Guillaume Tell habite notre imaginaire collectif. Un solide montagnard, l’arbalète en bandoulière. Sniper et résistant. Au XIVe siècle, pour avoir refusé de s’incliner devant le chapeau du bailli Gessler dressé sur une pique à Altdorf (UR), dit la légende, il fut contraint par ce dernier de tirer une flèche sur une pomme placée sur la tête de son fils. Tell fit mouche, mais fut arrêté, s’évada et se vengea avant de rejoindre au Grütli les conjurés d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald et d’y faire le serment de rester unis contre l’empire des Habsbourg.
Un mythe fondateur pour notre pays. Un propos universel. Guillaume Tell a-t-il vécu? Pas sûr. Il a en revanche fait la couverture du tout premier numéro de «L’illustré», sorti en septembre 1921.
Pour la plupart d’entre nous, c’est le gars sur notre pièce de 5 francs, barbe épaisse et cheveux frisés. Interprétation erronée. Sur la thune, apparue en 1922, le sculpteur Paul Burkhard a voulu représenter un berger alpin anonyme… mais l’ancien billet de 5 francs que la pièce de monnaie a remplacé était, lui, à l’effigie de Tell. D’où la confusion.
Ambitieuse co-production
Le symbole a souvent été utilisé pour vanter notre indépendance. Bizarrement pourtant, le cinéma s’en est rarement emparé. La dernière fois, c’était en 1960 dans «Guillaume Tell (Les châteaux en flammes)», production suisse au budget – faramineux pour l’époque – de 3,5 millions de francs qui laissera un monceau de dettes.
Le propos, on l’a dit, est universel. Un brin d’heroic fantasy, un héros attachant et protecteur, épris de liberté, cela résonne partout. Encore fallait-il qu’un cinéaste inspiré, doté des moyens de ses ambitions, prenne la main. Le Nord-Irlandais Nick Hamm, frère aîné de l’acteur Jon Hamm (star de la série «Mad Men»), sera celui-là.
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Intitulé sobrement «William Tell», son ambitieux projet a réuni des capitaux britanniques, italiens et suisses. L’essentiel du film a été tourné en Italie, notamment dans le Sud-Tyrol.
Le récit s’appuie sur la pièce «Guillaume Tell» de l’écrivain allemand Friedrich (von) Schiller – sa toute dernière –, montée le 17 mars 1804. Le pitch? Au XIVe siècle, le Saint Empire romain germanique décline. Le pacifique Guillaume Tell, ancien chasseur, se retrouve contraint d’agir quand sa famille et son pays sont menacés par l’empereur d’Autriche et ses impitoyables seigneurs de guerre. Le bailli Gessler (qui n’a jamais existé) fait face à une rébellion. Une version alpine de «Braveheart». Sans cornemuse.
Le charisme danois
Pour incarner Guillaume Tell, il fallait une gueule. Claes Bang, acteur danois de 57 ans, révélation de l’épatant «The Square» (couronné de la Palme d’or à Cannes en 2017), fait très bien l’affaire.
Diplômé tardivement de l’Ecole nationale danoise des arts du spectacle, à 29 ans, il fait partie de ces acteurs danois courtisés à Hollywood. On songe à Viggo Mortensen, le roi Aragorn du «Seigneur des anneaux», à Mads Mikkelsen aussi, alias Le Chiffre dans «Casino Royale» (2006). L’allusion à James Bond n’est pas fortuite: Claes Bang aurait été envisagé pour succéder à Daniel Craig. A la télé, le Danois s’est distingué dans la série Apple TV+ «Bad Sisters» et dans «Dracula», minisérie de la BBC diffusée en 2020.
«Je ne suis pas un acteur de méthode, explique-t-il dans «Variety». J’aime me considérer comme un instrument, comme un piano dont on peut jouer, mais je peux me montrer obstiné. Je ne suis donc pas un instrument neutre, même si j’y travaille.» Sa référence absolue au cinéma? Richard Burton, enterré à Céligny (GE). «Il a cette qualité insensée d’avoir en lui le côté indomptable d’un animal sauvage et en même temps une fragilité à fleur de peau. C’est mon idole.»
Autour de lui, on retrouve Ben Kingsley, Jonathan Pryce, Golshifteh Farahani et Emily Beecham, prix d’interprétation à Cannes pour «Little Joe» en 2019. Casting royal.
«L’histoire de Tell a une pertinence et une immédiateté étonnamment contemporaines, relève le réalisateur Nick Hamm. La scène de la pomme captive l’imagination du monde entier, pourtant elle n’a jamais été dramatisée dans le cinéma moderne.» Anomalie rectifiée.
Ce qui étonne, c’est le lien qui relie le Tell de Schiller à la Scandinavie. Sur le site du Musée national suisse, l’historien Benedikt Meyer explique: «Les thèmes de la lutte pour la liberté et de l’assassinat du tyran renvoient à la Révolution française et aux guerres napoléoniennes, mais Schiller s’est aussi inspiré de la vengeance d’un archer norvégien transposée dans les vallées de Suisse centrale.» Qu’un acteur nordique hérite du rôle de Guillaume Tell, cela fait donc pleinement sens.