Avec elle, il a vite fallu renoncer à nos espoirs de «home story» incluant enfants et compagnon sur le sofa du salon. En guise de solution de repli, Lisa Mazzone nous a proposé les Bains des Pâquis comme décor pour les photos et leur buvette pour l’interview. Cette enfant prodige de la politique en Romandie ne doit pas sa rapide ascension à du marketing médiatique, mais à la constance de ses convictions et de son ambition. Une constance brièvement enrayée par sa défaite aux élections fédérales de l’automne dernier. Mais ses adieux à la politique n’étaient qu’un faux départ. La Verte genevoise est de retour par une autre grande porte, celle de la présidence de son parti. Enfin un leadership romand parmi les six principales formations politiques suisses! Enfin, aussi, une présidence charismatique!
- Quatre mois après votre échec électoral au Conseil des Etats et un mois et demi avant d’être intronisée présidente des Verts suisses, dans quel état d’esprit êtes-vous?
- Lisa Mazzone: Je me réjouis beaucoup de ce nouveau défi et de poursuivre mon engagement en faveur d’une société en harmonie avec l’environnement, en faveur d’une manière de vivre plus durable. Mon échec électoral a été une épreuve douloureuse. Mais quand on trouve les ressources pour se relever, c’est finalement une expérience formatrice.
- Et il ne vous a manqué qu’un millier de voix pour être réélue au Conseil des Etats. Ce n’était pas une claque.
- Le résultat comptable était serré, en effet. Mais ses conséquences ont quand même eu l’effet d’une claque. C’est la dure loi de la démocratie.
- Qu’en avez-vous tiré comme conséquences à part celle, vite oubliée, de quitter la politique?
- J’ai pris le temps de la réflexion. La possibilité de poursuivre des actions en faveur d’un meilleur avenir pour nos enfants et petits-enfants m’a convaincue. Et revenir dans un rôle différent me motive encore davantage. Ce défi de la présidence des Verts consiste à incarner et à expliquer de manière aussi claire et accessible que possible notre action, notre vision du monde et de la société.
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- Mais ce nouveau poste, c’est aussi un rôle de leader de clan, en l’occurrence celui des Verts.
- Je compte me déplacer aussi souvent que possible pour aller à la rencontrer des militants et des sympathisants de toute la Suisse. Cette présidence est une responsabilité nationale. Or nous avons tendance à nous focaliser sur ce qu’il se passe à Berne. Je pense que la politique doit plus que jamais sortir de ses murailles. J’espère que, dans ce nouveau rôle, je contribuerai à désenclaver un peu la politique suisse en allant davantage au contact de la population civile, des citoyennes et citoyens qui mènent des actions ou lancent des entreprises qui vont dans le bon sens.
- Techniquement, comment allez-vous surmonter la difficulté d’être – ce qui est très rare en Suisse – une présidente de parti non élue au parlement fédéral? Vous attendrez dans la salle des pas perdus?
- Je resterai au contact de la vie parlementaire en assistant aux séances de groupe. J’irai régulièrement au parlement fédéral pour travailler avec tous les élus. J’ai développé un grand réseau au Palais fédéral, mais aussi dans l’administration, dans les cantons et dans le monde associatif. Je surmonterai donc cette singularité.
- Il y a un problème de charisme dans le leadership des Verts aujourd’hui, comme d’ailleurs dans les autres partis. Vous prétendez compenser ce déficit d’incarnation?
- Ce problème d’incarnation vient en bonne partie du fait que les Verts font de la politique autrement. Nous sommes d’abord motivés par un projet de société et moins par les trajectoires individuelles. En même temps, nous sommes un des grands partis nationaux. Je pense qu’il faudra assumer et incarner cette place avec plus d’assurance.
- Vous êtes appréciée en Suisse alémanique, votre élection tacite à ce nouveau poste le confirme. Comment expliquez-vous votre «alémano-compatibilité»?
- Peut-être parce que j’aime vraiment la Suisse alémanique. J’aime la diversité de la Suisse. C’est passionnant de voir comment les Verts se déploient différemment selon les régions. Nous partageons des convictions fortes, mais on ne fait pas de la politique verte de la même façon dans une ville comme Genève que dans la campagne glaronaise. Et puis je parle l’allemand, ce qui facilite les choses.
- Comment avez-vous fait pour maîtriser l’allemand? En achetant une méthode Assimil pour compenser les faiblesses pédagogiques de notre école publique?
- J’ai même arrêté l’allemand dès le collège pour choisir l’italien à côté de l’anglais. Mais quand j’ai été élue au Conseil national, il y a huit ans, j’ai fait plusieurs voyages linguistiques en Allemagne pour apprendre la langue. Et mon compagnon est Schaffhousois, nous parlons allemand ensemble. Il parle le suisse-allemand avec nos deux enfants. Je bénéficie donc d’une immersion linguistique au quotidien et d’une immersion culturelle également grâce à lui. Et j’avais aussi une grand-mère saint-galloise. Tout cela a fait de moi une Genevoise sans Röstigraben.
- Quelles sont les principales différences dans la vie politique des deux côtés de la Sarine?
- Il y a peut-être une plus grande dureté en Suisse alémanique. La presse est aussi moins bienveillante. Mais, sous cette apparence rugueuse, on trouve beaucoup de chaleur humaine dans les contacts interpersonnels.
- Les Verts ont un point commun avec l’UDC...
- Ah, je suis vraiment curieuse de savoir lequel...
- Celui d’avoir migré ces vingt, trente dernières années du centre vers un positionnement nettement plus radical.
- Je ne suis pas d’accord. Dès les origines du parti, les Verts comptaient en leur sein des membres très à gauche et d’autres plus au centre. C’était la force de ce parti que de parvenir à réunir des profils différents. Et cela reste la force et le défi à relever pour mon parti.
- Quelles sont les différentes tribus qui composent les Verts suisses des années 2020?
- Je ne sais pas si on peut parler de tribus, mais il y a en effet des différences de sensibilité parmi nous. Nous avons autant des paysannes, des entrepreneurs que des syndicalistes. Cela alimente le débat et c’est sain.
- Des différences aussi de priorités?
- Après les élections fédérales d’octobre, on nous a reproché à la fois de nous être trop dispersés et d’avoir trop parlé du dossier climatique, ce qui est contradictoire. La priorité des Verts passe encore et toujours par le prisme de notre rapport à notre environnement, par la préservation de nos ressources naturelles. Et de cette priorité commune découlent des préoccupations sociales, comme une meilleure répartition des richesses, une plus grande égalité.
- Quelles sont les limites de l’action pour Lisa Mazzone? Car on a reproché à certains élus verts d’avoir sinon soutenu, du moins quittancé des actions illégales commises par des activistes climatiques, notamment.
- Quand on est au sein des institutions, on ne peut pas se permettre d’encourager des actions illégales.
- Vous n’avez pas utilisé le mot nature dans cette interview, mais le mot environnement, qui a le défaut d’être anthropocentriste. Le monde ne serait au fond que ce qui gravite autour de notre espèce toute-puissante?
- Je partage pourtant votre réticence à propos du mot environnement. J’aime en fait bien parler de nature, car ce terme se rapporte mieux à cette expérience sensible, esthétique, émotionnelle que nous offre cette planète. C’est d’ailleurs un des défis des Verts que de conserver une dimension émotionnelle aux défis à relever et non pas se contenter des froides approches politiques et scientifiques.
- Vous êtes vous-même issue d’une famille de scientifiques mais avez fait des études littéraires. Avez-vous néanmoins hérité d’une certaine rigueur scientifique?
- Oui, j’ai gardé un souci de recherche de vérité, de rationalité. En politique, on peut être tenté de baratiner à des fins électoralistes. Ce n’est pas mon genre, notamment grâce à cette famille très attachée à la rigueur intellectuelle. Et puis la politique, ce sont fondamentalement des interactions humaines. Ce que m’a apporté ma mère psychiatre dans le domaine psychologique a une certaine utilité.
- Qu’allez-vous changer chez les Verts suisses, concrètement?
- La mobilisation. Nous avons eu beaucoup d’adhérents après notre beau score aux fédérales de 2019. Mais avec le covid, cette dynamique n’a pas pu se déployer pleinement. Or la politique, cela consiste aussi à aller chercher des gens. Je vais tout faire pour remobiliser et élargir nos sympathisants.
- Si je vous demande de classer par ordre d’importance ces six dossiers chers aux Verts: climat, biodiversité, migration, égalité homme-femme, transition énergétique, justice sociale.
- Tout est lié et donc délicat à hiérarchiser. Le dossier migration est ainsi lié au dossier climatique en raison des graves sécheresses et de la désertification accélérée dans les pays du Sud.
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- Quels conseils donnez-vous à nos lectrices et lecteurs pour s’informer sur la vie des Verts sous votre présidence, qui débutera officiellement le 6 avril prochain?
- Je me permets de conseiller déjà à celles et ceux qui se sentent des affinités à devenir membres. C’est la meilleure manière de suivre les activités du parti. Mais pour le plus grand nombre, mon objectif consiste à multiplier les rencontres et débats avec la population dans tous les cantons, avec la présence d’acteurs du changement, de scientifiques, d’artistes, d’entrepreneurs. Je ne suis pas très fan des réseaux sociaux, qui sont des outils sur lesquels on passe plus de temps à communiquer sur ce qu’on fait au lieu de faire ce sur quoi on communique. Je compte plutôt privilégier les contacts directs.
- Une autre priorité, Madame la future présidente?
- Je suis préoccupée par le découragement, voire le désespoir qui gagne du terrain actuellement face à l’évolution du monde actuel. Il faut entretenir l’espoir en présentant les transitions à accomplir comme des ouvertures sur un mieux-vivre. Il faut donner envie de changer les choses en ouvrant des horizons, en rappelant que des projets collectifs existent.
- L’arrivée de vos enfants, en 2019 et 2021, a-t-elle renforcé cette volonté de positiver?
- Oui, indéniablement. Les enfants donnent un autre éclairage. Je pense moins à ma propre personne et je ressens plus que jamais le besoin de construire un futur heureux.
- Votre livre de chevet?
- Je suis en train de lire «Puissance de la douceur» d’Anne Dufourmantelle. Ce sont des réflexions d’une philosophe et psychiatre qui est décédée en essayant de sauver une personne de la noyade.
- Votre pire contradiction?
- C’était déjà un sujet de dispute avec mon père quand je vivais encore chez mes parents: je reste trop longtemps sous la douche. C’est un moment agréable, surtout en hiver, un moment où on se recentre, mais le prolonger n’est pas très écologique.
- Votre plus grande fierté?
- C’est de ne pas encore être détestée par mes enfants! Pour l’instant, ils m’aiment et me l’écrivent même. Plus sérieusement, c’est d’avoir débloqué un compromis, l’année passée au Conseil des Etats, pour le développement rapide des énergies renouvelables sans sacrifier la nature.