«Dès mon enfance, dans les années 1970, j’avais développé une conscience écologique. Devenu journaliste, je proposais donc souvent des sujets sur la nature et sa protection. En 2006, huit ans après mon arrivée à L’illustré, un des deux rédacteurs en chef de l’époque m’avait proposé de créer la rubrique Planète, consacrée à l’écologie. Je lui en serai toujours reconnaissant, même si notre relation connut des orages. «Ne culpabilise pas et ne déprime pas nos lecteurs, m’avait-il sèchement averti. Et n’effraie pas les annonceurs avec du militantisme.»
Ces quatre années de rubrique Planète me permirent de rencontrer de magnifiques acteurs de l’écologie et de vulgariser des dossiers passionnants. Mais ces contraintes m’obligeaient aussi à présenter des solutions, des innovations qui ne me convainquaient pas toujours. Pour moi, la catastrophe planétaire était bel et bien en marche. Les vraies bonnes nouvelles, en écologie, sont rares. Mes chefs me reprochaient donc de ne pas respecter ce devoir d’optimisme. Autre difficulté: le deuxième rédacteur en chef était ouvertement anti-écologiste. Etait-ce pour me punir qu’il m’avait ordonné un jour d’interviewer l’être écologiquement le plus haïssable et le plus ridicule, Claude Allègre? Cela m’avait en tout cas décrédibilisé auprès de mes contacts. Lors d’un repas officiel, un conseiller national vert (aussi antinucléaire que caractériel) m’avait ainsi agressé verbalement devant un parterre de gens haut placés pour avoir interviewé le si mal nommé Allègre. Je m’en veux encore aujourd’hui d’avoir été lâche au point d’accepter cet ordre empoisonné.
Un magazine change de formule après quelques années. Planète faisait partie des rubriques qui devaient disparaître. «Dis donc, Clot, tu nous emm… avec ta verdure: l’enquête de satisfaction auprès des lecteurs place ta Planète en tête. Mais on va quand même l’arrêter», m’avait lancé le directeur de Ringier Romandie. Cela me convenait. Cet exercice de conciliation permanente entre vérité scientifique alarmante et fragiles bonnes nouvelles m’avait usé.
Depuis quatre ans environ, le risque écologique global est devenu une évidence scientifique. C’est tragique, bien sûr, surtout pour les jeunes. Mais pour moi, c’est aussi un soulagement. Je ne passe plus pour l’éternel messager de mauvais augure. Avec des collègues et rédacteurs en chef plus jeunes que moi, sensibles eux aussi à ces thématiques, je peux utiliser mon bagage et mon réseau «verts» plus librement.
A 58 ans, je reste pourtant pessimiste: ces prochaines décennies, les conséquences climatiques, biologiques, sociales, géostratégiques, économiques du cocktail surpopulation-surconsommation seront, à mon avis, très dures. Mais la prise de conscience actuelle générale, stimulée notamment par un journalisme plus scientifique que jamais, préfigure peut-être aussi une déclaration de paix à notre planète. Je veux en tout cas y croire.