C’est sa mère, Priscilla Presley, qui a annoncé sa mort, dans un hommage dévasté à «la femme la plus passionnée, forte et aimante jamais connue». Lisa Marie Presley aurait dû fêter ses 55 ans début février, elle rejoindra finalement son père à Graceland, la résidence qu’Elvis Presley avait acquise pour sa famille du côté de Memphis, dans le Tennessee, et devenue sa tombe après sa mort brutale, à 42 ans. L’héritière du King y retrouvera aussi son fils adoré, Benjamin, qui s’est tiré une balle dans la tête au cœur de l’été 2020, à 27 ans. Graceland, un lieu qu’Elvis rêvait plein de vie et qui abrite désormais toutes les douleurs d’une famille où, telle une tragédie antique, aucun héros ne semble pouvoir échapper à la cruauté du destin. Car derrière le génie, la gloire et les déhanchés ensorceleurs, le malheur n’a jamais cessé de rôder.
Il frappait Elvis dès sa naissance, survivant d’un frère jumeau mort-né. Il se rappelait à lui à 23 ans, quand il perdait sa mère adulée de 46 ans. A chaque fois, une défaillance du cœur, mais aussi des années d’excès. Retrouvée inconsciente à son domicile, Lisa Marie a succombé à son tour à un arrêt cardiaque, laissant trois orphelines: la mannequin et actrice Riley Keough, 33 ans, ainsi que Finley et Harper Lockwood, ses jumelles de 14 ans. Une énième épreuve de la douleur.
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Son prénom sur le jet du King
A sa naissance pourtant, Lisa fait figure de princesse que sont venues visiter toutes les bonnes fées. Son père de 33 ans est une idole planétaire et sa mère de 21 ans lui a transmis ses gènes exceptionnels. Priscilla Presley est tombée amoureuse du roi du rock’n’roll à 14 ans, alors qu’il faisait son service militaire en Allemagne. Plus âgé, il attend sept ans avant de l’épouser et de consommer l’union. «C’était une relation très protectrice dès le départ. Il a été un père pour moi. C’était mon mentor», dira Priscilla dans ses Mémoires, «Elvis et moi». Au point qu’il en fait sa «poupée vivante», lui imposant son «dress code», jusqu’à sa couleur de cheveux. Il l’érige surtout en madone, préférant les bras d’autres femmes. Priscilla s’étiole.
Lisa Marie, elle, a un papa hors normes, souvent absent, mais qui la couvre d’offrandes. Il a collé son prénom sur son jet, avec lequel il n’hésite pas à l’emmener jouer dans la neige pour l’après-midi. «Je suis vraiment une fille à papa: il ne pouvait rien faire de mal à mes yeux. Je l’admirais en tout», confiera-t-elle en 2003 dans «The Guardian». Mais il y a aussi les abysses d’Elvis, capable de s’enfermer des heures dans le noir pour ressasser ses obsessions occultes et ses phobies ou de tirer à l’arme à feu sur les télés quand il n’aime pas le programme. Chaque jour plus esquinté par les psychotropes que son manager et son médecin démoniaques lui fournissent à doses pantagruéliques.
Lisa Marie a 5 ans quand sa mère exige le divorce et l’emmène à Los Angeles. Mais Graceland reste son terrain de jeu enchanteur dès qu’elle revient voir l’icône paternelle, quel que soit son état. C’est elle qui découvre le corps du King dans sa salle de bain. Elle a 9 ans et «perd la boule», résumera-t-elle. A 13 ans, elle est devenue une «adolescente du type «je m’en fous», traversée par «le dégoût de soi, l’angoisse et la haine». La drogue orchestre sa rébellion: «J’aimais la cocaïne, les analgésiques, je fumais tout le temps de l’herbe et je buvais en même temps», énumérera-t-elle. Sa mère, désormais actrice, l’envoie dans un pensionnat de scientologie, auquel elle adhère. C’est là que l’ado en pleine errance rencontre Danny Keough, «familier des ténèbres», comme elle.
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Le couple, assagi, se marie en 1988. Riley naît un an plus tard. Lisa Marie a 21 ans, jeune mère, comme sa génitrice avant elle. Benjamin vient au monde trois ans plus tard. Est-ce parce que la fille unique d’Elvis hérite pleinement de tout son patrimoine à 25 ans qu’elle dévie alors radicalement de sa route, comme hantée par des forces trop puissantes? En six mois, elle a divorcé de Danny Keough et épousé Michael Jackson, superstar accro aux médicaments, et surtout sous le coup d’accusations d’abus sexuels sur mineurs. Un mariage pare-feu, persiflent les médias. «La plus grande erreur de ma vie», autant qu’un «doigt d’honneur supplémentaire», admettra Lisa Marie. Selon le biographe Randy Taraborrelli, Michael Jackson, de dix ans son aîné, avait su la séduire en lui soufflant qu’elle avait «un vrai talent musical». Elle qui y croyait si peu…
Les noces les plus étranges de Hollywood s’achèvent au bout de dix-huit mois et la fille d’Elvis prend le chemin des studios. D’abord en enregistrant un duo posthume avec son père («Don’t Cry Daddy»), puis en enchaînant trois albums. «La musique a toujours influencé ma vie et je voulais faire ça pour les autres. Mon espoir est de briser mon héritage et de gagner mes propres références en tant qu’artiste. Non pas pour une raison superficielle ou pour devenir une icône pop, mais parce que cela me donnerait enfin l’impression de pouvoir garder la tête haute.»
Hélas, sa vie amoureuse reste tumultueuse. Car Lisa Marie a un fardeau: son nom, qui «terrasse tous les hommes à l’idée de devenir M. Presley». En 2002, elle croit pourtant briser cette malédiction en disant oui à Nicolas Cage, déjà célèbre et neveu de Francis Ford Coppola. Ils rompent au bout de quatre mois. «Trop sauvages et trop jeunes», plaidera-t-elle, philosophe. Ses quatrièmes noces, avec le musicien Michael Lockwood, en 2006, paraissent les bonnes. Ensemble, ils ont rapidement des jumelles. Dix ans après, le divorce est sanglant. Elle l’accuse de profiter d’elle et, pire, de détenir des images pédopornographiques dans son ordinateur. Il réplique qu’elle est accro aux opioïdes. Ce qu’elle ne dément pas, affirmant que l’addiction a ressurgi après la naissance de ses filles, mais qu’elle se soigne. Police et services sociaux enquêtent avant que la justice ne referme le dossier, leur octroyant une garde partagée.
Dernière apparition publique
La dernière soirée des Golden Globes, le 10 janvier 2023, a aussi été celle d’un émouvant hommage au père de Lisa Marie, alors que l’acteur Austin Butler recevait le prix du meilleur acteur pour sa prestation dans le biopic «Elvis», de Baz Luhrmann. Bien sûr, elle était là. Mais «frêle» et «instable» selon certains témoins. Une dernière apparition publique révélant à quel point elle n’était pas remise de la mort de Benjamin.
En août 2022, elle écrivait d’ailleurs dans «People»: «Je fais face à la mort, au chagrin et à la perte depuis l’âge de 9 ans. J’en ai eu plus que la juste part de quiconque et, d’une manière ou d’une autre, je suis arrivée jusqu’ici. Mais celle-ci, la mort de mon magnifique, magnifique fils? […] Non. Juste non… non non non non.» D’après le rapport d’autopsie, Benjamin Keough avait consommé cocaïne et alcool avant son suicide. Selon le rapport toxicologique d’Elvis, une dose massive d’opiacés circulait dans son sang. Que décèlera l’examen de celle qui venait de signer avec un éditeur pour écrire un livre sur son père tant aimé? La cruauté du destin qui semble défier les Presley de résister à la douleur de la perte génération après génération restera malheureusement indétectable dans les analyses.