C’est un container jaune, collé à la ligne d’arrivée de chaque étape. Qu’on ne se fie pas à son aspect discret: le sort de la course s’y joue. Comme lors de la troisième étape du Tour 2022, au Danemark, quand le Néerlandais Groenewegen et le Belge van Aert ont terminé au coude à coude. Tout le Tour de France, la troisième manifestation sportive au monde, s’est alors tourné d’un seul mouvement vers le container. Qui avait gagné? Que disait la photo-finish? La réponse est tombée quelques secondes après, via les ordinateurs des chronométreurs officiels, sans contestation possible. «Il y avait un écart de 2 millièmes de seconde, soit 3,8 centimètres; ce n’était pas si serré», sourit le manager de l’équipe, un Jurassien bernois qui a déjà travaillé lors de Jeux olympiques. Un de ses collègues a pourtant dû un jour demander au commissaire derrière lui s’il voyait le même résultat que lui, tant l’écart était ténu.
Au dernier Giro, en mai, il n’y eut que 3 millimètres entre le Français Démare et l’Australien Ewan, une paille. C’est en cela que Tissot, et sa technologie, est devenu un acteur principal du théâtre du sport: il dissipe les doutes. La société de chronométrage Swiss Timing, basée à Corgémont (BE), fait partie de Swatch Group: Tissot, Omega et Longines sont ses principaux «clients». La première marque, Tissot, est partenaire officielle de l’Union cycliste internationale (UCI) depuis 1996 et est redevenue celle du Tour et de la Vuelta en 2016, du Giro en 2020. Mission: le chronométrage.
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Nous sommes à Lausanne, le matin du 9 juillet, quelques heures avant l’arrivée des coureurs. La camionnette de chronométrage est arrivée aux aurores, vers 7 heures, emplie de quelques centaines de kilos de matériel divers: caméras, câbles, tableaux. Les chronométreurs ont commencé à s’installer vers 10 heures. Deux caméras blanches sont maintenant suspendues à gauche et à droite au-dessus de la ligne. Celle située du côté de la cabine de chronométrage, baptisée «chronopôle», est la principale, l’autre sert de vérification. Environ une heure avant l’arrivée, on alignera la caméra sur une ligne noire bordée de deux bandes blanches, posée sur la ligne d’arrivée. Capacité de la caméra: 10'000 photos par seconde; en 1995, on en était à 1000… Cette vitesse prodigieuse varie en fonction du profil des étapes. Si les coureurs arrivent relativement lentement, on réduira le nombre d’images par seconde.
Aujourd’hui, pour une étape normale, ils sont six chronométreurs à travailler, plus un chauffeur. Mais lors du prologue de Copenhague, et surtout lors du contre-la-montre de Rocamadour, le 23 juillet, ils seront bien davantage, avec trois personnes sur les trois points intermédiaires, et cinq à l’arrivée. La perfection se mérite. Les dangers? Un pépin technique toujours possible, mais aussi le manque de lumière, comme lors de la Vuelta de 2020, disputée en octobre. Le chronométreur se méfie même d’un nuage qui passe. Ou d’un couac tel celui survenu lors de l’Amstel Gold Race, en avril. Le premier classement, donné sur la base du transpondeur fixé sur la fourche de chaque vélo, a fait croire au Français Cosnefroy qu’il avait gagné. «Ce n’était pas nous, nous ne procédons jamais ainsi», assure-t-on chez Tissot. Pour eux, la caméra fait toujours foi. Le transpondeur est un outil permettant d’obtenir l’ordre d’arrivée et de déterminer qui passe la ligne et qui manque encore à l’appel. Quant au classement, il est établi à la suite du jugement de la photo-finish.
Le stress? Il est plutôt sain. L’extraordinaire expérience accumulée dans 135 disciplines sportives rassure. Cela dit, dix minutes avant l’arrivée, le manager ne manque pas de demander une concentration maximale. Le droit à l’erreur n’existe pas. Même si, au final, ce sont les commissaires de l’UCI qui valident les classements, en y incluant d’éventuelles pénalités de temps.
Le futur est déjà là, il a la forme de multiples données numériques. En cyclisme, on peut fournir la vitesse, le vent, les écarts. En hockey, une puce fixée sur le puck, testée lors des derniers Mondiaux, donne des informations épatantes sur les vitesses ou les angles. Tissot innove sans cesse.
Au Tour de cette année, pas de gros pépins, sinon une auto qui a patiné sur la ligne et enlevé la boucle de mesure. Ou des soucis d’automobiliste: une crevaison de la voiture, un pare-brise brisé par un caillou. «On n’a peur de rien», assure un chronométreur, avec la fierté de la technologie au service du sport. Le petit container jaune n’a pas fini d’être au centre du monde.