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Société

Les sprinters des LETTRES

Bulle accueille jusqu’au 22 juillet les 51es Championnats du monde de Scrabble francophone. Quelque 600 joueurs s’affrontent, dont une centaine de Romands. Rencontre avec cinq jongleurs de mots, de 20 à 96 ans!

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Benoît Delafontaine, Christiane Aymon, Elise Raphael, Enzo Yerly et Gertrude Berset participeront aux 51es Championnats du monde de Scrabble francophone qui se dérouleront à Bulle du 13 au 22 juillet.

Benoît Delafontaine, Christiane Aymon, Elise Raphael, Enzo Yerly et Gertrude Berset participeront aux 51es Championnats du monde de Scrabble francophone qui se dérouleront à Bulle du 13 au 22 juillet.

Julie de Tribolet

C’est un architecte new-yorkais, Alfred Mosher Butts, qui a conçu le Scrabble en 1931 pour occuper son temps libre alors que la crise économique l’avait contraint au chômage. Un jeu qui deviendra très vite populaire, même s’il faudra attendre le début des années 1950 pour le voir séduire l’Europe, et notamment la France, grâce au Club Méditerranée qui va l’inscrire au programme de ses activités pour vacanciers. Depuis, le Scrabble, comme le Monopoly, fait partie des jeux iconiques qui rassemblent familles et amis devant un autre objet que le poste de télévision.

Le principe reste toujours le même, que l’on joue en élite ou en simple amateur non licencié. Un plateau de jeu constitué d’une grille carrée de 15 sur 15, soit 225 cases en tout, dont certaines colorées, dites cases multiplicatrices, valorisent le mot ou la lettre qui les recouvrent en multipliant sa valeur par deux ou par trois. Et chacun de se triturer les méninges pour obtenir le top, en jargon de joueur, soit le mot qui totalisera le plus de points. Dans les compétitions, les joueurs peuvent choisir entre la catégorie Classique, deux compétiteurs et un tirage aléatoire pour chacun, comme dans le jeu traditionnel, et le Duplicate, un seul tirage pour tous les joueurs qui jouent les uns contre les autres. C’est cette dernière catégorie qui rassemble le plus de monde dans les tournois car elle ne doit rien à la chance! Le joueur dispose en général de trois minutes pour jouer son coup mais, dans les parties dites «Blitz», ce temps est réduit d’une minute. Et ça fait «chauffer le crâne», comme le dit une participante. Bon à savoir, la Fédération suisse de Scrabble est présente dans les six cantons romands avec 28 clubs.

C’est le Charmeysan Francis Antoine Niquille qui organise pour la troisième fois ces Championnats du monde en terre romande. Lui-même passionné de Scrabble (il a d’ailleurs rencontré son épouse grâce au jeu), il promet une cuvée 2023 riche en rebondissements. Parmi les favoris au titre de champion du monde figure le Vaudois Etienne Budry, conducteur de locomotive. Normal, au fond, quand il faut penser et calculer à la vitesse d’un TGV!

«Je suis le Wawrinka du Scrabble» 

Benoît Delafontaine, 38 ans, club de la Blécherette, Lausanne (VD)
Benoît Delafontaine, passionné de Scrabble

Benoît Delafontaine est prof de français. Il a été champion du monde de Scrabble en 2013, 2014 et 2015.

Julie de Tribolet

Il se classe parmi les 25 meilleurs du monde et compte bien ne pas rétrograder durant ces Championnats du monde. Ce prof de français cultive depuis longtemps l’amour des mots, de la culture, allié à un esprit cartésien indispensable pour tirer son épingle du jeu. Ce féru de dictée (il en a animé plusieurs en Romandie) avoue s’entraîner un peu moins qu’avant, même si le Scrabble, «c’est comme le vélo, on n’oublie pas ses réflexes»!

Dans la famille Delafontaine, il faut demander Benoît et Hugo. Les deux frères jouent au plus haut niveau depuis des années mais l’aîné, Benoît, reconnaît avec fair-play et humour courir après son cadet (qui a figuré à la cinquième place au classement international) depuis une vingtaine d’années. «Je suis le Wawrinka du Scrabble», sourit-il. Dans ce jeu de lettres comme au tennis, d’ailleurs, on joue en paire et Benoît a connu ses plus grands succès avec Franck Maniquant, un Français avec qui il a été champion du monde en 2013, 2014 et 2015.

La bible des joueurs de Scrabble est L’Officiel du Scrabble (ODS). Si un mot est dans le Larousse ou le Robert mais pas dans l’ODS, aucune chance d’être retenu, nous explique encore le Vaudois. Certains mots font leur apparition, d’autres disparaissent sans qu’on en comprenne toujours la logique. Comme le terme Suissesse, rayé des listes. Il y a une certaine fascination à écouter Benoît. Qui «anagramme» comme il respire. Il lui faut moins d’une seconde pour voir aspirine dans parisien!


«Il faut être plus vénal que poétique»

Christiane Aymon, 65 ans, club de Vouvry (VS)
Christiane Aymon, passionnée de Scrabble

Christiane Aymon a été quatre fois championne suisse de scrabble.

Julie de Tribolet

On la surnomme la prima donna du Scrabble. Quatre fois championne suisse, une participation à presque tous les Championnats du monde avec une 12e place au Québec en 1992. C’est dire si elle a de la bouteille, et avec les lettres de ce mot elle est capable de vous en produire une centaine d’autres. «J’aime le jeu, l’adrénaline, c’est aussi un combat contre soi-même!» L’habitante de Lavey s’alignera à Bulle en Duplicate, préférant un tirage identique pour tous où la chance n’entre pas en ligne de compte. «On ne peut s’en prendre qu’à soi-même si on perd des points.» Une féroce compétitrice que cette ancienne assistante administrative, dont le visage est d’ailleurs familier des téléspectateurs des émissions comme «Télé la question» ou «C’est ma question» de la RTS. Elle a même gagné 30 fois à l’une d’elles.

Christiane se souvient de ses premiers pas au Scrabble, à 25 ans, quand on débute en apprenant par cœur les mots à deux lettres comme wu, ka, ay, ra. L’époque où elle se plongeait à 3 heures du matin dans le dictionnaire pour vérifier ceux qui lui trottaient dans la tête. C’est aussi grâce au Scrabble qu’elle a rencontré celui qui deviendra son mari. Elle sourit. «C’est un jeu où il faut être plus vénal que poétique, combiner les lettres et les placer là où ça rapporte le plus.» Au club de Vouvry, elle aime faire profiter les plus inexpérimentés de son sens du jeu. Elle incite d’ailleurs tout le monde à pousser la porte d’un club de Scrabble. «Osez, vous verrez, c’est épatant!


«On doit trouver en quelques secondes les combinaisons»

Elise Raphael, 33 ans, club de Malagnou (GE)
Elise Raphael, passionnée de Scrabble

Elise Raphael a aligné compétitions, trophées et voyages de par le monde.

Julie de Tribolet

La forme verbale «élise» est valable au Scrabble, mais on évoque plutôt avec elle le mot syzygie, implaçable sans joker, qui fait partie de sa liste des mots à réussir à placer un jour. Un terme astronomique rarement utilisé que la Genevoise d’adoption connaît, même si très souvent les joueurs ont dans la tête des centaines de mots dont ils ignorent la signification.

Elise a été initiée très jeune par ses grands-parents dans le nord de la France et garde précieusement le jeu en bois qu’ils lui ont offert. Même si elle joue avec un logiciel et n’aime plus trop le bon vieux jeu classique. Et s’embête un peu, sourit-elle, quand elle joue avec son amoureux ou des amis qu’elle trouve évidemment un peu lents. «Je suis une compétitrice dans l’âme», explique cette mathématicienne qui travaille à l’Université de Genève. Elle joue aujourd’hui dans la catégorie senior et non en élite, mais plus jeune, en revanche, elle a aligné compétitions, trophées et voyages de par le monde.

Son esprit logique est bien sûr un atout dans un jeu où calcul et sens de la géométrie sont indispensables. «On doit trouver en quelques secondes toutes sortes de combinaisons possibles. Je «pastille» en utilisant des ronds de couleur et des flèches qui me permettent de compter plus rapidement.» Quand elle ne «pastille» pas, cette jeune femme pétillante fait de l’escalade. Dans une paroi comme au Scrabble, il est toujours question de stratégie pour arriver au sommet.


«J’ai une bonne technique de grille»

Enzo Yerly, 20 ans, club de Bulle (FR)
Enzo Yerly, passionné de Scrabble

Enzo Yerly a obtenu la 13e place en 2022 aux Championnats du monde en Belgique.

Julie de Tribolet

Ne pas se fier à son jeune âge, Enzo est l’un des meilleurs joueurs du pays. C’est vers 8 ans qu’une affiche à l’école l’a poussé à s’inscrire à un concours de Scrabble. «Mes parents jouaient déjà à la maison», explique celui qui les a dépassés depuis longtemps, même s’il joue parfois en paire avec son papa. Enzo a été plusieurs fois champion suisse junior, vice-champion suisse toutes catégories confondues et son meilleur classement mondial est 13e en 2022 aux Championnats du monde en Belgique. De quoi faire craindre à ses concurrents la fringance de ses neurones. Et ça compte, vitesse et réactivité, dans ce jeu. «J’ai toujours beaucoup de plaisir à jouer», confie cet étudiant en informatique à l’EPFL. Des études qui l’empêchent un peu de s’entraîner autant qu’il le souhaiterait. Soit plus qu’une à deux heures par jour, comme actuellement. Qu’on se le dise, les scrabbleurs sont de véritable athlètes et jouer correspond finalement à une course de fond des méninges. «J’ai une bonne technique de grille», dit encore l’habitant de Treyvaux, qui s’alignera à Bulle en Duplicate (même tirage pour tous les joueurs) et en Classique (le jeu traditionnel). Un jeune homme capable comme tout bon joueur de pratiquer la gymnastique des anagrammes, d’apprendre des listes de mots à l’infini, de vous rappeler celle des lettres «chères» (X, Q, Z, J, K, W, Y et Z) et de vous raconter ses petits trucs pour la préparation. «L’hygiène de vie est importante. Certains joueurs consomment du sucre de raisin ou des boissons spéciales, moi, je fonctionne tout le temps à l’eau, aux biscuits et au chocolat!»


«J’ai commencé à jouer à l’âge de 50 ans»

Gertrude Berset, 96 ans, club de La Chaux-de-Fonds (NE)
Gertrude Berset, passionnée de Scrabble

Gertrude Berset est la doyenne de ces Championnats du monde.

Julie de Tribolet

C’est évidemment la doyenne de ces Championnats du monde. Cette nonagénaire alerte et cultivée aime toujours autant jouer au Scrabble et continue de fréquenter le club de La Chaux-de-Fonds une fois par semaine. A la maison, Gertrude s’entraîne avec son ordinateur car l’informatique n’a plus de secrets pour elle – on la trouve d’ailleurs sur WhatsApp et Facebook.

Le Scrabble serait-il un élixir de jeunesse? «C’est le meilleur remède contre l’alzheimer», assure celle qui est reconnaissante à la vie d’avoir «toujours eu une bonne mémoire». A Bulle, Gertrude joue en Duplicate dans la catégorie Open (celle qui accueille le plus de joueurs) et Rubis (dès 85 ans). Elle met un point d’honneur à participer à tous les Championnats du monde et se rend aussi encore chaque année au tournoi d’Aix-les-Bains, en France, avec une amie. Et dire qu’elle est de langue maternelle suisse-allemande! «Je partais avec un désavantage, j’ai dû évidemment beaucoup travailler pour enrichir mon vocabulaire. Je me souviens que je découpais des articles dans «La Liberté» quand nous habitions le canton de Fribourg.» Gertrude est catégorique: «Le secret, pour s’améliorer, c’est qu’il faut beaucoup jouer.» Cette incroyable vieille dame a travaillé avec son mari, qui tenait une boulangerie à Saint-Imier. «Je n’ai commencé à jouer au Scrabble qu’à l’âge de 50 ans, mais je faisais beaucoup de jeux avec mes enfants quand ils étaient petits.» Gertrude a aujourd’hui 17 petits-enfants et 14 arrière-petits-enfants. Dommage qu’on ne puisse pas placer «super-mamie» sur le plateau! 

>> Plus d'informations sur les Championnats du monde de Scrabble francophone: www.bullescrabble23.ch

Par Patrick Baumann publié le 21 juillet 2023 - 10:15