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L’incroyable exploit de Silke Pan

Malgré la chute qui l’a privée de l’usage de ses jambes, l’ancienne trapéziste n’en finit pas de faire reculer les frontières du possible. Silke Pan vient de réaliser un exploit extraordinaire: l’ascension en handbike des principaux cols des Pyrénées en dix jours.

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C’est avec ce handbike et un pédalier à mains que Silke, ici à Ovronnaz, avale à la force de ses bras les cols de Suisse et de France. «J’aimerais participer aux jeux paralympiques». Blaise Kormann

«Est-ce que vous imaginez l’ampleur de l’exploit qu’elle a réalisé?» C’est Didier Dvorak, le mari de Silke Pan, qui parle. «Vingt-huit cols pyrénéens en dix jours à la seule force de ses bras, 800 km, 1800 m de dénivelé positif par jour, c’est comme si vous faisiez des abdos pendant quatre ans sans vous arrêter!»

C’est vrai, ce Raid pyrénéen qu’elle vient de terminer, c’est quelque chose d’incroyable, même pour un cycliste valide et aguerri. Silke Pan, cette ancienne contorsionniste devenue paraplégique à la suite d’un accident en 2007, nous l’avions déjà présentée dans ce magazine.

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A Aigle, Silke s’astreint à un entraînement intensif sous le regard de son coach, Romain Henneton.  Blaise Kormann

Une femme qui a pris l’habitude de conjuguer le verbe «se dépasser» à tous les temps et qu’il faut voir grimper ces cols, couchée sur son vélo avec ses deux bras qui tractent ses 45 kilos et son handbike, sans parler des descentes à une vitesse pouvant atteindre 80 km à l’heure. «Je dois attacher mes jambes car je peux avoir des contractions involontaires et elles se prennent dans les roues.» L’an passé, Silke et Didier, toujours derrière sa femme, avaient déjà franchi treize cols suisses. Un périple raconté à quatre mains dans un livre paru ce printemps*.


Sourire-thérapie

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Massages Antonio Pérez, masseur sportif à Aigle, traite la tendinite récurrente dans le biceps de cette athlète de haut niveau. Blaise Kormann


Silke, 45 ans, douceur d’un très joli visage qui sourit souvent parce qu’une artiste de cirque, même sur une chaise roulante, ça continue à sourire. «Le fait de devoir porter le masque du sourire est une excellente thérapie pour garder une attitude intérieure positive», soutient-elle. Et puis en contrepoint, la force de ce torse, de ces bras, de ce ventre où la moindre cellule de graisse a été bannie. Hypersportive comme on dirait hyperactive.

>> Voir le portrait vidéo de Silke Pan:

Sport

Silke Pan, debout malgré tout

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Il y a douze ans, Silke Pan, acrobate de talent, se sectionnait la moelle épinière et se brisait deux vertèbres en tombant lors d'un numéro sur son trapèze, la laissant paraplégique. Aujourd'hui, elle vise les Jeux paralympiques de Tokyo en 2020 et participe à la conception d'un exosquelette révolutionnaire avec l'EPFL. Portrait. Lauren von Beust

Auparavant, les jambes de Silke étaient des ailes de papillon capables de s’affranchir de l’attraction terrestre et de mettre des étoiles dans les yeux des spectateurs à force de voltiges ou contorsions défiant la souplesse moyenne. Aujourd’hui, participer à des courses de handbike dans toute l’Europe, rêver de représenter la Suisse aux Jeux paralympiques en 2020, c’est sa façon de se réapproprier sa vie. «La paraplégie m’a coupée en deux mais je ne voulais pas la laisser faire mourir la moitié de moi-même. J’ai juste envie de vivre doublement. Couchée sur mon handbike, je vois mon corps en entier et pas que la moitié, et au maximum de l’effort, je ressens les mêmes émotions que dans ma vie d’avant.»

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Silke a grimpé avec Didier 26 des 28 cols du Raid pyrénéen, suivie par un camping-car.


Deux vertèbres brisées

Un effort qui lui coûte. Depuis ce funeste 24 septembre 2007, la jeune femme souffre de douleurs neurogènes permanentes. «Ce jour-là, nous voulions ajouter quelques difficultés à un numéro de voltige, on venait d’être engagé par le parc Gardaland, c’était une vraie consécration pour nous.» Une demi-fraction de seconde, une prise de mains qui foire, la chute. Elle se réveillera quelques jours plus tard dans une chambre d’hôpital. «Je ne me souvenais de rien. J’ai pensé que j’étais dans un nouveau spectacle dont je ne me rappelais plus le nom. Puis j’ai entendu ma mère parler avec le médecin.»

Silke ne remarchera plus jamais. Dixième et onzième vertèbres dorsales fracturées. «Au début l’important pour moi, c’était de me battre pour ne pas avoir à supporter des sacs extérieurs pour l’intestin et la vessie.» Elle y parviendra à force de volonté. Discipline, courage, remettre inlassablement l’ouvrage sur le métier, autant de valeurs apprises dans l’univers du cirque. «Cette chaise ne sera pas ta planche à clous ni ton mur des Lamentations», lui assure Didier, lui qui, pour être encore plus présent à ses côtés, ira jusqu’à travailler à l’atelier des chaises roulantes du centre de paraplégie de Nottwil où Silke passera sept mois. Elle ne peut plus jouer les filles de l’air? Qu’à cela ne tienne, sur terre elle va tout déchirer! Dès qu’elle se lance dans la compétition paracycliste en 2012, elle glane tout de suite un titre de championne de Suisse. Les médailles d’or vont pleuvoir au fil des ans.

Vice-championne du monde de handbike avec son pays d’origine, l’Allemagne, en 2016. En 2017, elle gagne le Giro au sein d’une équipe italienne et est en passe de remporter l’édition 2018. Déçue par l’équipe allemande, Silke Pan veut désormais courir pour la Suisse, dont elle vient d’obtenir la nationalité. C’est le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann qui lui a d’ailleurs remis son passeport à l’EPFL le 17 mai dernier lors d’une petite cérémonie. «Il est venu spécialement de Berne pour moi, cela m’a touchée!» Car Silke est aussi «pilote d’essai» de Twiice, cet exosquelette mis au point par des chercheurs de l’institution lausannoise. Un assemblage complexe d’acier et de technologie de pointe qui lui permet temporairement de retrouver l’usage de ses deux jambes. «14 avril 2017, je marche debout au bras de mon mari! Vie trépidante qui m’aura vue marcher à quatre pattes dans les premiers mois, marcher sur les mains pendant vingt ans d’activité acrobatique, rouler sur une chaise pendant neuf ans et me réapproprier ma verticalité désormais», écrira-t-elle. Mais Twiice n’est encore qu’un prototype. Silke espère bien que ses efforts pour l’améliorer permettront de le commercialiser très prochainement. «Le meilleur moyen de se débarrasser de son ennemi, c’est d’en faire un ami», lui avait dit son mari en parlant de sa chaise roulante. «Aujourd’hui ce n’est pas encore une amie, mais j’ai appris à vivre avec!» assure-t-elle.

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Silke Pan participe au projet Twiice de l’EPFL. En 2017, elle remarchait pour la première fois grâce à cet exosquelette. Le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann s’était déplacé en personne pour lui apporter le passeport suisse qu’elle venait d… Remo Naegeli


«Mon ventre est une frontière»

Après l’accident, le couple a encore connu des années de galère. La bataille (gagnée) contre l’assurance qui refusait de payer le demi-million de frais médicaux, au prétexte qu’ils n’habitaient pas en Suisse. «On a vécu dans un container dans le jardin de ma mère», se souvient Didier en nous faisant découvrir les locaux de Canniballoon, l’entreprise de ballons en latex qu’ils ont créée à Aigle. Le courage de sa femme ne cessera jamais de le surprendre. «Quand elle était debout, j’étais plus grand qu’elle. Maintenant qu’elle est assise, elle me dépasse.» Du fait qu’elle ne sent plus ses jambes, «ses chiffons mouillés de forme allongée», comme elle les appelle, la moindre blessure peut être fatale à Silke. Un orteil qui avait commencé à se nécroser lui a valu une belle frayeur et quelques jours d’hôpital. «Si je me blesse à une jambe, c’est souvent dans mon ventre que la douleur se manifeste. Mon ventre est une sorte de frontière entre le valide et le non-valide!»

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Ils sont inséparables. Silke, Didier, son mari, et Jim, le chien formé pour l’assister en cas de chute. Blaise Kormann


C’est dit dans un sourire parce que même si elle grince des dents, Silke sourit, the show must go on! Pour la vie à venir, cette femme de 45 ans a décidé que rien ne l’empêcherait de se dépasser, encore et toujours, de se confronter à d’autres athlètes, d’exulter avec la partie de son corps qui vibre encore. A la fin des conférences qu’elle donne pour évoquer son parcours et l’aventure de l’exosquelette, elle finit souvent son discours par: «Ne baissez jamais la tête, ne courbez jamais le dos, ou alors une fois par jour: pour lacer vos chaussures! Désormais je veux à nouveau en user les semelles!» 

* «A la conquête de nouveaux sommets», Silke Pan et Didier Dvorak, Editions Favre.

Par Baumann Patrick publié le 15 août 2018 - 08:07, modifié 18 janvier 2021 - 21:03