C’est un artiste suisse et colombien. International. Il y tient. Riche de deux cultures. Loco Escrito est né à Medellín, où feu Pablo Escobar, le plus impitoyable des narcotrafiquants, faisait la loi. «La Colombie était déchirée par la guerre civile qui opposait les FARC et les paramilitaires. C’était Scarface au quotidien, raconte le Zurichois dans un français épatant. J’aurais pu mourir là-bas. En 1990, Escobar se planquait au Monaco, un bâtiment qu’un attentat apparemment organisé par le cartel rival de Cali a pulvérisé. On habitait tout près…» Pour ses parents, ce sera le signal du départ. Escobar, lui, se suicidera en 1993.
Loco Escrito, de son vrai nom Nicolas Herzig, a gardé des liens étroits avec sa ville natale. Il s’y rend chaque année pour voir la famille, les amis et se nourrir de la jerga, le jargon de la rue. «La langue change vite, confie-t-il. Il faut assimiler les nouvelles expressions, le phrasé. C’est important quand tu chantes aussi pour les gens de là-bas. Le reggaeton, sur ce plan-là, c’est comme le rap.» L’artiste, qui a grandi à Wetzikon (ZH) et vit désormais à Maur, adore les langues. Il en parle cinq!
Outre-Sarine, Loco Escrito cartonne. Il a débuté dans le hip-hop à 14 ans avec le groupe LDDC (Los Diablos del Cielo), puis en solo à 24 ans. En 2019, 2020 et 2021, il a remporté coup sur coup le Swiss Music Award du best hit avec ses tubes Adios, Punto et Amame. «L’avoir fait ici, en Suisse, avec des textes en espagnol, c’est kiffant. J’adorerais pouvoir inspirer d’autres artistes de culture différente.» Généreux, le mec.
Loco Escrito a su exploiter les réseaux sociaux pour se faire connaître, en Suisse et surtout ailleurs. L’engouement planétaire pour le reggaeton, incarné par Maluma, autre Colombien de Medellín (!), l’a servi. Résultat: quatre de ses vidéos ont embrasé YouTube, accumulant jusqu’à 8,6 millions de vues pour l’une d’entre elles! Il a des fans partout, donc aussi en Suisse romande, où son concert aux Docks, à Lausanne, le 1er octobre dernier, a fait salle comble… à la surprise des exploitants.
Il n’est pas étonné. «Quand j’ai démarré en solo, on m’a expliqué que ma musique était une niche, que ça ne marcherait pas en Suisse… Mais j’ai trouvé un chemin. Il y a toujours un chemin.» Sa botte secrète? Le charisme, la curiosité, le goût des autres. «Je vais au contact. C’est ma force.» Le gars en impose. Un bon mètre 85 pour 100 kilos! Quand il parle, on l’écoute.
Fan de Harley-Davidson, on l’imagine en chef de meute, mais le costaud est un vrai tendre, papa gâteau d’une petite Aisha, âgée de 6 ans, et amoureux transi de Michelle, 25 ans, une prof de yoga étudiant la psychologie des affaires, rencontrée en 2020. Le roman de sa vie se décline en tatouages: un micro pour symboliser la musique, une fleur pour la Colombie, un papillon, le prénom et le visage de sa fille bébé. «Quand elle est née, j’étais submergé de doutes. Voir son visage me rassurait. J’ai souvent pensé à Dieu en la regardant.» Loco Escrito est croyant, «mais sans religion» souligne-t-il.
La pandémie aurait pu le mettre à terre. Privé de tournée en Amérique du Sud, il a surtout perdu son papa, Fernando, décédé à 63 ans. Le chagrin et sa foi absolue en la famille lui ont inspiré un nouvel album, son troisième, sorti fin avril. Un disque de 21 titres (!), dansant, touchant, intitulé sobrement Fernando (Phonag Records).
Quand on s’étonne de son physique européen, le Colombien zurichois sourit. «Le stéréotype sud-américain à la peau mate et au visage indien ne veut rien dire. La Colombie, comme l’Argentine, est un pays de métissages où les yeux bleus ne sont pas si rares. Là-bas, je suis parfois vu comme un carigringo (mélange de Caribéen et de Nord-Américain, ndlr). Il y a de tout en Colombie!» Dont pas mal de descendants d’Européens, comme lui.
«Herzig est un nom suisse répandu en Colombie. Cela avait intrigué mon grand-père paternel, qui a fait des recherches et s’est découvert des ancêtres en Suisse. En Colombie, si tu peux prouver ton ascendance suisse, tu peux solliciter et obtenir la double nationalité. C’est ce qu’il a fait, dans un premier temps pour envoyer mon père, qui était un ado difficile, dans un internat à Genève.»
En Suisse, le père de Nicolas, Fernando Herzig, entre ensuite à La Poste, où il va rencontrer sa femme, une Zurichoise. «Ils bossaient face à face au centre de tri du courrier», raconte Loco Escrito, amusé. Marié, le jeune couple déménage en Colombie, où naît une première fille, en 1988. Nicolas vient au monde le 27 janvier 1990. Medellín est alors un baril de poudre, au propre et au figuré!
L’artiste est admiratif de ses parents, qui auront encore un fils, né, lui, à Zurich. «Mon père était un vrai Latino, macho et charismatique, polyglotte aussi. Un bosseur. En Suisse, il a gravi les échelons un à un pour finir chef des ventes dans une firme internationale et bien gagner sa vie, mais celle qui m’impressionne le plus, c’est ma mère. Songez au courage qu’il lui a fallu pour partir en Colombie durant les années de plomb!» Ses parents ne sont pas musiciens. «Non seulement mon père chantait faux, mais il n’avait aucun sens du rythme.» Il rit. Dans la famille, seul un cousin guitariste, installé à Genève, suscitera un déclic chez le petit Nicolas, avant de disparaître, suicidé.
S’il vénère son père, auquel la chanson Mi Superman, interprétée en duo avec le rappeur Rodry-Go – orphelin de père lui aussi – est dédiée, c’est d’abord pour l’attention qu’il portait à ses enfants. «Mon père était très présent. Il prenait le temps de jouer avec nous après le boulot, nous encourageait. Moi, il m’a incité à avoir de grands rêves, à oser. Des conseils judicieux, surtout en Suisse, qui est peut-être le seul pays au monde où tu as toujours une deuxième chance. Tu peux tout perdre et recommencer. C’est unique, mais ça implique de prendre des risques…»
Sa mort, l’an dernier, à Medellín, où il était rentré, a été une épreuve terrible. «Il était très malade. J’ai mis ma carrière en stand-by pour être à son chevet. C’était très lourd, mais c’était le chemin à suivre, confie-t-il. Le bon chemin.»
Ce père disparu trop tôt l’inspire pour l’éducation de sa petite Aisha, dont il partage la garde en bonne intelligence avec la mère. «Rien n’égale la relation que j’ai avec ma fille.» La paternité l’a transformé. «Je suis devenu un homme. Sans ma fille, je ne connaîtrais pas le succès. Sa naissance a constitué un jalon essentiel, tout comme l’accident de moto dont j’ai été victime six mois plus tôt. J’aurais pu perdre mes jambes, mais quand ma fille est née, j’étais debout.» Aisha commencera l’école cet été. Avec envie. «Elle sait déjà lire et écrire», confie-t-il fièrement.
Côté carrière, Loco Escrito flambe. Il l’explique en partie parce que la Colombie est aujourd’hui «à la mode». Merci à Shakira, à Juanes, à Maluma et son reggaeton, aux footballeurs Falcao et James Rodríguez, à l’actrice Sofía Vergara, star de la série Modern Family, aux telenovelas, enfin, incontournables.
La Colombie a changé, même si «la violence liée au trafic de cocaïne persiste, constate avec dépit Loco Escrito. El diablo blanco reste le problème numéro un. Pour moi, la solution passera par la légalisation, mais jamais les Etats-Unis ne l’autoriseront…» L’artiste, qui avoue «tirer sur un joint de temps en temps» – jamais devant sa fille! –, ne boit pas d’alcool et ne fume pas de clopes non plus. Son chemin à lui.
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