- Que bouger soit bon pour sa santé, ce n’est pas nouveau…
- Bengt Kayser: Non. Hippocrate le disait déjà. Son message était: «Si tu n’utilises pas ton corps, il ne fonctionnera pas correctement et vieillira précocement.» Aujourd’hui, les études confirment ce constat ancien. Le manque d’activité physique est une des premières causes de décès prématurés dans le monde, comme sont pudiquement appelées les morts qu’une bonne hygiène de vie aurait pu éviter. On estime que la sédentarité prolongée est responsable de 10% de cette mortalité, ce qui représente plus de 5 millions de décès prématurés. C’est beaucoup, d’autant plus qu’on découvre tous les jours de nouveaux bienfaits liés au mouvement.
- Bouger ne veut pas dire faire du sport?
- On confond souvent. Pas besoin de faire du sport pour rester en forme, il suffit de bouger. Cela permet de maintenir un bon «fitness physique», qui correspond à la capacité de chacun de faire un effort d’une intensité progressive jusqu’à sa propre limite. Plus cette limite est élevée, meilleure est sa forme. Ce «fitness» se quantifie avec une unité au nom un peu barbare, le «métabolisme de repos» (MET). Un MET équivaut à ne rien faire. Avec une capacité de 10 MET, une personne peut courir un semi-marathon en deux heures. En mesurant le multiple de MET qu’une personne peut développer, avec un test d’effort, nous arrivons à expliquer de nombreux paramètres de mortalité précoce. Chaque MET de plus diminue le risque de mortalité précoce de 10%.
- En Suisse, l’activité physique est plutôt répandue, non?
- Les Suisses ne sont pas si mauvais, effectivement. Mais leur forme n’est pas non plus exceptionnelle. On estime que 25% environ de la population ne pratique pas assez d’activité physique, avec une petite partie qui reste vraiment très sédentaire. Il semble toutefois que la tendance soit à l’augmentation de l’activité physique et sportive. Le phénomène est peut-être lié à une meilleure culture générale en santé. Et ce qui est intéressant, c’est qu’il semble que les populations dites à risque en fassent justement un petit peu plus.
- Ces chiffres sont-ils vraiment fiables?
- La mesure est complexe. Classiquement, on se base sur des études dans lesquelles on demande: combien de minutes marchez-vous par jour? La réponse est souvent inexacte et contient beaucoup de facteurs qui n’ont rien à voir avec l’activité physique. Idéalement, il faudrait quantifier l’activité physique au quotidien, par exemple avec un bracelet spécial, ou mieux encore faire venir les personnes dans un centre et puis leur faire passer un test d’effort pour mesurer ces fameux MET.
- Comment expliquer que beaucoup de gens savent que bouger est bon pour la santé et pourtant ne font rien?
- Il n’y a pas d’explications causales simples. Ce n’est pas binaire: je sais qu’il faut faire A, alors je fais A. Certaines personnes sont capables de décider et de mettre en œuvre un changement de comportement. Mais c’est plutôt rare. Surtout chez l’adulte, parce que nous sommes des automates. Quand on prend une habitude, c’est très difficile de changer.
- Impossible d’améliorer les comportements, alors?
- Non, pas du tout. Il ne faut pas voir la personne comme une entité isolée et seule. Elle se trouve dans un environnement social et physique. Or, tout ce qui entoure un individu l’influence sans qu’il s’en aperçoive nécessairement. Une personne peut être consciente de l’importance de l’activité physique mais être influencée par un contexte qui ne dépend pas d’elle et qui, inconsciemment, l’éloigne de comportements qui sont bons pour sa santé, comme bouger.
- Un exemple concret?
- Les escaliers. Des recherches ont maintenant très bien montré ce qui se passe quand on a accès en même temps aux escaliers et aux escalators, comme c’est le cas dans les gares. Si on juxtapose les escaliers et les escalators, la majorité des personnes choisiront l’escalator et une minorité prendra l’escalier. Par contre, lorsque les architectes placent les escalators au second plan et rendent les escaliers agréables et faciles d’accès, alors beaucoup plus de gens prennent l’escalier! C’est un exemple parmi tant d’autres qui montre que l’espace urbain peut profondément influencer les comportements, notamment en matière d’exercice physique.
- Ce qu’il faut, ce sont des changements au niveau structurel?
- Oui. Il ne suffit pas de jouer uniquement sur les comportements individuels. Bien sûr, le médecin traitant peut donner des conseils et inscrire les gens dans des programmes d’activité physique spécifique. C’est bien entendu très important. La culture sanitaire de la population peut devenir une valeur qu’on porte en tant que collectivité. Comme se brosser les dents. Mais il reste très important de rendre concrètement possible l’activité physique. L’environnement construit est un déterminant très fort pour encourager le mouvement au quotidien.
- Certains pays sont des modèles, comme les Pays-Bas…
- On dit toujours que la population hollandaise fait du vélo parce que le pays est plat et que le climat est tempéré. Eh bien non, c’est faux. Il y a eu un grand mouvement dans les années 1970 où la société civile a lutté contre l’arrivée massive de la voiture. L’argumentaire: il fallait arrêter de tuer les enfants sur les routes et lutter contre le slogan «à chaque famille sa voiture». Les Pays-Bas, en tant que société, ont agi et le résultat a été une transformation profonde de l’espace urbain qui a induit cette très grande utilisation du vélo comme moyen de déplacement. Cela a pris des dizaines d’années. Mais le résultat est là: l’environnement urbain est très en faveur de la locomotion active comme le vélo et la marche. Corollaire: le degré d’inactivité est parmi les plus bas du monde dans cette région. Le taux d’obésité est également plus bas. Pour motiver les gens à bouger et les habituer à l’exercice physique, il faut donc ensemble imaginer un environnement urbain qui soit en meilleure adéquation avec nos besoins biologiques.
* michael.balavoine@planetesante.ch
Rédigé en collaboration avec Planète Santé
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