«La première fois que je suis allé en Syrie, j’ai suivi aveuglément mon pote Michel, qui connaissait déjà, raconte Pitch Comment attablé aux Deux-Clefs, ce café de Porrentruy qui fut son «bureau» lorsqu’il se lança dans le dessin politique en 2006, à 36 ans. C’était en 2009. D’un naturel plutôt trouillard, j’avais alors tendance à privilégier l’ouest sur les destinations exotiques… Grâce à Michel, l’espace d’une dizaine de jours à Pâques, j’ai pu découvrir Damas sans filtre.
Les Syriens portent la moustache et froncent les sourcils. J’étais peu rassuré. En réalité, tu ne risques rien. Un «Salam aleykoum» bien senti et l’on t’invite à boire le thé. Au début, j’en ai tellement bu que je ne dormais plus! Si tu fais le premier pas, les gens s’ouvrent. Ils ne sont pas invasifs. Visuellement, j’ai été frappé par l’aspect bringuebalant des choses à Damas, les poteaux électriques où les fils pendouillent de partout. La cuisine? Délicieuse, avec ses mezzés super frais, beaucoup de légumes, de l’agneau bien sûr. C’est très sain.
C’était déjà Bachar aux commandes. On ne parlait pas politique. Ce qui m’a impressionné, c’est la générosité des gens. J’en étais parfois mal à l’aise. J’ai peu dessiné durant ce premier séjour, mais j’ai dû prendre 3000 photos!
En rentrant en Suisse, j’ai aussitôt voulu y retourner avec ma compagne, ce qu’on a fait l’année d’après. Mahmoud, le meilleur ami de Michel, est Kurde et parle français.
Après le second voyage, j’espérais y retourner à mon rythme, mais en 2011, la guerre a éclaté. Pour des millions de Syriens, l’exil a commencé. J’ai suivi tout cela de près, y compris la montée de l’intolérance dans les discours en Suisse.
En 2015 ou 2016, ma mère, qui montait une expo à Soyhières (JU), m’encourage à exploiter le matériel ramené de Damas. Quand je voyage, soir après soir, je remplis des carnets. C’est comme un journal: l’antidote idéal à ma mémoire de merde! Exposer ces travaux, ça m’a fait du bien. En 2017, avec le soutien de Delémont’BD, j’ai pu publier un petit album intitulé Souvenirs de Damas.
A peu près à la même période, Barrigue me propose de l’accompagner dans des camps de réfugiés en Grèce, au nord de Thessalonique. Il voulait dessiner pour ces gens. On y est resté quatre jours. Une baffe monumentale. Là-bas, j’ai compris qu’il s’agissait de familles entières qui avaient dû fuir parce que leur pays s’était embrasé. Des gens comme nous. On y est ensuite retourné, puis on s’est intéressé aux exilés syriens en Suisse. J’ai rencontré des gens formidables. L’un d’entre eux a même ouvert un resto, Le Damasson, à Porrentruy!
Désormais, j’ai une vision d’ensemble de la tragédie syrienne. J’aimerais raconter les gens que j’ai rencontrés dans les camps. J’y travaille depuis cinq ans. J’ai déjà 80 planches, mais c’est loin d’être fini…
Ces expériences, prolongées ensuite en Israël, en Palestine et dans la bande de Gaza, m’ont ouvert les yeux. Le discours politique qui résonne ici, avec ses raccourcis sur le terrorisme, je n’en peux plus. On a oublié ce que représente la guerre. On ne mesure pas assez notre chance.»
La prochaine intégrale de Pitch Comment
En attendant la série télévisée, qui mobilise déjà la RTS et le scénariste jurassien Camille Rebetez, la BD Les indociles, saga familiale se déroulant dans le Jura de la fin des années 1960 à nos jours, sortira en 2022 sous forme d’intégrale revue et augmentée aux Enfants Rouges Editions.