«Lorsque j’étais journaliste à L’Hebdo, entre 2011 et 2013, je m’intéressais énormément aux enjeux liés aux matières premières. A l’époque, Glencore, entreprise suisse qui figurait parmi les leaders mondiaux du négoce de matières premières comme l’or, le cuivre, le charbon ou les céréales, commençait à sortir de l’ombre en raison de son entrée en bourse en 2010. L’entreprise avait une réputation sulfureuse depuis sa création et j’avais envie d’aller voir dans quelles conditions étaient extraits les minerais avec lesquels elle travaillait. J’ai eu de la chance: le rédacteur en chef de l’époque m’a donné carte blanche en me disant:«Fais ce que tu veux mais reviens avec quelque chose de bien!» Je suis alors partie en 2012 en reportage entre la Zambie et la République démocratique du Congo (RDC) pour aller enquêter sur les conditions d’extraction dans les mines de cuivre liées, de près ou de loin, à Glencore.
Sur place, en RDC en l’occurrence, on ressent immédiatement les gigantesques enjeux économiques, politiques, de pouvoir en somme, qui rôdent autour de ce secteur. Enormément de gens vivent – misérablement – du travail dans les mines et tous connaissent Glencore, acteur incontournable sur ce marché. Avec l’aide du fixeur (journaliste local qui sert de guide lors de reportages tels que celui-ci, ndlr) avec qui je travaillais sur place et en multipliant les rencontres, j’ai pu entrer en contact avec des dizaines de mineurs pour récolter des témoignages.
Et d’un coup, ça a pris une tournure surréaliste. D’un jour à l’autre, de nombreux interlocuteurs ont refusé les uns après les autres de me rencontrer parce qu’ils faisaient l’objet de pressions. En parallèle, de plus en plus de gens commençaient à essayer de savoir qui j’étais, où j’étais, où je dormais… Le Congo est un pays absolument énorme mais tout d’un coup, ma présence était repérée au milieu de la province du Katanga! Le plus marquant a été quand j’ai reçu un téléphone de l’un des principaux responsables politiques en fonction à l’époque. Il m’a alors dit de renoncer à cette enquête, m’a affirmé qu’on ne pouvait pas croire ce que racontaient des mineurs et a même proposé de mettre un avion à ma disposition pour que je puisse le rejoindre et faire une interview de sa personne!
Finalement, le fixeur a estimé que ma sécurité sur place n’était pas assurée, alors il m’a cachée durant deux jours chez une fonctionnaire internationale de la région Et m’a recommandé de ne dire à personne où je me trouvais car, pour lui, la situation était trop risquée. On a ensuite attendu un peu que ça se tasse et je suis repartie plus loin, vers d’autres interlocuteurs.
C’était très impressionnant de sentir cette pression. Le métier de journaliste en Suisse n’est pas un métier facile, mais c’est un métier sûr. Là-bas, les conditions sont totalement différentes. Je pense que moi, je n’aurais pas risqué grand-chose mais, par contre, certains de mes interlocuteurs auraient pu être inquiétés pour de vrai. Les enjeux étaient colossaux et on parle d’un pays où la liberté d’expression n’existe pas et qui présente un Etat de droit très approximatif. C’était une réelle leçon de vie d’effleurer du doigt cette réalité tellement différente.
Dans mon quotidien, aujourd’hui, je suis très éloignée de cette expérience. Je reste par contre persuadée que le thème des matières premières est absolument essentiel et qu’on doit aller sur place, sur le terrain, pour savoir ce qu’il se passe réellement, et le documenter.»
La dernière publication de Linda Bourget
En collaboration avec Nathalie Christen et Simona Cereghetti, je suis partie à la rencontre de 21 femmes politiques suisses. Elles nous racontent les difficultés propres à leur statut de femme mais surtout la manière dont elles les ont surmontées. C’est un éclairage sans fard sur la réalité actuelle des femmes de pouvoir.»