On joint la championne de 23 ans un dimanche après-midi à Tbilissi, alors qu’elle s’apprête à rentrer en Suisse. Elle se réveille d’une sieste réparatrice, elle qui vient de vivre une des semaines les plus inouïes de sa carrière, avec en raccourci tout ce qui fait le sel du ski freestyle, ce sport où le plaisir et la gestion du risque voisinent. La preuve: le mardi 28 février, lors du slopestyle, la championne olympique de Pékin devient pour la première fois championne du monde, à la faveur d’un premier run de rêve, en plein soleil. Quatre jours plus tard, dans le vent et la neige géorgienne, elle préfère renoncer à s’aligner à la finale du Big Air, pour laquelle elle s’était qualifiée. Une décision courageuse, rare à ce niveau, qu’elle explique avec sensibilité.
- Une athlète qui refuse de courir, ce n’est pas fréquent...
- Mathilde Gremaud: C’est vrai que c’est assez bizarre, ce n’est pas un truc très cool, ni une fierté. Il faut comprendre que, hormis les qualifications et la finale du slopestyle, toute la semaine a été éprouvante au niveau de la météo, avec du vent, de la pluie. Cela dit, c’est pour tout le monde la même chose et cela ne m’a pas forcément énervée. J’étais même contente d’avoir réussi à rester calme, à me dire que ce n’était pas si grave.
- Alors?
- Avant la course, j’ai eu un super mauvais sentiment, une sorte de trop-plein. Cela m’est déjà arrivé à l’entraînement, je me disais alors que ce n’était pas ma journée et j’allais descendre quelques pistes. En compétition, de telles pensées ne m’arrivent normalement pas. Or, là, je me suis sentie en danger, je n’ai pas eu envie de me blesser, je ne voyais pas d’issue positive. Inconsciemment, je me suis peut-être aussi relâchée après la victoire en slopestyle. Cela dit, sur l’entier des compétiteurs, filles et garçons, il arrive toujours à deux ou trois d’entre nous de ne pas prendre le départ, pour des raisons similaires. Cela reflète notre sport. Le plus dur, dans cette décision, c’est de s’accepter soi-même. Il faut aussi donner des explications, certains réagissent moins bien que d’autres...
- Cela ne met rien en cause?
- Pour moi, c’est déjà oublié. Cela ne change rien au plaisir que j’ai à skier. La plus grosse baisse de motivation, je l’ai ressentie l’été dernier, après les Jeux de Pékin. Je n’ai jamais été jusqu’à me demander si je voulais arrêter la compétition, mais j’ai tout de même fait l’impasse sur une épreuve, en Autriche. La suite de la saison s’est ensuite très bien passée. Cette journée du Big Air est la seule où j’ai ressenti cela.
- Comment avez-vous vécu votre premier titre mondial, quelques jours plus tôt?
- J’ai été hyper-contente! D’abord parce que la météo était dure et que j’ai réagi sans me braquer, en prenant un jour après l’autre. Mais j’ai surtout apprécié un autre aspect.
- Lequel?
- Dans notre sport, où tout le monde se connaît et se soutient, on se réjouit toujours pour le vainqueur. Mais là, c’était spécial: j’ai reçu plein de compliments pour mon ski. J’ai l’impression que je n’ai jamais eu autant de partages. «C’était trop stylé, trop bien, clean!» Je n’ai entendu que cela, même de la part de gens plus réservés, qui ne m’ont jamais félicitée de cette manière.
- En quoi cela vous touche-t-il autant?
- Même si gagner est important, je ressens plus d’émotion par rapport à mon ski. Montrer le run que je veux, sans compromis, avoir une idée et la réaliser avec des challenges, voilà ce que j’aime.
- Que reste-t-il de la jeune fille qui partait en ski sauvage à La Berra?
- C’est ainsi que je suis parvenue aussi loin. Il m’est parfois arrivé de me perdre, de trop penser à la pression, aux attentes. J’ai alors dû me dire non, faire abstraction de tout ce que la compétition engendre et revenir aux sources, aux raisons pour lesquelles j’ai choisi ce sport. Le plaisir et l’envie, c’est la cause de tout, c’est grâce à eux que cela marche pour moi.