«Je me suis interrogée sur le sens de la vie après le décès de mon père, à la fin de l’année passée. Il avait 102 ans, j’en ai 51: j’ai donc fait plus de la moitié», lance, non sans humour, la volubile et toujours élégante directrice générale du Beau-Rivage Palace, à Lausanne-Ouchy. Nathalie Seiler-Hayez a donc décidé de mettre un terme au contrat qui la lie depuis sept ans à l’un des plus beaux palaces d’Europe. Un hôtel de légende qui vient d’ailleurs d’être nommé «Hôtel de l’année» par le prestigieux guide GaultMillau.
Mais, on le sait bien, le plus beau des hôtels n’a aucune chance de survivre sans un capitaine pour le diriger. Et surtout pour révéler les talents qui le font vivre. Or le Beau-Rivage compte 450 collaborateurs à guider… Cette distinction est donc une consécration de plus pour celle qui, à 33 ans, dirigeait déjà un hôtel de charme proche des Champs-Elysées, au cœur de Paris.
En fait, la Genevoise Nathalie est tombée dans l’hôtellerie quand elle était petite. Son père avait lancé l’Hotel & Travel Index, un outil indispensable pour les agents de voyages avant l’arrivée d’internet. Il s’était rendu dans tous les pays du monde, sauf six! «En famille aussi, on a beaucoup voyagé, se souvient Nathalie, fille unique, éduquée à savoir compter sur elle-même. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le monde de l’hôtellerie et que j’ai eu envie de m’y lancer.» Alors elle s’est inscrite à l’Ecole hôtelière de Lausanne. A l’évidence, elle avait fait le bon choix.
Après Paris, Nathalie a traversé l’Atlantique pour se mesurer à l’univers ultra-compétitif de la grande hôtellerie new-yorkaise. Mais là, plus que le stress professionnel, c’est l’actualité qui la rattrape. En effet, elle a vécu en direct les traumatisants attentats du 11 septembre 2001, depuis le 40e étage d’une tour de Manhattan: «D’abord, je n’y ai pas cru. Naïve, en voyant le deuxième avion approcher des tours jumelles, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un canadair venu pour éteindre l’incendie. Puis, tout est allé si vite. C’était effroyable.»
Le soir, en rentrant chez elle, hébétée, elle répétait à haute voix dans la rue: «Je suis Suisse.» «En moi, la petite Nathalie a eu envie de rentrer au pays.»
Alors elle est revenue en Europe. De passage à Lausanne, elle a lancé une boutade au directeur du Beau-Rivage Palace de l’époque: «Si tu penses partir, appelle-moi.» Elle ne croyait pas si bien dire: quelque temps plus tard, il l’a appelée! Et depuis, le majestueux palace d’Ouchy vit au rythme de la dynamique Nathalie.
C’est elle qui a reçu Xi Jinping, John Kerry et Emmanuel Macron, notamment. De ce dernier, elle garde le souvenir touchant de l’époux qui lui a dit à son départ: «Je vous la confie, prenez bien soin d’elle» en parlant de sa femme, Brigitte, qui restait un jour de plus. Quant à l’homme d’Etat chinois, Nathalie regrette encore aujourd’hui que sa suite donnant sur le Léman ait dû être complètement obstruée par des panneaux devant les fenêtres pour des raisons de sécurité.
«C’est aussi ça qui rend l’hôtellerie passionnante: c’est un théâtre où l’on joue une nouvelle pièce chaque jour.» Quand elle ne s’occupe pas de diplomatie internationale ou de gestion quotidienne, Nathalie Seiler-Hayez continue à veiller à chaque détail: «Je dois être la garante du standing de la maison, donc aussi des plus petits éléments qui font la différence. Comme choisir une vaisselle dédiée pour chacune des suites.»
En fait, au travail comme en privé, Nathalie déborde d’énergie. Au point de parfois fatiguer son entourage. Un entourage qui ne la voit pas beaucoup, car une carrière dans l’hôtellerie implique aussi des sacrifices. Au niveau familial, notamment: «Heureusement, j’ai toujours pu compter sur mon mari, Sébastien, pour assurer le suivi avec nos enfants, Victor et Manon, quand je ne pouvais pas être là. Mais à 16 et 13 ans, ils ont encore besoin de leurs parents, donc aussi de leur mère. Aujourd’hui, plus que jamais, ils sont l’une de mes priorités.»
Nathalie Seiler-Hayez est aussi sportive. On la croise en montagne sur son VTT ou en plein jogging sur le quai d’Ouchy: «Je fais du sport depuis toujours, pour mon physique comme pour mon mental. Cela me permet d’évacuer le stress et de compenser… car je suis gourmande!»
Après une première moitié de vie aussi «fabuleuse», comme elle la qualifie elle-même, quelle peut être la suite de la fulgurante carrière de Nathalie Seiler-Hayez? Tout en restant discrète, elle se voit plutôt dans la stratégie hôtelière: «En tout cas pas à la direction d’un hôtel. Le Beau-Rivage a toujours été mon rêve, le voilà réalisé. Je suis donc une aubergiste et mère de famille comblée», lance-t-elle. A ses yeux, il est donc temps de passer le flambeau: «D’autant plus que, depuis cinq ans, j’ai à mes côtés Benjamin Chemoul, le successeur idéal.»