A l’âge de 23 ans, j’ai eu un cancer. C’est à partir de ce moment-là que ma vie a complètement changé. Avant, ma vie était comme celle de toutes les jeunes filles de mon âge. Je travaillais dans un centre d’enfants. J’appréciais ma profession. J’avais beaucoup d’amis avec lesquels je sortais souvent le week-end, et je passais le reste de mon temps libre à aller me promener avec ma chienne en forêt.
Un matin, en me levant, j’ai commencé à avoir des douleurs à la jambe gauche. Plus les jours passaient, plus les douleurs s’intensifiaient. Environ deux semaines plus tard, je ne pouvais plus marcher. Mon médecin généraliste m’a prescrit des anti-inflammatoires. Un soir, les douleurs n’étaient plus supportables et j’avais 40° de fièvre. Ma maman m’a amenée aux urgences, et le médecin qui m’a examinée m’a dit: «Mme Meneghelli, portez-vous souvent des talons aiguilles?» Stupéfaite, ma réponse fut oui. «C’est à cause de cela que vous avez mal à la jambe. Cependant, il serait bien d’effectuer un doppler afin de contrôler les veines.»
Une semaine s’est écoulée avant que je puisse réaliser cette échographie. Lorsque je me suis retrouvée sur la table d’examen, le médecin est devenu blanc, a immédiatement téléphoné à mon médecin généraliste et m’a fait passer un scanner. Je ne savais pas vraiment ce qu’il se passait. Un jour, j’ai reçu un téléphone de mon généraliste me demandant de passer à son cabinet le soir même.
Lorsque je suis arrivée dans son cabinet, il m’a annoncé que j’avais une tumeur dans le mollet gauche et que j’allais être prise en charge à l’Hôpital de l’Ile, à Berne, où j’allais consulter un oncologue. Ma maman a demandé d’où cette tumeur pouvait provenir. Il a répondu: «Je suis désolé. Malheureusement, c’est la faute à pas de chance, aucune explication n’existe.»
A l’annonce de ce diagnostic, j’ai, dans un premier temps, été choquée et angoissée. Puis je me suis dit que je n’avais pas le choix, que c’était le destin et que je devais y faire face. A aucun moment je n’ai douté, je devais combattre cette fichue maladie!
«Vivre ou mourir»
J’ai passé des batteries d’examens afin de déterminer quelle était cette tumeur et j’ai commencé les chimiothérapies. Après trois cycles, j’ai dû passer une IRM pour savoir si la tumeur réagissait favorablement à la chimiothérapie. A la suite de cela, on m’a annoncé mon amputation. «Nous avons cherché toutes les possibilités afin de conserver votre jambe. Malheureusement, la tumeur a créé de tels dégâts que nous sommes obligés d’amputer votre jambe gauche jusqu’au-dessus du genou.» On m’a ensuite demandé de choisir la date de mon amputation, qui devait se dérouler cette semaine-là. J’ai demandé si on pouvait augmenter la chimiothérapie afin que je garde ma jambe. La réponse a été claire: «Vous avez les cartes en main, vous avez le choix entre vivre ou mourir.» Le 5 juillet 2013, mon amputation a eu lieu.
Le jour J était arrivé, le jour où une partie de mon corps allait m’être enlevée. Arrivée en salle de réveil après l’opération, j’ai demandé: «Alors, tout est parti? Ma jambe et la tumeur aussi?» Eh oui, je ressentais déjà ces fameuses douleurs fantômes. J’ai dû regarder sous le drap pour prendre réellement conscience qu’une partie de mon corps n’était plus là. La tumeur avait aussi disparu.
Je devais cependant continuer la chimiothérapie durant six cycles pour être sûre que tout était terminé. Après seulement deux semaines d’hospitalisation, j’ai pu rentrer à la maison et je me suis fait appareiller. J’avais l’impression de voler. Retrouver cette sensation d’être sur deux jambes était intense, même si j’étais encore maladroite. Après quelques séances de physio, j’ai réussi à me déplacer sans béquilles.
Après être passée par le cancer, l’amputation et toutes ces séances de chimio, je voyais la vie différemment. A mes yeux, j’avais perdu un membre, mais j’avais retrouvé un goût à la vie différent. Je voyais et je ressentais combien ce qui nous entoure était précieux. Le fait de pouvoir être en vie était tout ce qui comptait. Cependant, j’avais beaucoup de difficultés à me regarder dans un miroir avec un membre en moins. Je n’arrivais pas à m’accepter en tant que femme et je n’arrivais pas à retrouver ma féminité. Je cachais ma prothèse avec des pantalons amples, cela m’était très difficile.
Trois ans plus tard, en 2017, j’ai à nouveau dû me faire amputer. J’avais souvent des problèmes d’appareillage, j’étais souvent blessée et, un jour, lorsque j’ai enlevé ma prothèse, il y avait beaucoup de sang. J’avais une plaie ouverte d’un centimètre et demi. Mon chirurgien orthopédiste m’a envoyée à Berne pour que je me fasse reconstruire le moignon par le même chirurgien que pour la première amputation. Malgré le retrait d’un centimètre et demi, les douleurs furent les mêmes que la première fois. Lors de cette hospitalisation, j’ai passé deux semaines dans une chaise roulante puis je suis rentrée à la maison et j’ai continué des séances de physiothérapie.
Après ma deuxième amputation, j’ai fait de la rétention d’eau. On ne pouvait pas dire si cela venait de l’opération ou si c’était la manière dont mon corps se défendait face à cette deuxième opération. Un jour, mon moignon s’est à nouveau ouvert. Je suis alors retournée voir mon chirurgien orthopédiste. Lorsque je lui ai montré le résultat de cette deuxième amputation, il m’a dit: «Il vous a loupée, ce n’est pas possible. Vous ne pouvez pas retourner là-bas, je connais de bons chirurgiens orthopédistes à Lausanne. Etes-vous d’accord d’aller à Lausanne?»
J’ai immédiatement accepté. A Lausanne, j’ai été prise en charge par le Pr Borens. Il m’a expliqué qu’il devait reprendre mon moignon pour la troisième fois, qu’il allait me faire un renforcement musculaire et une meilleure couverture distale du fémur. Il m’a cependant dit: «Je vous opère à une condition: que vous accomplissiez toute la réadaptation ici avec nous et que vous changiez de prothésiste.» J’ai accepté sans hésitation.
J’ai subi ma troisième amputation en janvier 2018, on m’a à nouveau enlevé un centimètre et demi. Lorsque je vois le travail que le professeur Borens a réalisé, je suis très satisfaite et reconnaissante envers lui. Je suis restée à l’Hôpital orthopédique durant sept semaines. J’ai fait de la physiothérapie intensive et des séances d’ergothérapie et j’ai rencontré un très bon prothésiste qui a su m’appareiller correctement. J’ai aussi fait de merveilleuses rencontres avec plusieurs personnes. Ce séjour m’a été très bénéfique personnellement. J’en ressors grandie et, à présent, je peux me regarder dans un miroir, je montre ma prothèse avec fierté, sans aucune gêne et je retrouve ma féminité. Je tiens à remercier tous ceux que j’ai pu rencontrer durant ce séjour. J’en ressors confiante, je suis en accord avec moi-même et j’ai beaucoup de projets qui me tiennent à cœur pour la suite.
Tout n’est pas si rose. En retrouvant la vraie vie, j’ai voulu commencer une formation pour devenir assistante médicale, dans le cadre d’une réorientation. J’ai débuté en février 2018, pleine d’espoir, mais je me suis vite heurtée à la lenteur de l’AI. Le médecin responsable a demandé jusqu’à quatre rapports médicaux sur mon cas. J’ai longuement attendu. A cause des vacances des personnes concernées et du temps pris à remplir ces rapports, l’école de soins que je visais a commencé sans moi, fin août. J’aurais dû l’entamer avec huit semaines de retard. J’ai préféré renoncer, alors que j’avais très envie de m’investir. Parfois, je me dis que ce temps perdu et la difficulté à me faire entendre ont été pires que mon amputation…
«Ma prothèse, c’est mes ailes»
Ce temps à disposition, je vais sans doute le mettre à profit pour créer une association pour les personnes amputées, qui n’existe pas encore. J’aime aller dans les écoles expliquer qu’un tel événement peut survenir et comment l’affronter.
Je suis quelqu’un qui relativise beaucoup. Ma prothèse, c’est mes ailes. Le plus dur, c’est de rester dans le positif, toujours. Les gens nous catégorisent volontiers comme si nous étions aigris et malchanceux. Mais non, je regarde aussi ce qui m’arrive comme un renouvellement.
Quelques phrases fortes me guident, comme: «Ne laissez jamais le regard des autres transpercer vos rêves et vous empêcher de faire ce que vous aimez.» Ou: «Je suis en paix, car je sais que la vie est toujours là pour me soutenir, m’aider et me réconforter.»
Collaboration Marc David