Gasch

Spécialiste du saut en hauteur, l'athlète Loïc Gasch fait partie des dix meilleurs sauteurs en hauteur du monde.

Anoush Abrar

Aujourd’hui? Il fait partie des dix meilleurs sauteurs en hauteur du monde et se bat pour des centimètres. «Deux personnes différentes vivent en moi. Elles cohabitent très bien», glisse l’athlète de l’US Yverdon, où il habite. Avec, d’un côté, l’homme privé, calme, serviable et amical, celui qui rêve souvent et qui, le soir avant de s’endormir, se plonge dans d’autres mondes en lisant des romans fantastiques. Et, d’un autre côté, l’athlète ambitieux, un peu fou, qui laisse parfois sortir ses émotions sur le terrain. Mais qui a dû apprendre qu’il méritait sa place parmi les meilleurs sauteurs.

L’automne dernier, Gasch a renoncé à son emploi à 60%: les autres pièces du puzzle de la réussite, comme la récupération ou la physiothérapie, en souffraient trop. Comme il disposait de peu de temps au quotidien, il a aussi commencé l’entraînement mental relativement tard. Dans son cas, cette préparation ne consiste pas à visualiser un saut que l’on ne rencontre jamais à l’entraînement, avec une barre presque à la hauteur d’un but de football. «La latte ne me fait pas peur, elle ne m’a jamais posé de problème.» Il a plutôt travaillé sur la confiance en soi, pour «se débarrasser de la mentalité du petit Suisse qui n’a rien à faire dans l’élite mondiale. Aujourd’hui, j’essaie de me dire: «Oui, je suis à ma place ici!» Ce processus a été vécu par presque tous les membres de cette nouvelle génération d’athlètes suisses, comme Mujinga Kambundji ou Ajla Del Ponte.

L'athlète Loïc Gasch

«La latte ne me fait pas peur, elle ne m’a jamais posé de problème.» affirme le binational franco-suisse qui a travaillé sur sa confiance en soi, pour «se débarrasser de la mentalité du petit Suisse qui n’a rien à faire dans l’élite mondiale».

Anoush Abrar

En saut en hauteur, quelques centimètres changent tout. Le premier jalon est posé par Loïc Gasch en 2020, lorsqu’il franchit 2,30m lors d’un meeting à Aarau, une limite magique dans sa discipline. Pour dominer cette hauteur, tout doit être parfait. «Pour moi, un bon saut est un saut où tout va de soi, où je ne réfléchis pas.» Ses bonds à 2,30, 2,31 (aux Mondiaux en salle de Belgrade) et 2,33m se sont passés de cette manière. Il se sentait fort psychologiquement, physiquement et techniquement; tout était fluide, de l’élan au virage et au saut lui-même. «Rien ne fait mal, tout est facile.»

De façon surprenante, cette suite de mouvements extrêmement complexes est rarement entraînée dans son ensemble. Gasch n’a même pas une telle séance chaque semaine. «Sauter à ce niveau demande beaucoup d’énergie, c’est un effort difficile pour le corps.» S’il saute trop souvent, il risque ainsi de ressentir des douleurs, une situation que cet athlète habitué aux blessures connaît bien. L’entraînement est donc empli de petits aspects: beaucoup de sprints, de la musculation, ou une préparation séparée au virage et à l’élan.

Beaucoup de travail pour un résultat qui apparaît facile et naturel. Sauter plus haut que sa propre taille sans aucun accessoire est fascinant. Il est évident que le poids joue un rôle décisif. Ce sujet délicat a donné du fil à retordre à Gasch pendant une bonne période. «Je me disais: «Moins je mange, plus je suis léger, c’est mieux pour le saut.» Il se pesait alors chaque jour pour découvrir s’il avait pris 100 grammes. Entre-temps, il s’est débarrassé de cette attitude malsaine. Il ne possède plus de balance et ne sait donc pas exactement combien il pèse, «probablement entre 76 et 78 kilos». Il emploie un nutritionniste et cuisine des produits frais midi et soir avec sa fiancée, Jessica Tschümperlin. «Mais je dérive vite vers le négatif et je dois faire attention à ce que cela ne m’arrive plus.»

L'athlète Loïc Gasch

«Lors d'un bon saut, tout va de soi. Rien ne fait mal, tout est facile.»

Anoush Abrar

En automne 2020, le covid l’affaiblit. Des symptômes d’abord légers sont suivis par une infection des poumons, des inflammations du foie et des muscles. Même en parlant avec un masque, il est essoufflé. Six semaines de repos absolu lui sont prescrites. Pas agréable pour un sportif impatient. «Mais c’était clair, je devais obéir ou je ne pourrais peut-être plus pratiquer de sport de compétition.» Pendant cette période, son corps se rétablit complètement. A l’exception de l’odorat, toujours absent, il ne souffre pas de séquelles et dispose de suffisamment de temps pour se reconstruire en vue de la saison olympique, en 2021.

Les Jeux de Tokyo se concluent de manière décevante pour le Vaudois, qui rate la finale. Tandis que ses collègues de discipline Mutaz Essa Barshim et Gianmarco Tamberi livrent un des moments les plus forts de ces joutes. Au lieu de disputer un barrage, ils décident de gagner deux médailles d’or. La ferveur avec laquelle ils célèbrent leur victoire commune touche le monde entier et est caractéristique de la discipline. La relation entre les sauteurs y est collégiale: «Nous sommes plutôt des amis qui se réunissent pour jouer ensemble.» Jusqu’à une blessure au pied, on pensait du Qatari Barshim qu’il était un candidat pour battre le fabuleux record du monde de Javier Sotomayor, établi en 1993. Il y a huit ans, Barshim a sauté 2,43m, 2 centimètres sous cette marque mythique.

En 2018, année de sa blessure au pied, Barshim a été le dernier à franchir 2,40m. Le record du monde s’est de nouveau éloigné. Aux Mondiaux en salle de Belgrade, en février dernier, 2,31m ont suffi à Gasch pour décrocher la médaille d’argent. En extérieur, on se bat pour les médailles à partir de 2,37m. C’est ce que Loïc Gasch vise. En rêveur qui produit des résultats bien réels, il ne se fixe aucune limite.

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Loïc Gasch, du covid au rêve de Jeux olympiques

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Le sauteur en hauteur Loïc Gasch, 26 ans, neuf fois champion de Suisse, a connu une année 2020 faite de gros hauts et de bas: record personnel à 2,30 mètres avant d’être rattrapé par le coronavirus. L’athlète revient sur ces derniers mois et se projette vers les Jeux de Tokyo. Sébastien Moret

Les records suisses actuels qui datent du siècle dernier

Hommes

  • 400 m, 44’’99: 1996, Mathias Rusterholz
  • 1500 m, 3’31’’75: 1985, Pierre Délèze
  • 3000 m, 7’41’’05: 1979, Markus Ryffel
  • 5000 m, 13’07’’54: 1984, Markus Ryffel
  • 400 m haies, 48’’13: 1999, Marcel Schelbert
  • Saut à la perche, 5,71 m: 1983, Felix Böhni
  • Lancer du poids, 22,75 m: 1988, Werner Günthör
  • Lancer du disque, 64,04 m: 1988, Christian Erb

Femmes

  • 1500 m, 3’58’’20: 1998, Anita Weyermann
  • 3000 m, 8’35’’83: 1999, Anita Weyermann
  • 5000 m, 14’59’’28: 1996, Anita Weyermann
  • 10 000 m, 31’35’’96: 1994, Daria Nauer
  • Lancer du poids, 18,02 m: 1988, Ursula Stäheli
  • Lancer du disque, 60,60 m: 1976, Rita Pfister
Par Eva Breitenstein publié le 17 mai 2022 - 09:03