C’était en janvier 2007, au restaurant La Truite, à Gstaad. Attablé avec Karin, son épouse, leurs deux garçons, Oscar et Jules, le comédien Yves Rénier, alias commissaire Moulin, pull à l’effigie du Che, allure de jeune homme à 64 ans, finissait de déjeuner. Franc du collier, il chambrait ceux qui, comme nous, l’avaient découvert dès 1965 à la télé dans «Belphégor» et «Les globe-trotters». «Je n’arrête pas de croiser des gens de 50 ans qui en paraissent 70 et qui me disent: «J’adorais vous voir quand j’étais petit!»
Après un rire sonore, il s’était confié sur son enfance en Suisse. «Je suis né à Berne le 29 septembre 1942, mais je ne possède pas la nationalité suisse. Ma mère est Anglaise et mon père Français (le comédien Max Régnier, ndlr). Pendant la guerre, il était chargé de faciliter l’exil en Suisse des soldats britanniques. A 13 ans, j’ai étudié chez les révérends maristes à Fribourg; je m’étais cassé la jambe en camp de ski à Château-d’Œx. J’ai aussi fréquenté Le Rosey à Rolle…»
Comme son ami Johnny Hallyday, avec lequel il venait de fêter Nouvel An au Chlösterli, il songeait à s’acheter un chalet, mais y renonça. «On trouve les plus beaux dans l’Oberland bernois. Je suis dingue de Gsteig et de Rougemont. Je viens à Gstaad depuis l’enfance. Mon père était invité par un riche propriétaire; moi, j’étais pote avec Thadée Klossowski de Rola, le fils du peintre Balthus.» Yves Rénier avait la nostalgie de ces années-là. «Avec papa, on se gelait sur le télésiège du Wasserngrat. On partait faire de la peau de phoque avec pour seul pique-nique un œuf dur, une tranche de jambon et une orange. On aimait l’effort physique.» Il avait ajouté: «On vit assez vieux dans ma famille. Ma mère a 91 ans (décédée huit ans plus tard, ndlr). Mon père est mort à 88 ans. Il a connu les camps de concentration. Une expérience comme celle-là, ça use…»
Yves Rénier, lui, est parti dans la nuit de vendredi à samedi dernier, à 78 ans, foudroyé par une crise cardiaque à son domicile de Neuilly-sur-Seine. Il avait connu de sérieuses alertes. «Avant mon quadruple pontage coronarien, à 49 ans, j’ai frôlé la boîte en sapin. Je n’étais pas chaud pour me faire opérer. Le médecin m’a coupé net: «Si on ne vous opère pas, vous ne fêterez jamais vos 50 ans.» La série «Commissaire Moulin» avait débuté sur TF1 en 1976. «On m’a vu vieillir avec le personnage, passant des jeans pattes d’ef aux pantalons serrés, un pétard au bec.»
En 2018, il avait réalisé «Jacqueline Sauvage: c’était lui ou moi». Muriel Robin, à contre-emploi, y incarnait cette femme martyre qui avait abattu son mari en 2012. En septembre prochain, il devait démarrer un tournage avec Mathilde Seigner.
Yves Rénier, on le sait moins, était aussi un aquariophile passionné. «Un soir à Paris, j’ai croisé en boîte mon ami Claude François, compétiteur-né. Il m’a dit: «Quelles sont les dimensions de ton aquarium?» J’ai répondu: «7,50 m de long, 3,50 m de large et 1,50 m de haut.» Au milieu de la nuit, il a appelé son architecte pour l’engueuler et lui demander le même que le mien… mais en deux fois plus grand!»