Mike Horn arpente les étendues sauvages, Colomb a découvert l’Amérique, lui parcourt les confins de la conscience au même titre que ces deux explorateurs. Mais ce grand brun a beau avoir un physique taillé pour le mouvement, c’est en restant sur place qu’il découvre de nouveaux horizons. Nicolas Fraisse est un habitué des OBE (out-of-body experiences), un phénomène de «décorporation» que l’on peut rapprocher des fameuses NDE, ces sorties du corps à l’approche de la mort.
Sortir de son corps est d’ailleurs devenu presque aussi naturel pour ce trentenaire que respirer ou dormir. «Je croyais que tout le monde avait cette capacité», sourit-il. Gosse, il allait vérifier le menu de la cantine pour ses copains ou décrivait à l’un d’entre eux son anniversaire auquel il n’avait pu participer, content encore de constater en rentrant de l’école que son père avait bien réparé le mur du jardin comme il l’avait vu durant son OBE. «Autant de preuves que je n’étais pas sujet à des hallucinations», précise-t-il lors de notre rencontre à Genève. Aujourd’hui, ses proches en profitent un peu: contrôler à l’avance que le resto n’est pas bondé, retrouver un portable égaré... Lui-même en fait un usage très pratique dans sa profession d’infirmier: «Je n’ai pas besoin de me rendre dans les chambres des patients pour savoir si tout va bien!»
Voyage dans le cosmos
Vous l’avez peut-être vu chez Thierry Ardisson en compagnie de Sylvie Dethiollaz et de Claude Charles Fourrier, deux chercheurs genevois qui viennent de lui consacrer un livre*. Dix ans que cette docteur en biologie moléculaire et ce psychothérapeute se penchent sur ses extraordinaires capacités. Même si, à l’Institut suisse des sciences noétiques (Issnoé), c’est leur quotidien de rencontrer des personnes dotées de dons hors du commun. Avec Nicolas, c’était encore différent: «Ce qui nous a tout de suite plu, c’est son côté très rationnel. Il se remet en question en permanence. Très peu de nos sujets ont autant de capacités et la faculté de bien les vivre! Sans oublier l’humour.»
Sa grand-mère avait des dons similaires mais, à la maison, le sujet était un peu tabou, raconte Nicolas. «Tout comme mon homosexualité.» Sa rencontre avec Sylvie et Claude Charles, devenus des amis, lui a permis de mieux comprendre et surtout d’utiliser ses pouvoirs. Qui sont allés en grandissant, jusqu’à atteindre des décorporations qui semblent du domaine de la science-fiction. Comme cet épisode où Nicolas intègre le corps d’un inconnu, d’un animal ou d’un végétal, ses «sorties» dans le cosmos, sa rencontre avec une entité lumineuse qu’il se refuse à appeler Dieu: «Certains évoquent des guides, des anges, d’autres me disent que je suis un chaman, mais je ne veux pas me laisser contenir dans une interprétation, j’aurais l’impression de me limiter, de m’enfermer.»
Etre enfermé, c’est ce qu’il ressent lorsqu’il réintègre son corps perçu alors «comme une prison». Lorsqu’il se décorpore, il n’a d’ailleurs plus la sensation d’avoir un corps ni la moindre influence sur la matière, les scènes sont comme agrandies.
En 2012, lors d’un 36.9°, les journalistes de la RTS l’ont testé à son insu, lui demandant de se rendre dans une boulangerie repérée à l’avance où ils avaient placé un observateur. Nicolas a décrit le nombre de clients, divers détails allant jusqu’aux boucles d’oreilles de la vendeuse. Aujourd’hui, le Lyonnais se refuse à ce genre de démonstration pour les médias. «Je ne suis pas une bête de foire.» Et puis il faut que certaines conditions psychologiques soient réalisées pour que ça marche, notent ses deux mentors. Sylvie Dethiollaz et Claude Charles Fourrier peuvent en témoigner à travers les nombreux tests auxquels Nicolas a accepté de se soumettre, une fois par mois, pendant près de dix ans.
Un exemple: dans une pièce fermée à clé sous contrôle d’huissier, une image est projetée. Nicolas devra se décorporer pour en prendre connaissance. On lui présente ensuite une série de 20 images dans laquelle il doit reconnaître l’image de la pièce voisine. Mathématiquement, le candidat a 5% de chances de tomber juste par hasard. C’est un sans-faute pour Nicolas, qui possède également un don de médium. Testé sur cette dernière capacité, en 2013, toujours sous contrôle d’huissier, il récolte 79 bonnes réponses sur 100. «La probabilité que le hasard en soit à l’origine était de 1 sur 69 milliards de milliards de milliards», relève la chercheuse genevoise. Des résultats qui ont interpellé Jacques Neirynck, professeur honoraire à l’EPFL, présent lors d’un test. «Tout ce que je peux vous dire, nous confiera-t-il au téléphone, c’est qu’il s’agit pour moi d’un phénomène totalement inexplicable.»
OBE pour tous
«Tout l’édifice des neurosciences est bâti sur le dogme affirmant que la conscience est produite par le cerveau. Accepter de reconnaître qu’elle peut se délocaliser, c’est faire voler en éclats ce dogme et cela remet en cause toute notre conception de l’humain, de la vie, de la mort…» Sylvie Dethiollaz, qui a abandonné ses premières amours en biologie moléculaire pour les phénomènes d’états modifiés de conscience, reconnaît qu’il est bien difficile de s’affranchir de ce paradigme dominant: «Les physiciens ou les théoriciens de l’atome sont plus ouverts à nos démarches, ils ont souvent plus d’humilité et moins de certitudes.»
Nicolas est persuadé que nous sommes tous capables de faire des OBE. «Pour la plupart des gens, c’est le mental qui bloque!» assure-t-il. Un constat partagé par Louis Nahum, l’un des deux neuropsychologues qui ont pratiqué des électroencéphalogrammes sur lui. Démontrant que certaines parties de son cerveau étaient «déconnectées» durant une OBE. Le scientifique, qui a longtemps travaillé aux HUG, est persuadé que, d’ici à quelques années, l’indépendance de la conscience par rapport au cerveau sera scientifiquement démontrable. «La prochaine étape serait de pouvoir mesurer si sa conscience, lors d’une OBE, génère un éventuel champ magnétique.» A noter que Nicolas maigrit de 45 grammes durant ses balades hors de son corps. Le poids de la conscience, de l’âme? s’interrogent les chercheurs dans leur livre.
Bien sûr, ce don a bouleversé sa vision du monde. «Je ne peux plus traiter un malade de la même façon sachant que sa conscience est indépendante de son corps.» Lui, il quitte son corps dès qu’il s’ennuie dans une conversation. «Tout à coup il n’est plus là, note Claude Charles Fourrier. S’il fait une véritable OBE, il est comme une coquille vide en face de nous. Par contre, il est capable aussi de simple visualisation à distance, dans ce cas il peut continuer normalement ce qu’il fait.»
La tête de sa collègue quand, pendant ses vacances, Nicolas l’appelle pour lui dire de poster la lettre urgente sur le bureau qu’elle a oublié d’envoyer! Un don à double tranchant. Surprendre son petit ami en plein adultère n’est pas l’expérience la plus enthousiasmante qui soit. Surtout quand on reste un spectateur invisible.
Nicolas nous l’assure la main sur le cœur: il s’impose un vrai code de conduite. «Je ne supporterais pas de faire aux autres ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse.» Non, il ne se décorpore ni dans les douches ni dans les chambres à coucher de ses voisins.
Utilité militaire
Longtemps, Nicolas Fraisse a souhaité demeurer incognito. S’il accepte aujourd’hui cette soudaine notoriété, qui lui vaut des milliers d’abonnés sur Facebook, c’est pour endosser en quelque sorte le rôle de porte-parole de tous ceux qui possèdent des capacités paranormales mais n’ont peut-être pas la solidité psychique ni le modus operandi pour vivre avec. Sur le plateau de Salut les Terriens!, Laurent Baffie lui a demandé si des services secrets l’avaient déjà contacté. Utilisés à des fins militaires, il est vrai que ses pouvoirs lui assureraient un statut d’agent très, très spécial.
«Si j’étais approché par la DGSE, je n’irais pas le crier sur les toits. Mais je n’ai aucune envie de travailler pour une quelconque puissance.» Ni pour la police. Ne comptez pas sur lui pour résoudre les grandes énigmes du siècle.
Nicolas Fraisse peut quitter son corps mais garde malgré tout les pieds sur terre. Il n’a pas envie de finir comme un rat de laboratoire que les facultés de neurobiologie se disputeraient, même s’il espère que la science finira bientôt par admettre qu’il n’est pas à ranger dans la case «cerveau dérangé». On prend congé de lui en se demandant tout de même si ce joyeux luron ne va pas venir se pencher à notre insu sur notre épaule lorsque nous serons en train d’écrire cet article.
«Voyage aux confins de la conscience», Editions Guy Trédaniel.