Dans les années 1950, les garçons du quartier des Délices, à Genève, patinaient été comme hiver. Ils arrosaient d’eau le toit d’un garage pendant la saison froide pour y glisser et chaussaient des patins à roulettes quand il faisait beau. Quarante ans plus tard, ceux de Bernex roulaient en rollers et s’arrangeaient avec un employé d’un cycle d’orientation pour dénicher un terrain, des cages et des balles d’unihockey qu’ils bourraient de petits mouchoirs, comme dans le film, pour qu’elles rebondissent. Un de ces mômes des fifties était Jean-Pierre Bettiol, qui gagna la Coupe de Suisse avec Genève-Servette en 1972. Un de ces gamins des années 1990 était Benjamin Antonietti, qui vient de décrocher le premier titre national du club après une suite de matchs inouïs en finale. Même lieu, même force issue du pays de l’enfance, cette usine à rêves.
Au-delà des générations, tous deux se rejoignent encore à «la pato» des Vernets, un peu vétuste, très émotionnelle. Il s’y passa l’étrange soirée du 25 avril. Des milliers de gens criant et pleurant, sifflant l’arbitre ou portant leur équipe devant un écran qui transmettait le sixième match de la finale, à 150 kilomètres de là, à Bienne. La glace était nue, les spectateurs faisaient comme si elle était habitée. Deux jours plus tard, ils sont revenus en rangs serrés pour voir le match avec les vrais joueurs et le gagner. Rarement Genève aura été autant elle-même. Il y avait des avocats et des boulangers, des familles et des grands-mères, de jeunes zigotos et quelques inclassables. C’était Sunderland à deux pas des plus luxueuses marques d’horlogerie du monde, un magma sauvage de couleur grenat. Cette impression d’appartenance, peut-être était-ce la première fois que certains la ressentaient là, dans la cité du cosmopolitisme. Ils diront à leurs enfants: j’étais là le 27 avril pour le sacre et j’ai même hurlé de toutes mes forces le 25, pour pousser des joueurs absents.
>> Retrouvez le magazine en kiosque au prix de 5.50 frs ou directement sur vos écrans.